Sans doute faudrait-il commencer par dire qu’avec S&lfies, Anne Portugal signe un recueil qui fait de la poésie l’air même que l’on respire – une manière de matière de nos jours. Car, à la lecture de ce puissant recueil qui vient de paraître chez P.O.L, ce que la lectrice et le lecteur comprennent sans attendre, c’est combien la poésie chez Portugal naît toujours d’une rencontre : que le poème est un atome du monde, au même titre que le monde lui-même, et que tous les atomes poétiques sont crochus. C’est comme ça, c’est l’ainsi du poème et c’est presque de l’épicurisme cette poésie même d’Anne Portugal : les atomes fusionnent, et rendent l’air libre mais peut-être par-dessus tout respirable.

Prologue. De Pier Paolo Pasolini à Simon Hantaï, de Charlie Mingus à Claude Ollier, d’Alain Resnais à Alain Robbe-Grillet, de Cyd Charisse à Christian Dotremont (et j’en passe), l’année 2022 a été fertile en centenaires. Il en est de même en 2023, Geneviève Asse (artiste peignant à la pointe de l’œil) et François Cavanna (co-inventeur de Hara-Kiri) ayant ouvert le bal en janvier et février dernier.

Avec Mue, Stacy Doris achève l’une des œuvres poétiques sans doute parmi les plus importantes de notre contemporain. Emportée par la maladie en 2012, Stacy Doris offre ici un puissant dernier chant, un testament adressé à son mari ainsi qu’un legs vibrant à ses enfants. Diacritik est allé à la rencontre d’Anne Portugal et Pierre Alferi qui ont traduit Mue pour les éditions P.O.L afin d’échanger avec eux à la fois sur la mémoire de Stacy Doris, sur sa place à l’importance grandissante dans la poésie américaine et sur leur remarquable travail de traduction où à la sensibilité la plus à vif répond le souci formel le plus avisé. Vous l’aurez compris : il faut lire Stacy Doris.

« La vie est le noyau poétique des poèmes ; pourtant, plus le poète s’efforce de transposer telle quelle l’unité de vie en unité artistique, plus il se révèle un bousilleur » déclare avec autant de férocité que de lucidité aguerries Walter Benjamin à propos d’Hölderlin afin de dire de la poésie cette irrémédiable tension, toujours relancée, toujours désirée qui consiste à vouloir trouver depuis le poème la formule d’une vie – la chance inouïe d’une vie vivante. Peut-être faudrait-il confier ces quelques mots énergiques de Benjamin qui montrent combien la poésie doit apprivoiser et versifier autant que libérer le vivant comme escorte lumineuse à la lecture du splendide et comment nous voilà moins épais, nouveau recueil poétique d’Anne Portugal, paru ces jours-ci chez P.O.L.