Choses lues, choses vues (2): Julia Deck (Monument national), Pierre Vinclair (L’Éducation géographique)

© Alix Rosset

1.

“Les curieux nous visitent encore de loin en loin. À travers les grilles hérissées de flèches à pointes d’or, ils glissent leurs appareils pour immortaliser la façade jaune et lisse. Du petit salon, nous les observons se recueillir, échanger sourires et larmes devant la dernière demeure d’une gloire nationale, figure du patrimoine français.” Cinquième roman de Julia Deck aux Éditions de Minuit, Monument national fait suite à Propriété privée, tout d’abord chronologiquement, mais aussi parce que certains des personnages, dans un premier temps masqués, y font retour – l’intrigue n’étant pas dépourvue de surprises dont bien entendu nous ne dirons rien. Monument national peut se lire assez vite, car s’y illustre une science certaine de la mise en place et du rebondissement qui le rend assez entraînant. Mais, loin de l’épuiser, cette première lecture – de pur plaisir – en incite assez rapidement une autre, moins linéaire et crayon en main. Le hasard a son mot à dire dans ce vagabondage à la recherche de détails qui nous auraient échappés. Par exemple, je tombe sur ces mots : “Soudain Victoria bondit du pouf.” Un parfait lipogramme en “e” ! Je me demande s’il y en a d’autres et fait une petite recherche rapide, sans en trouver. Fausse piste ? Non, on comprend de suite que, s’il y a usage de contraintes, elles ne sont pas de cet ordre : probablement bien plus secrètes, voire indécelables.

À la seconde lecture, on reprend lien avec l’histoire et les personnages qui gagnent en présence. Se faisant moins prendre au piège de l’attente (mais bon sang, que va-t-il se passer au chapitre suivant ?) on porte davantage attention aux questions de forme (ce qui touche à la construction) pour au final renouer avec l’essentiel : la jubilation que ce cinquième opus de Julia Deck apporte généreusement à qui choisit de le lire plutôt qu’un autre, en cette rentrée littéraire saturée de romans, parfois surévalués (comme le plus gros d’entre eux, qui est aussi le plus laid, côté fabrication : redoutable vulgarité des prétendus beaux objets) et le plus souvent insignifiants. Le problème après coup, c’est de trouver le déclic – ou le meilleur angle d’approche – pour en “parler” de manière aussi simple que possible, sans rien dévoiler de l’intrigue – le but n’étant pas d’en faire la “critique”, mais d’établir brièvement, et de manière un peu désordonnée, donc vivante, une sorte de compte-rendu d’enquête tant sur le livre (et qui l’a écrit) que sur qui l’a lu. Si Monument national peut parfois prendre l’allure d’une sorte de “chronique du contemporain”, par frottage entre diverses formes plus ou moins éprouvées – aussi bien dix-neuviémistes que plus récentes – du roman ; si, tout au long de cette histoire fortement ancrée dans l’époque où elle se déroule (la nôtre), les classes sociales se frottent, non sans danger (chacun gardant sa place, même quand s’opèrent des déplacements plus ou moins forcés), dans l’espace de plus en plus resserré où sont progressivement confinés les personnages (un château dans les Yvelines, du côté de Rambouillet, propriété privée d’une star de l’écran, de sa jeune épouse, une ancienne Miss Provence-Alpes-Côte d’Azur, de leur enfant, adoptée, et d’une grande fille d’un premier mariage, entourés de divers domestiques et employés, dont certains venant du lointain Blanc-Mesnil en Seine Saint-Denis), Monument national est, une fois encore, pour reprendre les mots de son autrice, une expérimentation singulière du roman en tant qu’“espace pulsionnel rêvé”. Et il est vrai que ce qui en fait la force, c’est davantage ce qui sourd que ce qui se montre au premier plan (même si l’un ne va pas sans l’autre). En réponse à une question de Johan Faerber au sujet d’un des personnages principaux du roman (“Serge Langlois, acteur de cinéma, la fameuse « gloire nationale, figure du patrimoine français »”), Julia Deck dit qu’elle “s’interroge depuis longtemps sur la place que prennent dans nos vies certaines célébrités, la facilité avec laquelle elles s’y invitent sans que nous cherchions pourtant à nous renseigner sur elles. […] C’est comme si une catharsis collective s’opérait à travers leurs corps symboliques, dans une époque où, par ailleurs, le sentiment collectif s’effrite terriblement”, avant d’ajouter qu’elle est aussi “intéressée par la figure du patriarche qui concentre l’attention de toutes les femmes autour de lui. Ces femmes sont plus ou moins sous sa domination, et elles le lui font chèrement payer par les moyens à leur disposition, des moyens essentiellement domestiques.”

