Collectif Inculte : Le XXe siècle en procès

Tout récit est procès, plus encore quand il s’attache à l’Histoire, à la place de la violence et du pouvoir dans l’Histoire : mais que peuvent plus précisément nous dire les procès, en tant que scènes judiciaires, d’un passé récent, le XXe siècle ? Telle est la question centrale posée par un ouvrage récent et collectif des éditions Inculte, En Procès, dès son Avant-Propos signé Arno Bertina et Mathieu Larnaudie, à partir d’une réflexion de Lionel Ruffel : « courant sur tout le siècle, le procès est un élément essentiel de la réalité et des fictions politiques. Ce siècle (le vingtième) pourrait même efficacement être lu grâce aux représentations des procès qui l’ont traversé ».

On le voit, l’interrogation initiale se démultiplie en une série de questionnements, autour d’épisodes précis de l’histoire mais aussi du réel par les fictions politiques qui le construisent puis par la littérature en tant que représentation divergente, à la fois curieuse et informée, refusant vérités établies et constructions imposées. Chacun des textes qui composent ce volume est la remise en mouvement, en procès, d’un advenu, d’un ça a été, revu à l’aune du présent, du contemporain comme interrogation inquiète des archives.

Inculte en procès © Christine Marcandier
Inculte en procès © Christine Marcandier

Actualisation et prolongement d’un ancien numéro de la revue Inculte (n° 19, 2007), le collectif suit une chronologie, du procès de Gavrilo Princip (octobre 1914) à celui de Lakdhar Boumediene (novembre 2008), en passant par Charles Manson, la RAF, Christian Ranucci, les Ceausescu, O.J. Simpson et tant d’autres qu’il est impossible d’énumérer de manière exhaustive. Dans l’espace même du livre, les textes ne se juxtaposent pas, ils entrent en écho. En creux, depuis un rayonnement autour d’un noyau central, se disent à la fois les lignes de force et les lignes de faille d’un siècle « friand de massacres, on le sait » (Christophe Manon), ce qui l’a travaillé en profondeur et souvent bien malgré lui, dans l’explosion de violence que furent les conflits (mondiaux ou non), les holocaustes et massacres ethniques qui l’ont ponctué, dans des épisodes qui pourraient sembler plus oubliés avant que les écrivains s’en emparent, prouvant combien, toujours, quelque chose de fondamental se met en scène dans le moment judiciaire, qu’il soit sérieux ou plus parodique (le procès de Barrès par les Dadaïstes) et parfois dans la frontière incertaine des deux registres.

Inculte en procès © Christine Marcandier

Le procès est un huis clos, une bulle temporelle qui concentre passé, présent et futur, culpabilité et innocence, horreur et grâce, comme la jeune institutrice résistante jugée à l’été 1944 dont Stéphane Legrand dit qu’elle « a, dans la simplicité troublante de son infamie, la beauté confuse d’un récit de rêve ». L’Histoire ne saurait être jugée une seule fois et chacun de ces procès passés a « pris place dans cette vaste circulation sémiologique qu’est la culture contemporaine », comme l’écrit Mathieu Larnaudie de Charles Manson.

Au-delà de sa dimension historique et politique, ce collectif est un exceptionnel laboratoire littéraire, rassemblant vingt écrivains parmi les plus percutants de la scène contemporaine — par ordre d’apparition dans le volume : Mathias Enard, Thomas Clerc, Christophe Manon, Stéphane Legrand, Christophe Fiat, Mathieu Larnaudie, Julie Bonnie, Alban Lefranc, Marie Cosnay, Jérôme Ferrari, Pierre Ducrozet, Julia Deck, Frank Smith, Maylis de Kerangal, Emmanuel Adely, Claro, Emmanuel Ruben, Hélène Gaudy, Sylvain Prudhomme, sous la houlette d’Arno Bertina et Mathieu Larnaudie (ce dernier signant par ailleurs un Procès de Tohomir Blaskic, 1995-2003, avec Mathias Enard).

product_9782070437863_195x320Chacun des textes du volume a des échos dans l’histoire présente, échos collectifs et plus intimes — le très beau texte de Marie Cosnay sur Christian Ranucci —, réfléchissant (au double sens du terme) le monde contemporain et ses enjeux, sociaux, historiques et littéraires, en un mot politiques : c’est que, comme l’écrivait l’ennemi déclaré Genet en introduction aux Frères de Soledad en 1970, « les tribunaux, qu’ils soient en Amérique ou ailleurs, sont des tribunaux d’autorité, d’une autorité fruste, qui s’accommode très bien de l’arbitraire », contrairement à la littérature.

Collectif Inculte, En Procès, Une histoire du XXe siècle, 2016, Inculte/Dernière marge, 244 p., 17 € 90

En juillet dernier, la librairie Charybde a accueilli une partie du collectif de ce XXè siècle en procès (écouter ici). Retrouvez aussi le très bel article publié sur ce livre qui détaille les différents textes du volume.

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