Pierre Vinclair : Une élection ordinaire (Qu’attendez-vous de cette présidentielle ?)

© Jean-Philippe Cazier

Préambule

Avant notre commun naufrage
Anticipons d’être déçus :
Battage public des suffrages
N’a jamais que souffrance élu :
L’espoir levé qui s’abat tue
Comme la rime en poésie :
Tu voudrais, toquard, le salut ?
Tu n’obtiendras que Sarkozy.

Qu’attendre des Présidentielles ?
Complaisants ou MÉDIAS CRITIQUES,
Frais de campagne démentiels,
Sondes sur le nom de Schmilblick
Boules puantes polémiques —
Rien d’autre ? Eh bien, non, plutôt (non)
Qu’aux filles et garçons publics,
Je donne ma voix à Manon

(Christophe), Villon et à telles —
« Je suis demandeuse d’emploi,
Je n’obtiens d’escompte à Noël,
À prime d’énergie n’ai droit,
Ni APL — quoi que ce soit ;
Onc ne refuse à travailler —
Suis en intérim chaque mois
Je vis seule et dois tout payer » —

Qui en CAHIERS DE DOLÉANCES
Écrivaient : « Faites un peu pou
R les gens oubliés de la France
Ignorant les fards du discou
Rs, pleins d’une rancœur qui rend fou,
Expirant, terrés sous le seuil
De pauvreté, sans le secou
Rs de filiformes portefeuilles. »

Ou celle-ci : « Je suis la preuve
Qu’un revenu DE REVERSION
Ne peut suffire à vivre veuve
(Beaucoup n’ont que cette pension)
Au moins, pour que nous survivions
Ces ressources ne supprimez —
Qu’hommes en décomposition
Se sont à nous gagner crevés. »

Bref de l’élection je n’attends
Qu’elle améliore de ma poire
L’eau de vie (la tétant, content),
Mais qu’elle donne un peu d’espoir
Et de quoi bien manger puis boire
À ceux qui ne joignant les bouts
Ont encore droit de s’asseoir
Mais non force à tenir debout.

Ballade
[des Émancipés]

Comment peut-on s’y prendre s’il
Faut d’abord faire règlement
De ce problème difficile :
Doit-on distribuer l’argent
En imaginant que les gens,
Non captifs de malignes causes,
Ne sont à traiter en enfants ?
(Essaie donc un peu si tu l’oses !)

Ou vaut-il mieux désenchaîner
Les gros richards de leur richesse,
Les pauvres de leur pauvreté ?
Les paresseux de leur paresse ?
Et puis les qui de quoi ou qu’est-ce ?
Les névrosés de leur névrose ?
Les graisseux d’un surplus de graisse ?
(Essaie donc un peu si tu l’oses !)

Tu crois (à leurs conversations,
Leurs manières de consommer,
Aux causes de leurs émotions —
CLOUD RAP pâteux… séries télé
Porno… romans de Jean Teulé !)
Qu’ils ne comprennent pas grand-chose
Mais te retiens de le clamer —
Essaie donc un peu si tu l’oses !

« Nous ne passerons à l’action
À moins que l’un, dis-tu, propose
Aux autres L’ÉMANCIPATION » :
Essaie donc un peu si tu l’oses !

Inexpectations

Allons, je tourne autour du pot ?
PARDON MAIS avant que j’explique
Ce que j’attends, encore un mot
Quant à ce que (ça se complique)
Je n’attends pas des politiques :
J’attends ZÉRO de qui s’obsède
Sur la KONZTRUKTION chimérique
D’identités de série Z ;

Je n’attends rien de qui s’échine
À flatter le ressentiment :
Que peines et peurs sous-marines
Restent enfouies sous l’océan
De l’esprit ; n’attends rien des francs
Bourgeois, et moins de qui s’adresse
À eux souriante, mais lançant
Ses gaz (feux ou pets) de détresse ;

De qui promet, je n’attends rien
Si tous ses engagements rompt*
(Périmé déjà, le vaccin
Quand vint le variant omicron) ;
J’espérerais plus des étrons
Sur les trottoirs des Parigots
Que des rêvasseries d’un Don
Quichotte, ingénieux hidalgo,

Ou qui, non seulement perdra,
DÉJÀ fit perdre le pouvoir
Voilà vingt ans : a bu, boira.
Je n’attends pas plus le grand soir
Des comptines du répertoire
Que des pieds de CADET ROUSSELLE —
Ce n’est que du vent, cette histoire :
Ses souliers n’ont pas de semelle !

*À moins que ce fût le programme :
MacFly et Carlito (quels AS
SHOLES !) ; pleurs de croco sur Dame-
Notre ; asservissement de l’as
Semblée ; manque de masques ; flas
Hballisation des Jaunes Gil
Ets ; postures sur le Donbass ;
Chasse à mort des gens en exil.