Julia Deck © Hélène Bamberger / éditions de Minuit

Truffé de références – parfois énoncées clairement, parfois sous-entendues – à des personnages, des lieux, des marques, des objets, voire des événements ultra-médiatisés, Monument national ne se refuse pas une certaine artificialité – au sens le plus fort de ce mot qui est signe, me semble-t-il, de grande qualité, et peut-être même en premier lieu de lucidité. Cette fiction hyper-construite est, non seulement une machinerie bien huilée (comme dans un roman de genre, à intrigue, où le suspense est maintenu jusqu’à l’excipit), mais aussi, et surtout, une suite de dérapages, d’accidents, de déviations, de mise en danger de ce caractère trop bien huilé, notamment par le choix malicieux d’une très jeune narratrice, peu fiable car traversant en toute ingénuité les frontières entre réel et imaginaire, tout en s’avérant être une observatrice assez pointue. Et c’est justement cela qui, pour le coup, l’inscrit dans les contes et décomptes – ou comptes et déboires – du “monde contemporain”, plutôt que dans ce sous-genre que serait le “roman réaliste” (ou, de manière plus fine, “social”) : bien en phase avec notre société en voie d’effondrement. Histoire de jouer, justement, avec l’Histoire, il m’a semblé à première lecture y retrouver quelque chose de La Règle du jeu (de Jean Renoir – pas de Michel Leiris) : ce règlement de compte ironique entre classes sociales cohabitant dans un même lieu, huppé, aristocratique (décadent) ; sauf que cette fois, c’est la banlieue (le 9-3, à l’Est de Paris) qui pénètre un château, sis à l’opposé sur la carte, et peuplé, non de descendants plus ou moins fauchés des classes élevées du temps jadis, mais de richissimes parvenus (comme diront certains, non sans mépris). Histoire de frères et sœurs ennemis qui ont finalement beaucoup en commun qu’on ne saurait le croire.

Julia Deck, qui est très subtile, même s’il lui arrive de (volontairement) tirer quelques grosses ficelles, dissémine çà et là dans son texte quelques faux amis (ou fausses amies). Il y aura sans doute une forme de jubilation pour certain(e)s à envisager leur lecture avec un côté “quiz” : ai-je bien deviné qui a été le modèle de tel ou tel personnage (ou objet ou lieu, etc. – on note au passage qu’on trouvait aussi quelque chose de cet ordre dans La fille qu’on appelle de Tanguy Viel) ? Certains noms sonnent très proches de ceux de personnalités réelles de la vie publique (Dominique Bernard, par exemple). Emmanuel comme Brigitte Macron jouent leur propre rôle (de marionnettes télévisuelles, apparaissant “bien plus petits et minces qu’à l’écran”). Et les gilets jaunes (dotés ou non de patronymes) de même, histoire de mieux fixer l’époque. Mais, le “rival d’Alain Delon”, qui a le même prénom que Gainsbourg et le même nom que le cofondateur de la Cinémathèque française, a quand même un certain nombre d’années de moins que le vieux séducteur des années 1960-70, et fait songer à d’autres modèles – et surtout à plusieurs, mélangés dans un shaker pour composer un cocktail explosif (et dépressif) –, le tout collant parfaitement au plus dérisoire de ce qu’on nous rapporte de l’actualité. On se dit parfois : ils existent vraiment ces gens-là ? Y compris (et surtout) s’ils se tiennent au sommet de l’état (ou en haut de l’affiche) : ils jouent pour donner illusion ? Mais comme on passe du vaudeville à la tragédie, il n’est plus question de se satisfaire d’un petit rire moqueur à leur sujet, on se rend compte que, oui, ils sont “vrais”, c’est-à-dire bien plus faux que faux.

