L’odyssée des éditions Musidora, emmenées par Nicolas Tellop, s’annonce décidément passionnante : après l’étonnant et riche Anachronopoète, voilà que la jeune et inventive maison annonce la réédition de deux romans cultes devenus introuvables : Ne sont pas morts tous les sadiques et Le Festin des charognes d’un certain Max Roussel dont on sait peu de choses. A l’occasion d’une levée de fonds pour mener ses rééditions à bien, Nicolas Tellop est longuement revenu pour Diacritik sur la personnalité pour le moins trouble de Max Roussel et sur son écriture si étonnante et violente, quelque part entre Céline et Burroughs.

« … les films, c’est quand même un art qu’on fait avec la chair des gens. La peinture, il y a des couleurs qu’on peut acheter, la littérature il y a des mots, le cinéma il y a de la chair. Je ne peux jamais dire : ‘Le film sera comme ça.’ Je dois rencontrer l’acteur, il doit se laisser faire, prendre et filmer. Un acteur, ce n’est pas du rouge. »
Catherine Breillat, Je ne crois qu’en moi.

Catherine Breillat est de retour grâce aux sollicitations d’un producteur, Saïd Ben Saïd, qui a su la convaincre de reprendre le chemin du plateau et de la création. Onze ans après Abus de faiblesse (2012), Breillat revient avec L’Été dernier, un film remarquable (tant du point de vue cinématographique que compte-tenu du « paysage » idéologique dans lequel nous évoluons), et un entretien, Je ne crois qu’en moi, recueilli par Murielle Joudet (Capricci éditions – les citations de Catherine Breillat mentionnées dans cet article en sont tirées).

Et si Le Tartuffe qui interroge les apparences, l’hypocrisie et la séduction cédait au jeu des apparences au point de se révéler lui-même une flagrante imposture mettant mal à l’aise le public ? Telle est la question insistante sinon extrêmement gênante que ne manque pas de soulever la très problématique mise en scène par Ivo Van Hove du Tartuffe de Molière donné à l’occasion de la célébration en grande pompe des 400 ans de la naissance du dramaturge à la Comédie Française.

C’est l’événement éditorial de ce printemps : la réédition au Seuil du cours sur Le Neutre donné par Roland Barthes au Collège de France en 1978. Après une première édition du texte dans les années 2000, Eric Marty offre ici une édition définitive, riche et passionnante, où le propos de Barthes prend toute sa puissance, celle d’une parole qui revient dans son œuvre à son principe premier : le Neutre, qu’il réinterroge notamment sous le concept de « complexe ». Assorti de notes passionnantes, d’un avant-propos qui brosse la singularité d’une époque prête à tirer un trait sur les avant-gardes, ce cours est indispensable à qui entend se mêler de littérature et plus largement de sensible des textes. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre d’Éric Marty afin de l’interroger sur ce dernier Barthes, au seuil d’une disparition bientôt mélancolique.

Prologue. De Pier Paolo Pasolini à Simon Hantaï, de Charlie Mingus à Claude Ollier, d’Alain Resnais à Alain Robbe-Grillet, de Cyd Charisse à Christian Dotremont (et j’en passe), l’année 2022 a été fertile en centenaires. Il en est de même en 2023, Geneviève Asse (artiste peignant à la pointe de l’œil) et François Cavanna (co-inventeur de Hara-Kiri) ayant ouvert le bal en janvier et février dernier.

La France est une fois de plus en retard. Une fois de plus, elle n’a pas encore bien compris ce que, avec discrétion et grâce, Mahmood accomplit musicalement depuis bientôt trois ans sur le territoire à la fois si vaste et si saturé de la pop. Une fois de plus, la France n’a pas encore compris l’ampleur du phénomène Mahmood. Car si, politiquement et artistiquement, l’Italie est depuis la Renaissance, pour le meilleur et pour le pire, le laboratoire de l’Europe, Mahmood n’échappe pas, pour le meilleur, à ce postulat, notamment depuis la sortie, vendredi, de son deuxième album, le formidable Ghettolimpo.

