Ultra-Graal (éditions Pierre Guillaume de Roux), de Bertrand Lacarelle, qu’on connaissait déjà pour ses essais sur Arthur Cravan et Jacques Vaché, est sans aucun doute le livre le plus exotique de cette rentrée.
Plongeant dans nos racines médiévales et celtiques, cet essai lyrique s’attelle à nous (re)conter la geste de la quête du Graal – synthétisée au 13ème siècle par Le livre du Graal, ce roman fleuve composé en prose, dont les personnages connus de tous ont pour nom Lancelot, Perceval, Merlin, Viviane, l’épée Excalibur, ou encore Guenièvre – et nous invite à nous réexalter (ce n’est pas du luxe) à cette source.
« « Ne seriez-vous pas un peu passéiste ? » me demandent les poules de batterie », s’amuse l’auteur, déjouant à l’avance les prévisibles observations censément déplaisantes des thuriféraires de la « modernité ». Lacarelle n’est peut-être pas tout à fait dénué de coquetterie provocatrice, mais celle-ci ne s’adresse qu’aux sectarismes de tous poils, dont notre époque n’est pas avare. À part cela, le livre ne cherche d’autre gageure que celle de réenchanter le monde à la lumière des idéaux chevaleresques et chrétiens. « (…) pour avoir tourné le dos aux vertus qui nous maintenaient en vie : la dignité, la générosité, la charité et l’honneur », Lacarelle tient, comme d’autres avant lui, que nous sommes devenus les vassaux du narcissisme de masse, du consumérisme et de la technique. Selon lui, nous avons perdu notre noblesse. Il nous invite à la retrouver, à nous mettre en quête de ce qui, en nous, est plus grand et plus profond que nous. À réinvestir les profondes forêts de l’âme et du coeur. Il plaide pour un zadisme spirituel (en gros : en finir avec le néo-libéralisme libéral-libertaire) et matériel (en finir avec les denrées empoisonnées que nous refourgue le productivisme chimique), une aristocratie pour tous. Si son invocation se place clairement sous les auspices de la foi chrétienne, elle s’adresse à tout le monde. Elle questionne jusqu’à notre athéisme, qu’il soit dogmatique ou si indolent et incertain que la dénomination d’agnosticisme lui conviendrait sans doute mieux. Elle exprime un désir de transcendance qu’on peut accueillir avec scepticisme, voire une certaine crainte, mais qui retiendra l’attention critique de quiconque tient toute forme de confort intellectuel (dont ce livre n’est pas lui-même toujours exempt) pour le plus grand des dangers.
Au bout du compte, Ultra-Graal est un acte de foi. Un appel à l’insurrection de ce que l’auteur nomme « l’âme ». Il déplaira peut-être à ceux qui voient du fascisme partout sauf dans le totalitarisme obtus de leurs propres convictions. Ce ne sera pas la moindre de ses vertus. Et puis, comme Lacarelle enrôle Kerouac, Simone Weil, Pasolini et Debord parmi ses chevaliers, et nous apprend ( nous rappelle, pour les plus érudits) judicieusement que Friedrich Reck-Malleczeven, un médecin allemand, opposant chrétien au nazisme, paya de sa vie l’honneur d’avoir qualifié Hitler de « macaque féroce », il lui sera beaucoup pardonné à gauche (on ne rit pas).
Bertrand Lacarelle, Ultra-Graal, éditions Pierre Guillaume de Roux, septembre 2020, 150 p., 18 €