Comme déjà noté, on retrouve dans Monument national quelques personnages de Propriété privée (ce qui permet à l’autrice d’élucider certains mystères que ce livre avait laissé en réserve), mais la relative familiarité qu’on pourrait avoir gardée d’eux, en lecteurs (et même relecteur en ce qui me concerne) de ce précédent opus, ne nous rend pas ces retrouvailles évidentes (Julia Deck fait travailler notre mémoire, ce qui nous conduit à explorer certaines failles, certaines zones non-cartographiées de la fiction – et c’est une belle idée, la seule qui vaille, au fond, quand on envisage d’être lu(e) avec attention). Ce cinquième roman (en dix ans – le tout premier, Viviane Élisabeth Fauville ayant été publié en 2012) est, pour reprendre une expression de l’assez ironique Erik Satie, une sorte de “divertissement sérieux”. Divertissement, car il s’agit d’un livre plutôt divertissant dans tous les sens du terme (divertir = distraire, sachant que distraction peut aussi bien signifier évasion qu’égarement). Et sérieux aussi, mais à condition de ne pas confondre le sérieux, c’est-à-dire la prise en charge de certaines exigences, et l’esprit de sérieux qui est à fuir. J’espère que je n’en ai pas trop dit, et que, faisant cette petite recension, je n’ai déposé que quelques appâts. Il est temps de prendre congé, non sans avoir prélevé une dernière citation (vers la fin du chapitre 24 – sur 36) : “J’étais en train de raconter à mon frère l’affaire du petit Grégory, quand retentit le carillon du portail. Ambre oublia la télévision, où un présentateur trop bronzé égrenait avec passion le décompte des morts, des patients hospitalisés, des patients en soins intensifs, pour fixer la porte. Cendrine mit un terme à sa partie de Candy Crush et traîna ses chaussons jusqu’au vestibule pour contrôler la caméra de surveillance. Elle s’apprêtait à éconduire les visiteurs quand elle s’arrêta net devant l’écran. Ambre, qui l’observait depuis le grand salon, se pétrifia d’épouvante, et Madame Éva rejoignit Cendrine pour se rendre compte par elle-même. Comme toutes deux restaient pâles et muettes devant le moniteur, je lâchai le petit Grégory pour aller voir à mon tour.”

2.

Pierre Vinclair publie beaucoup depuis quelques temps, petits livres comme gros volumes – pas moins de six en 2020-2021 (nous avons rendu compte ici-même de quatre d’entre eux : La Sauvagerie, Agir non agir, Le confinement du monde et Vie du poème) –, sans oublier les collections qu’il dirige (tel “S !NG” au Corridor bleu) et son implication dans la revue Catastrophes. La nouvelle année commence pour lui sur les chapeaux de roue avec la parution de L’Éducation géographique, pas loin de 400 pages format 16 x 20 dans la collection Poésie/Flammarion (où il a déjà publié trois ouvrages entre 2009 et 2018). L’Éducation géographique est le premier volume d’Encadrements, une œuvre au long cours “composée de 100 poèmes au total, destinée à se poursuivre dans trois autres volumes au fil des années.” “Un livre des lieux”, traversant “de nombreux territoires, du pays nantais à l’Angleterre du Brexit en passant, entre autres, par Hollywood, Rome, Hong Kong, Amsterdam ou l’Australie.”

Ouvrons-le à son milieu (la section 13 / 25, No Trane to Milan) : “Toute « œuvre » essaie quelque chose, de rejoindre quelque chose ; de trouver à travers une page salie, une toile trouée, une partition constellée de repentirs au crayon de papier, un lieu – de faire advenir ce lieu – faire avoir lieu.” Dans ce poème, traversé par le son du sax ténor de John Coltrane (pas besoin d’allumer la platine et l’ampli pour l’entendre, il surgit dans le souvenir à l’énoncé du mot “arabesque” dans les toutes premières lignes du texte), brèves proses et vers alternent :

“J’improvise dans le plein air,
carnet
éclairé par un rayon chaud”

Et quelques pages plus loin : “Ce que je cherche ? Ni découvrir, ni cartographier, ni expliquer l’espace. À sauver quelque chose. Pas le gros monde et pas ma petite vie. Pas des idées, des sensations, des ratiocinations : j’enregistre dans l’écriture le miracle d’une pensée en forme, improvisée dans son commerce avec les autres. Il dit que pour chacun ce qui compte peut avoir lieu. Ou qu’on peut le faire avoir lieu. L’écriture est cette liturgie.”

Livre majeur d’un auteur prolixe, L’Éducation géographique, “vaste mémorial inscrit dans la réalité d’aujourd’hui” “adressé” par l’auteur “à ses deux filles et au monde qui les attend”, se lit avec plaisir, chaque section (ou poème) étant construite de manière singulière, comme s’il s’agissait d’explorer – d’éprouver concrètement – autant de formes poétiques que possible, de celles qui trainent une longue histoire (comme le sonnet dans la section 16 / 25, L’Anti-Ulysse) à d’autres, plus inédites : forgées pour l’occasion.

