Prologue. De Pier Paolo Pasolini à Simon Hantaï, de Charlie Mingus à Claude Ollier, d’Alain Resnais à Alain Robbe-Grillet, de Cyd Charisse à Christian Dotremont (et j’en passe), l’année 2022 a été fertile en centenaires. Il en est de même en 2023, Geneviève Asse (artiste peignant à la pointe de l’œil) et François Cavanna (co-inventeur de Hara-Kiri) ayant ouvert le bal en janvier et février dernier.

Et s’il était l’heure de faire « dérailler la machine » ? Ainsi s’interroge Jacques Deschamps dans son remarquable et stimulant essai, Éloge de l’émeute qui vient de paraître dans la très belle collection « Trans » des Liens Qui Libèrent. Derrière ce titre volontiers provocateur en ces temps où les ministres macronistes fustigent le « terrorisme intellectuel » ou condamnent les cinéastes qui ont reçu de l’argent sans « penser » comme eux, Jacques Deschamps offre une réflexion aussi juste que brillante sur la nécessité aujourd’hui de l’émeute face au néolibéralisme totalitaire.

« Je compte sur la chose suivante : dans dix, quinze, vingt ans, on sera encore plus dans l’audio-visuel, l’écriture apparaîtra de plus en plus comme un réservoir de sons fondamentaux. » Philippe Sollers, lettre à Dominique Rolin, le 24/7/1976

1976 : Sollers est à New York où il écrit son chef d’œuvre Paradis. Déjà chauffé par Drame, H, ou Lois, il plonge au cœur de la grande capitale électronique, la terre promise des mutants, le plus fabuleux roman de tous les temps… Un demi-siècle plus tard, qu’est-ce qui frappe le lecteur de Paradis ?

Que menace le sourire des femmes chez certains hommes ? Que vient défier un sourire au point d’exiger qu’il disparaisse ? Les réponses me viennent par dizaines et chacune d’elles m’insurge. Dans ce livre, tous les sourires sont amenés à disparaître des visages comme une longue crispation en grimace, un chemin vers la laideur. Une défiguration donc. Celle, lente et terrible, d’un jeune couple dont l’histoire est narrée par celui qui a frappé à mort celle qu’il aimait. Avec Baisse ton sourire, troisième roman de Christophe Levaux paru aux éditions Do en janvier dernier, nous lisons un récit de violence conjugale, orchestré par une narration houleuse, cynique et intelligente.

Un jour Marie Darrieussecq a perdu le sommeil, qu’elle pensait pourtant son ombre. Dans Pas dormir, l’autrice se plie aux scenarii alternatifs que lui dictent ses insomnies : penser, lire, écrire, chercher ce qu’une trinité tutélaire (Kafka, Cioran, Proust) et tant d’autres auteurs ont eux aussi traversé. Ce livre est « le résultat de vingt ans de voyage et de panique dans les livres et dans mes nuits ». Mais il est  surtout une manière radicalement autre de se dire, une forme d’autobiographie par l’insomnie qui échappe à toute limite formelle parce que son sujet est, en définitive, l’éveil, à soi et au monde.

Hemingway rêvait d’un concours du meilleur écrivain disputé aux poings. Parmi les poids lourds de la discipline (pour son œuvre majeure, pas pour son gabarit physique…), Joyce Carol Oates pour son fameux De la boxe, reparu début mai dans la collection « Souple Deluxe » des éditions Tristram, dans la traduction intégrale, par Anne Wicke, d’un essai paru en 1987 puis 1995 aux États-Unis et assorti d’une conversation finale avec l’autrice.

Numéro R, le salon des revues de création poétique en région sud organisé par le CIPM, se tiendra à Marseille du 26 au 28 mai 2023. Ce rendez-vous annuel, consacré à ces laboratoires importants de la création que sont les revues de poésie, proposera un ensemble de rencontres et de lectures réunissant revues et poètes/poétesses.

À la frontière, on peut ressentir un certain détachement envers ce qui ne cesse de tomber en toutes saisons, tout en entretenant une curiosité maladive pour ce qui a le pouvoir de relancer l’attente, en la décevant. Aujourd’hui, c’est bande dessinée, avec cet etc. relatif à de trop rares débordements du champ qui, s’ils ne satisfont guère les aficionados de la BD, comblent les amateurs d’imbrications inédites entre les mots et les images.

Paru tout récemment aux éditions Ardemment, Affreville est le récit (ni fiction ni essai historique) jusqu’alors inouï du râle de la défaite qui a résonné sur la génération des familles des militaires français en poste en Algérie pendant la guerre d’indépendance. Ce texte dense, rythmé de séquences et tableaux montés entre eux comme les plans d’un film, dépasse largement le cadre habituellement dévolu au genre du « témoignage » et n’est surtout pas, il faut le dire tout de suite, un énième livre sur la guerre d’Algérie.