Pierre Vinclair a écrit une vingtaine de livres (poésie et essais), parmi lesquels Sans adresse (Lurlure, 2018), La Sauvagerie (José Corti, 2020), l’Éducation géographique (Flammarion, 2022) ou Terrorisme et alchimie (Hermann, 2023). Il est également l’auteur principal des œuvres de Claire Tching, dont la récente Poésie française de Singapour, anthologie raisonnée, quoique imaginaire, d’un courant souterrain de la poésie française globale. Claire Tching a pour sa part assuré l’édition critique de Bumboat de Pierre Vinclair (Le Castor astral, 2022).

Lisons. Ce sont des sonnets, en effet. Tout le développement de chacun de ces poèmes tend vers la pointe, comme le font les sonnets depuis leur invention. Cette chute, toutefois, est ici une conclusion, mais une conclusion ouverte : le poème amorce son dénouement selon ses propres nécessités internes, selon l’angle adopté pour exposer la matière qu’il traite, dans l’instant où il s’énonce. Sa chute, amenée par voltes successives, énonce toujours à la fois une de ces vérités que rien ne viendra contredire, et prévoit le passage à une nouvelle perspective d’approche. C’est impeccable.

À plusieurs reprises, on peut lire dans le premier volume du roman-fleuve qui retrace l’ascension politique de Benito Mussolini, M. L’Enfant du siècle, une description singulière des communistes italiens des années 1920. Depuis le point de vue des fascistes, en effet, les ouvriers (et, dans l’extrait suivant, les paysans de Bologne) semblent moins engagés pour des idées politiques — ni même reliés voire endoctrinés par une idéologie — qu’ensorcelés par « l’habituelle exhortation en direction de la foule, l’habituel mot magique “révolution’’. »*

Cher Maxime,

Je viens de refermer Faire trace, que j’ai lu avec le plus grand intérêt. Nombreuses sont les perspectives ouvertes par le texte qui mobilisent la réflexion de ton lecteur. J’ai particulièrement été sensible à la problématisation (lyotardienne, disons) de la difficulté de parler d’un événement, la Shoah, ayant pour singulière et tragique caractéristique d’avoir détruit sa propre factualité. J’ai souvent eu en tête le paragraphe 22 du Différend qui consiste en un appel relativement optimiste à la puissance créatrice de la littérature, convoquée pour conjurer l’impossibilité de parler…

Indéniablement, livre après livre, Pierre Vinclair s’est imposé comme l’un des poètes français contemporains majeurs. Preuve en est encore avec son nouveau recueil de textes, Idées arrachées qui vient de paraître aux éditions Lurlure, dont le poète s’entretient ici le temps d’un grand entretien pour Diacritik avec Fabien Aviet et Nicolas Poirier.

Car même si j’errais pas après pas
par Holzwege déteignant en mille séries…
Le Galaté au Bois
, p. 113

Dans Le Galaté au Bois, Zanzotto mobilise à plusieurs reprises le mot allemand Holzwege, que l’on peut traduire (il a donné son titre à un célèbre recueil d’articles de Heidegger) par « chemins qui ne mènent nulle part ».
J’en trace modestement trois dans ce livre magnifiquement édité par la Barque.

Se retenir de commenter la poésie, jusqu’au jour où l’amitié commande de rompre avec ce pacte non écrit. Dans l’impossibilité de se dérober, le lecteur non praticien sort de sa réserve et, après avoir taillé dans la matière qu’il se propose de faire passer, bricole quelques agencements. Drelin’, drelin’, le leitmotiv du montage revient dans ces chroniques comme le train électrique offert au jeune Sammy Fabelman passe et repasse, jusqu’au crash, sur le circuit ovale de l’atelier paternel [en aparté : il faudra revenir un de ces quatre sur The Fabelmans – film plutôt réussi d’un cinéaste, Steven Spielberg, qui d’ordinaire me laisse indifférent –, ne serait-ce que pour interroger cette curieuse unanimité critique, les plus fins comme les plus crétins des commentateurs en place lui ayant accordé une même pluie d’étoiles à laquelle je veux bien souscrire, même si quelques traces de sentimentalité conventionnelle gâchent un peu la fête.

Après une semaine de pause, vingt-cinquième constellation de l’année, avec cinq (ou neuf) livres (tout dépend comment on compte) dont la pagination n’est pas excessive : lus dans les intervalles du travail, parfois à la maison, parfois dehors (en particulier dans les transports) – le bonheur étant de s’installer dans un dedans du dehors : une véranda par exemple, où Internet serait coupé (comme dans le troisième Conte du hasard de Ryusuke Hamaguchi).

Qu’a-t-on coutume d’appeler « révolution » ? Un renversement général de l’ordre des choses, donnant brusquement naissance à une manière de part en part nouvelle d’organiser la société. En cela, il s’agit de l’événement (politique, historique) par excellence : d’une part quelque chose d’imprévisible, d’inimaginable avant sa réalisation, c’est-à-dire une création.

« My Alejandra Pizarnik », le « portrait approximatif d’Alejandra Pizarnik par Liliane Giraudon » qui sert de postface à ce volume, s’ouvre ainsi : « Alejandra Pizarnik c’est-à-dire Flora Alejandra Pizarnik naît le 29 avril 1936 à Buenos Aires sous le signe du Taureau. Alejandra Pizarnik née dans une famille juive très récemment émigrée de Galicie. ‘Par mon sang juif je suis une exilée. Par mon lieu de naissance je suis à peine argentine (le côté argentin est irréel et diffus). Je n’ai pas de patrie…’ » (p. 323).