Sombre et magnétique : tels sont les mots qui viennent à l’esprit après avoir lu le premier roman d’Etienne Kern, Les Envolés. Kern y brosse l’histoire de Franz Reichelt, tailleur autrichien venu vivre à Paris et qui meurt un jour de 1912 en se jetant de la tour Eiffel avec le costume-parachute de son invention. Dans une langue qui traque les fantômes, le romancier cherche à mettre en lumière tous les êtres impermanents au monde qui ont, plus largement, traversé son existence, autant d’envolés qui, tragiquement, ont franchi le pas. Alors que Les Envolés paraît en poche chez Folio, Diacritik republie l’entretien qu’Etienne Kern avait accordé à Diacritik lors de la sortie du livre.
Category Archive: Les mains dans les poches
Un jour Marie Darrieussecq a perdu le sommeil, qu’elle pensait pourtant son ombre. Dans Pas dormir, l’autrice se plie aux scenarii alternatifs que lui dictent ses insomnies : penser, lire, écrire, chercher ce qu’une trinité tutélaire (Kafka, Cioran, Proust) et tant d’autres auteurs ont eux aussi traversé. Ce livre est « le résultat de vingt ans de voyage et de panique dans les livres et dans mes nuits ». Mais il est surtout une manière radicalement autre de se dire, une forme d’autobiographie par l’insomnie qui échappe à toute limite formelle parce que son sujet est, en définitive, l’éveil, à soi et au monde.
Hemingway rêvait d’un concours du meilleur écrivain disputé aux poings. Parmi les poids lourds de la discipline (pour son œuvre majeure, pas pour son gabarit physique…), Joyce Carol Oates pour son fameux De la boxe, reparu début mai dans la collection « Souple Deluxe » des éditions Tristram, dans la traduction intégrale, par Anne Wicke, d’un essai paru en 1987 puis 1995 aux États-Unis et assorti d’une conversation finale avec l’autrice.
Les Impardonnables est un livre à part, qui ressemble à peu d’autres. La première publication date de 1963. Le titre était La Fable et le Mystère, puis en 1971, pour la seconde édition, avec quelques variantes, La Flûte et le Tapis. Aussi, ce titre, Les Impardonnables, celui d’un des chapitres du livre, n’a été adopté qu’en 1987, lors de sa réédition chez Adelphi dans sa version définitive, et dix ans après la mort de son auteur. La traduction française, publiée en 1992 dans la collection « L’arpenteur » (le domaine italien que dirige Jean-Baptiste Para), est reprise aujourd’hui dans la collection « L’imaginaire » à l’occasion du centenaire de la naissance de Cristina Campo (1923-1977).
« En mars 2020, le site Internet des Nations Unies annonce que la barre des 20.000 migrants morts en Méditerranée est franchie »
On se souvient que dans son premier roman de 2017, Khalid Lyamlahy dédiait son récit, « Aux étrangers d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Aux miens ». Dans ce nouveau roman, Évocation d’un mémorial à Venise, il creuse le sillon, en se focalisant sur un jeune migrant, noyé dans le Grand Canal de Venise en janvier 2017, événement qui eut un certain retentissement à l’époque.
Avec La Belle de Casa, paru en 2018 et désormais disponible en poche, In Koli Jean Bofane signe son cinquième roman. Y est brossé le portrait de personnages très divers qui évoluent dans une mégapole effervescente, livrés à eux-mêmes et au vent chaud du Chergui. Différents récits s’entremêlent autour du personnage d’Ichrak, dont celui d’une mort que le lecteur apprend dès les premières lignes, et qui est l’élément déclencheur et le fil rouge du roman.
Le Pain perdu d’Edith Bruck se tient, fragile et tenace, entre deux absolus ; le premier est un indicible — « Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle ». Le second, une nécessité — les témoins disparaissent, la mémoire de l’autrice aussi, il lui faut donc raconter ce « conte dans la « forêt obscure » du XXe siècle, avec sa longue ombre sur le troisième millénaire ». Alors Edith Bruck affronte sa propre vieillesse, sa mémoire qui part, ses yeux qui la trahissent et surtout les souvenirs béants de l’horreur de l’exil et des camps d’extermination et transmet le tourbillon d’une vie prise dans les tempêtes de l’histoire.
