Tandis qu’il se trouvait ce jour-là au café, dans l’attente d’on ne sait qui, Walter Benjamin raconte, dans Chronique berlinoise, qu’une idée s’imposa à lui avec « une violence irrésistible ». De quoi s’agissait-il ? Qu’est-ce qui se laissa soudain entrevoir ? Rien de moins que le tracé d’« un graphique qui schématiserait sa vie ». Cette idée, on le sait, Benjamin allait la retrouver plus d’une fois, la méditer, sans jamais lui donner une vraie forme.

Orphée : le premier poète, celui-là même qui précède Homère, l’origine légendaire et tragique de la condition de l’artiste. On ne sait par quel bout le saisir tant son histoire a été racontée, tant son mythe a été figuré et déformé par une postérité qui l’a choisi comme emblème. Orphée c’est le poète magique, capable de transfigurer le monde qui l’entoure, de faire parler pierre, arbre, rivière, c’est celui capable de vaincre les puissances de la mort par la beauté envoûtante de son chant, mais c’est aussi celui qui ne peut échapper au fatum tragique du destin, et c’est celui éparpillé par les serres cruelles des femmes qui le déchirent. Comment saisir Orphée alors même qu’il n’est pas une œuvre, ni un auteur, mais un mythe qui ouvre la porte de la littérature pour toute une civilisation et pour ses descendants ?

Arnaud réouvre son chantier. Les fouilles reprennent : cette vaste entreprise de dérushage de l’inconscient collectif américain commencée avec Diane Wellington il y a dix ans. On lui a confié un trésor, des kilomètres de pellicule U.S, d’archives de toutes natures, comme on confiait aux premiers colons d’immenses espaces à défricher. Il a carte blanche pour labourer, triturer, farfouiller, se perdre, s’y retrouver.

Avec Fou de Paris, Eugène Savitzkaya signe indubitablement l’un des plus beaux romans de l’année, et assurément l’un de ses plus remarquables récits au sein d’une œuvre déjà majeure de notre contemporain. C’est peu de dire que, porté par une langue d’une rare puissance, Savitzkaya donne à lire et livre à la sensation la plus sauvage un Paris que traverse un singulier narrateur. Hanté par la figure d’un poète méconnu, Hégésippe Moreau, Fou de Paris se lit comme le conte féérique d’une odyssée sensuelle dans la capitale française. Une odyssée qui, de Sarkozy aux confinements en passant par la tragédie des attentats, dévoile une résonance politique plus vive encore que dans les autres récits de Savitzkaya. Un très grand texte dont Diacritik ne pouvait faire l’économie d’interroger son auteur le temps d’un grand entretien.

« L’art des morts et celui du linge requièrent des mouvements d’une égale minutie », Audrée Wilhelmy, Peau-de-sang.

En septembre dernier, au début du mois, les éditions Leméac ont publié à Montréal Peau-de-sang, le sixième livre d’Audrée Wilhelmy, une jeune auteure québécoise dont la voix riche et singulière exalte le féminin dans une langue romanesque et une narration qui empruntent à l’univers du conte, et notamment à celui du conte cruel, voire comme ici à celui du conte pour adultes.

Audrée Wilhelmy, dans Peau-de-sang, votre narratrice est morte, aussi est-ce depuis l’outre-tombe qu’elle relate son histoire. Votre personnage n’en est pas moins lumineux. Comme si son assassinat n’avait pas porté atteinte à sa puissance de vie. N’est-ce pas là une allégorie du féminin ?

Essai sur l’histoire et la littérature, Faire trace analyse les différents types de textes relatifs aux camps d’extermination nazis pour en approfondir les enjeux et implications, pour mettre en évidence leurs choix formels, stylistiques, mais aussi leur prolongement jusqu’à aujourd’hui. Entretien avec Maxime Decout.

Si Jean-Pierre Castellani a fait de l’autobiographie littéraire un de ses objets majeurs de recherche, il avait jusque-là pudiquement évité de pratiquer lui-même le genre. Tout juste avait-il accepté de livrer de petits récits mémoriels, par exemple dans des ouvrages collectifs centrés sur l’Algérie dirigés par Leïla Sebbar qui, en complice fidèle, a écrit en retour pour le présent opus une amicale préface.

Marguerite Duras avait-elle les yeux verts ou bleus ? Jean Vallier, son meilleur biographe, les a vus verts. Pour Colette Fellous, qui la rencontra à maintes reprises dans les vingt dernières années de sa vie, ils étaient évidemment bleus, « bleus et purs » tels qu’elle les a gravés dans sa mémoire avec « la beauté de son visage, son air unique et souverain de Marguerite D. ».