“JE SUIS RAVI car les nuages qui passent me saluent
Tels des lapins, ralentis par le vent chaud, épais”
(section 15 / 25, Du Fu en Australie, p.225)

“Pendant le trajet en voiture, me la faire à l’
Aborigène, avec dreamphrases envoyagées
De location, et mes dreadlocks imaginaires,
Mes filles en siège-bébé, sanglées, européennes”
(id., p.227)

“Il trouvait dans ce chant sa raison d’espérer – d’attendre
Et de passer les jours – ou rien. Peut-être aurait-il dit
Oh tu sais, moi, la poésie, j’y comprends rien : ce qui me bo
Tte c’est pêcher du saumon, fabriquer des hameçons et couri
R les jupons ; ce que j’aimons c’est mater les poissons sau
Ter, puis organiser une expédition au bush. La poésie… Et les
Nuages au ralenti passent comme des lapins au visage dé
Foncé, des lapins bruns – lapins – par Francis Bacon peints.”
(id., p.232)

L’auteur semble ne jamais s’être longtemps fixé dans un lieu précis, même vaste comme un continent. Il s’est rapproché récemment du pays natal (il est né, il y a 40 ans, à Aurillac, dans le Cantal, avec des origines bretonnes du côté maternel, avant de déménager assez régulièrement, suivant enfant sa famille, puis celle qu’il a fondée avec femme et filles, le plus souvent dans les ”lointains”). Après avoir vécu récemment à Londres, il s’est établi en Suisse, à Genève – mais va savoir si c’est encore le cas au moment où j’écris ces lignes (je n’ai encore jamais rencontré Pierre Vinclair ; je lis ses livres afin de pouvoir entrer en dialogue avec lui, sans connaître sa voix, sans savoir s’il ressemble physiquement aux portraits que j’ai vus, notant au passage que Flammarion a publié en contrepoint de ce nouvel opus une photo de jeunesse de l’auteur doté d’une chevelure assez fournie). Donc cette histoire de lieux, c’est vraiment son affaire : sillonner le monde, en hôte de passage, ou de manière provisoirement sédentaire, installé (à Shanghai par exemple) pour une certaine durée, et en tirer quelque viatique pour l’écriture.

(…me revient tout à coup un titre de Michel Chaillou, celui d’un de ses plus beaux récits : Le sentiment géographique. J’abandonne alors quelques instants ma lecture de L’Éducation géographique pour relire quelques pages de ce livre d’une grande beauté, paru en 1976 dans la collection “Le Chemin” chez Gallimard, qui traite de “l’évidence que toute rêverie apporte à sa terre.”)

Je reprends. Et note que la vingt-cinquième et dernière section de ce premier volume de cette tétralogie, Encadrements, est un poème d’amour (comme le premier, le sixième, le dix-huitième, et au fond bien d’autres encore) à sa femme comme au fleuve : “FEMME EST LE Rhône, Homme est de mer ou le contraire” […] et “voici les filles du Rhône : Amaël et Noah / qui ne sont nymphes, sirènes productrices de joie / habitant avec leur mère dans la gendarmerie / que perce un rayon l’hiver à l’énergie duquel j’écris” (section 18 / 25, p. 285). Œuvre autobiographique adressée, où l’on peut aussi bien tomber sur “Quand je ne comprends pas, je me dis que ce doit être vrai” que sur “Clémence s’avançant sans me voir […] / C’est quand je l’embrasse quelle me reconnaît” en passant par “nous ne fuyons ni n’espérons rien nous sommes / heureux de regarder en face le vide que couvre / un frêle papier peint de signes et de choses que le / bateau que nous suivons a embarqués déjà” ou encore “Le poème est-il comme une toile / à regarder en demi-jour / ou en pleine lumière ?”, L’Éducation géographique, faisant montre d’une écriture ni minimaliste, ni volontariste et toujours d’une étonnante fluidité, se dévore, et ce n’est pas là son moindre mérite. Si Pierre Vinclair publie beaucoup en effet, il se lit aussi – chaque poème se traversant d’un seul souffle, sans transformer ses lecteurs en marathoniens, et surtout sans les laisser au bord du chemin, comme si ses lieux, dans lesquels nous n’avons jamais mis, pour la plupart, les pieds, étaient aussi les nôtres.

© Alix Rosset

Deux livres pour finir. Le premier, publié par les éditions Méridianes à Montpellier, est composé de cinq poèmes de Pierre Vinclair en trois vers (5 / 7 / 5), publiés en français ainsi que dans une traduction de la calligraphe japonaise Yuka Matsui, co-autrice par ses dessins de cet ouvrage, à la fois sur beau papier et modeste, qui a pour titre Éléments. 5 x (5 + 7 + 5) = 85 syllabes au total (il me semble qu’il serait incorrect de recopier ici ne serait-ce qu’un seul de ces haïkus). Et 16 dessins (en comptant une seule fois celui de couverture, reproduit une seconde fois à l’intérieur – si on le prend en compte, on obtient 17). Une rencontre, occasionnée par la venue en France de l’artiste en résidence à Sète (les deux s’étaient rencontrés à Tokyo en 2010 quand le poète avait été lauréat de la Villa Kujoyama à Kyoto), imprimée en édition courante à 500 exemplaires, dont 30 accompagnés par une calligraphie originale.