Après le succès public et critique de Règne Animal, Jean-Baptiste Del Amo revient en cette rentrée littéraire avec Le Fils de l’Homme. Récit épuré, primaire au sens fort du terme, Le Fils de l’homme pose des questions essentielles : que sont héritage, démesure, amour familial, folie ? Entre La Route de Cormac McCarthy et le Shining de Stephen King, ce roman, qui sort en poche chez Folio, fable aux accents universels et « bibliques », traite autant de la chute de l’homme que de sa volonté d’échapper à son destin. Entretien avec Jean-Baptiste Del Amo.
Singulière et fascinante cité dolente : tels sont les deux termes qui viennent à l’esprit après avoir refermé le nouveau livre de Laure Gauthier qui paraît dans la collection poche des toujours parfaites éditions LansKine. Récit poétique ou poème narratif, la cité dolente explore l’histoire d’un vieil homme qui décide de prendre une retraite définitive dans un hospice où il va faire l’expérience de ce qu’est un EHPAD. Texte poétique qu’accompagne l’enfer de Dante, texte politique qu’accompagne l’engagement de Pasolini, la cité dolente témoigne d’une réflexion sur la vieillesse dans nos sociétés. Autant de questions à poser à Laure Gauthier le temps d’un grand entretien à la veille de sa lecture à la Maison de la Poésie de Paris.
« Je pourrais acheter aux puces des albums de famille d’inconnus » Édouard Levé, Dictionnaire (« Photographie »), Inédits, P.O.L, 2022
Christophe Boltanski est le romancier de vies réelles passées sous silence, des strates et documents qui gardent leurs traces. L’écrivain les exhume pour retrouver un récit souterrain et oublié pourtant articulé à la grande histoire et aux scansions sociales et politiques de nos présents.
Après I love Dick de Chris Kraus, Jewish Cock de Katharina Volckmer : rien à voir entre les deux livres, sans doute, sinon la manière dont le sexe concentre une époque, dans ses espoirs fous comme dans ses failles, dont le sexe articule trajectoire singulière et Histoire collective.
Ce qui, d’emblée, marque à la lecture de Grande couronne, c’est combien la narratrice de ce prodigieux roman jouit d’une lucidité à toute épreuve mais ce qui lui manque aussi bien d’emblée, ce sont les expériences, les occasions : l’ailleurs.
Indéniablement, Antoine Wauters a signé avec Mahmoud ou la montée des eaux un très grand roman, qui sort en poche chez Folio. Véritable splendeur de langue, bouleversante épopée d’un homme pris dans plus d’un demi-siècle d’histoire de la Syrie, chant nu sur la nature qui tremble devant l’humanité et sa rage de destruction : tels sont les mots qui viennent pour tâcher de retranscrire la force vive d’un récit qui emporte tout sur son passage. Rarement l’histoire au présent aura été convoquée avec une telle puissance et une grâce qui ne s’éprouve que dans un déchirement constant. A l’occasion de cette sortie en poche, retour sur le grand entretien que l’écrivain avait accordé à Diacritik lors de la publication en grand format de son roman.
« […] une jeunesse d’ici et maintenant peut perdre la vie,
Pour peu qu’elle porte sur son corps,
Les traces d’un ailleurs et d’un autrefois »
Prix littéraire de la Porte dorée 2022, Sensible de Nedjma Kacimi est sorti en poche. Ce livre Percutant, ciblé, poétique, militant se décline en quelques 47 fragments.
Surie Eckstein est une femme empêchée : elle a 57 ans, dix enfants, elle se pensait ménopausée et apprend qu’elle est enceinte de jumeaux, 13 ans après sa dernière grossesse. Il lui est impossible de même imaginer avorter, elle appartient à la communauté juive hassidique de Brooklyn. Comment vivre avec ce corps qui semble lui échapper ou lui rappeler qu’il est sien ? Avec Division Avenue, Goldie Goldbloom signe un exceptionnel portrait de femme, tout en nuances et empathie, un roman qui est une véritable parabole sur les impasses que créent en nous nos croyances et silences et sur le long chemin pour tenter de s’en libérer.