Il y a plaisir à composer une constellation d’ouvrages, sans se soucier du genre auquel chacun pourra être rattaché. Car c’est ainsi que nous vivons, passant d’une activité à l’autre : privilégiant un instant le regard, avant de se mettre à l’écoute de ce qui ne fait pas de bruit. Passant de film à poésie, de peinture à récit, de bande dessinée à musique, ce que le chroniqueur désire rapporter, c’est un viatique.

Qu’est-ce qu’un film « poétique » ? Et qu’appelle-t-on « lyrisme » au cinéma ? Que faire de ce vocable « poétique » lorsque l’on est critique de cinéma ? Telles sont les pertinentes et vives questions que Nadja Cohen se pose dans un indispensable ouvrage collectif logiquement intitulé Un cinéma en quête de poésie qui vient de paraître aux Impressions Nouvelles. De Tarkovski à Raoul Ruiz, de Jarmusch à Miyazaki en passant par Malick, Nadja Cohen interroge, en associant chercheurs en littérature et en cinéma, les formes et les sens que la poésie peut prendre sur grand écran. Autant de pistes fécondes que Diacritik est parti sillonner avec Nadja Cohen le temps d’un grand entretien.

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À chaque nouvelle année sa fournée de centenaires, certains bien oubliés, tandis que d’autres semblent plus vivants que jamais. Je consulte Wikipédia, glissant sur l’impressionnante liste de noms proposée, n’en retenant subjectivement que quelques-uns : les peintres Geneviève Asse, Ellsworth Kelly, Sam Francis, Shirley Jaffe, Roy Lichtenstein et Antoni Tápies ; le compositeur György Ligeti ; le poète Yves Bonnefoy ; le conteur oulipien Italo Calvino ; l’auteur de bande dessinée Morris.

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L’année 1922 n’aura pas été avare en naissances de personnalités marquantes : Pasolini et Kerouac en mars ; Bobby Lapointe et Charlie Mingus en avril ; Serge Reggiani, Christopher Lee et peut-être (car un doute subsiste – ne serait-il pas né l’année précédente ?) Iannis Xenakis en mai ; Alain Resnais en juin ; Micheline Presle (seule à être encore en vie) et Alain Robbe-Grillet en août ; Simon Hantaï, Christian Dotremont, Claude Ollier et Ava Gardner en décembre (et j’en oublie, volontairement – ou non). Est-ce important de commémorer les anniversaires ? Pour certains, on dira oui, non par goût des chiffres ronds (on préférera 101 qui est premier – et même 99), mais parce qu’ils nous offrent l’occasion de ferrailler avec le temps, donc avec nos souvenirs et la part d’oubli qui les recouvre, de manière intime, dans un désir de partage.

Le ravissement de Marilyn Monroe, livre publié aux éditions Métropolis, est devenu spectacle, sous le titre « Le Vertige Marilyn ». Chaque fois l’image est au centre, non seulement comme sujet (l’icône Marilyn, la société du spectacle, etc.) mais comme forme. Dès le livre, avec les dessins d’Anne Gorouben, à la Maison de la poésie avec le dispositif scénographique pensé pour le spectacle.

Les mots ne manquent pas pour décrire Goliarda Sapienza : atypique, forte, libre, intransigeante, talentueuse, complexe, ambiguë, charnelle et tendre. Une nébuleuse de mots  l’entoure de prestige comme un halo ou la poursuit comme un voile brumeux. L’originalité et la marginalité de ses écrits sont souvent rapportées à son éducation originale, à sa naissance dans une famille socialiste, anarchiste, sicilienne, et qui plus est recomposée. L’image construite est celle d’une femme indépendante dont la manière d’être et de vivre constitue aujourd’hui un modèle d’émancipation politique et féministe.