Éléments, dessins de Yuka Matsui © éditions Méridianes

Le deuxième est un livre collectif : une anthologie composée par Marie de Quatrebarbes pour la “collection S !NG” (déjà évoquée) que Pierre Vinclair dirige au Corridor bleu, intitulée Madame tout le monde, en écho à Tout le monde se ressemble, l’anthologie d’Emmanuel Hocquard, publiée chez P.O.L en 1995. 40 noms au sommaire – 39 contributrices (une a disparu mystérieusement, Marie de France, dont un merveilleux poème traduit de l’ancien français par Laura Vazquez nous est proposé) sont répertoriées en fin de volume, même si certaines d’entre elles sont des contributeurs, car, si le but de cette anthologie est de “rassembler des jeunes femmes” (18 au total) “ayant publié leur premier livre entre 2008 et 2020”, ces poètes ont été invitées à “fournir deux textes : un texte inédit de chacune, et un texte issu de leurs autres pratiques, ce qui les conduit  à coopter d’autres noms (pas nécessairement de sexe féminin) afin de “proposer une série de constellations, le travail de chacune des contributrices s’épanouissant – par les revues, les entretiens, les critiques, les traductions – dans son rapport à d’autres œuvres. Si bien que Madame tout le monde n’est pas toujours femme, pas nécessairement française et pas seulement poète” (Pierre Vinclair).

Marie de Quatrebarbes : “Il sera ici moins question de génération que de circonstances, celles qui nous rassemblent de facto. Ces pages ont vocation à porter un certain regard sur la poésie contemporaine de France, ces dix dernières années. Mais ce n’est ni un best of, ni un panorama exhaustif. […] Que voit-on apparaître entre ces pages ? Il me semble que quelque chose fait irruption. En même temps qu’elles écrivent, les poètes de ce volume inventent des configurations qui font vivre la poésie au-delà d’elles seules. Peut-être parce qu’elles n’ont d’autre choix que de fabriquer le monde dans lequel elles veulent vivre, leur démarche est conflictuelle d’emblée. Fabriquer le moule, le briser, en reconstruire un autre : c’est comme cela qu’on vit.”

Il est toujours problématique de rendre compte d’une anthologie : que choisir parmi ces constellations pour apporter ne serait-ce qu’une vague idée de ce qu’elle contient ? Comme j’ai cité le nom de Laura Vasquez, prenons congé en reprenant les derniers vers d’un poème de cette dernière, Les ombres entre les organes font tenir les organes :

“les paupières simples ou doubles de certains animaux
à demi
ouvertes
la nuit
un seul détail
imaginativement j’avais un enfant
j’écrasais des miettes de pain sur son ventre
imaginativement
j’avais l’impression d’être
une trace
sur moi
jeter une petite aiguille
dans un liquide blanc
ô tu sais les sons n’ont pas d’endroit
la lumière est célèbre”

(pour information, voici les noms des autrices et des auteurs au sommaire de Madame tout le monde : Pauline Allié, Florence Andoka, Amandine André, Babouillec, Sarah Bahr, Rim Battal, Konrad Bayer, Farida Bellet-Belkacem, Katia Bouchoueva, Elsa Boyer, Cléa Chopard, Mona Convert, Carla Demierre, Penthésilée Ferreira, Marie de France, Jackqueline Frost, Laure Gauthier, A.C. Hello, Emmanuèle Jawad, Anne Kawala, Annie Lafleur, Marguerin Le Louvier, Tristan Marquardt, Michèle Métail, Angéline Neveu, Élodie Petit, Camille Pageard, Muriel Pic, Marie de Quatrebarbes, Lisa Robertson, Galina Rymbu, Julie Sas, Marina Skalova, Verity Spott, sabrina soyer, Jørn H. Sværen, Lucie Taïeb, Lise Thiollier, Laura Vazquez et Victoria Xardel)

Julia Deck, Monument National, Éditions de Minuit, janvier 2022, 208 p., 17€
Pierre Vinclair, L’Éducation géographique, Poésie/Flammarion, janvier 2022, 384 p., 25€
Yuka Matsui (dessins) et Pierre Vinclair (poèmes), Éléments, éditions Méridianes, novembre 2021, 15 €
Madame tout le Monde, Une anthologie composée par Marie de Quatrebarbes, Le Corridor bleu, janvier 2022, 264 p., 22 €