Ballade
[en l’honneur de Shakespeare]

Le TEMPS DE CERVEAU pour télés
En continu, bonjour l’attente
Gonflée au scénario bâclé !
Qui le gagnant, qui les perdantes ?
Quelle aventure trépidante !
Vraiment ! J’invite à découvrir
Des intrigues plus décapantes
En lisant l’œuvre de Shakespeare.

L’enjeu est politique quand
Se joue l’héritage du ROI —
Trois filles se le disputant ;
Lors le bâtard en désarroi
D’un borgne au bord de la paroi
Le pousse ! Ah ! La grandeur martyre !
On peut ressentir cet effroi
En lisant l’œuvre de Shakespeare ;

Ou quand dans un cercueil voguant
Gît la morte vivante reine.
Sa fille étant vierge on la vend.
Elle, aux bordels de Mytilène,
Change en saints les hommes obscènes
Dans PÉRICLÈS. PRINCE DE TYR.
On voit la langue agir sur scène
En lisant l’œuvre de Shakespeare.

Laisse mes vers guider tes pas,
Les trouves-tu piètres ou pire,
Pour ceux qu’on prend dans l’estomac
En lisant l’œuvre de Shakespeare.

Souvenirs

Avant dire ce que j’attends,
Voilà ce dont je me souviens
De quelques scrutins précédents.
En quatre-vingt-quinze (gamin —
Treize ans et des pommes de pin) :
Balladur et Chirac, mais comme
Marionnettes face à Jospin
Dans les Guignols (MANGEZ DES POMMES).

Deux mille deux : j’ai l’impression
Que j’ai voté pour Besancen
Ot après moult hésitations —
J’en eus moins à franchir la Seine
Pour jurer : « BARRAGE AU F-HAINE ! »
Sous la République à Répu.
Valait mieux Chirac que Le Pen —
Je me suis quand même abstenu.

Deux mille sept : je me rappelle
De DÉSIRS D’AVENIR. Florian
En concevait pour la Pucelle
Du Poitou-Charentes aux dents
Limées — au débat de mi-temps,
J’ai cru pourtant que Ségolène
Pourrait gagner en défendant
La vertu des colères saines —

Que dalle ! De la quatrième
Me vient l’image de François
NORMAL Hollande (mince même
Dans l’immense peignoir en soie
Du Perv) mimant n’importe quoi —
Le changement c’est maintenant —
Puis répétant quatorze fois
« Gnagnagnagna, moi, Président »,

Deux mille dix-sept — ce hold-up !
Demeurera mon préféré :
Du feuilleton de Pénélope
À ce PROJEEEET égosillé,
Qui n’a jamais tant rigolé ?
Je m’en rappelle d’autant mieux
Que mes fous rires sont dressés
Dans Sans adresse (achetez-le !)

Ballade
[du peuple de gauche]

À propos de la création,
UN PEUPLE MANQUE, dit Deleu
Ze. Ainsi donc, de cette élection
J’espère beaucoup plus que peu :
Rien de moins que CRÉER UN PEU
PLE (comme deux fois en vingt ans :
Quatre-vingt-un, deux mille deux)
Voilà le peuple que j’attends.

Une classe ? Des prolétaires ?
Ou les « bien-pensants » de la GOCHE
BOBO-BIO, tout sauf populaire ?
Désespéré que les plus beaux ch
Ants soient souvent l’œuvre de gros ch
Arognards, je le suis autant
Par ceux qui bouchent toute ébauche —
Voilà le peuple que j’attends.

On se souvient de LA COMMUNE :
La justice en cours dix semaines
Par Versailles broyée dans une
Extermination inhumaine ;
Puisse être l’élection l’avène
Ment reporté du châtiment !
Adolphe au trou ! Louise revienne !
Voilà le peuple que j’attends.

La révolution tourne vite.
Le peuple naît mythiquement
Quand il la simule en un rite :
Voilà le peuple que j’attends.

Expectations

L’idée de justice est brisée !
Oh ! Les tranchants éclats de verre
Sur       la       Terre        traumatisée :
N’existe-t-il que la matière
Sa souffrance suffit à faire
Réclame à une insurrection.
L’IDÉAL n’est pas nécessaire
Pour faire la révolution.

BIEN SÛR QU’ON NE DOIT PAS RÊVER
(Perros, Une vie ordinaire)
Mieux vaut arpenter de ses pieds
Que priser un sens des affaires
Qui s’excite sur des chimères ;
Nous ne demandons pas la lune —
Le plus terre-à-terre au contraire :
Constituer des Bio-Communes.

Gary Snyder écrit : « Le geste
D’un conseil de bassin-versant
Esquisse un programme modeste :
TRAVAILLONS POUR QUE LE COURANT
DE TEL RUISSEAU SOIT ACCUEILLANT
AFIN QUE LE SAUMON SAUVAGE
S’Y REPRODUISE COMME AVANT —
Donc arrêtons le bétonnage ;

Empêchons l’établissement
D’une exploitation commerciale
En amont ; l’accaparement
De l’eau pour sa vente en aval ;
La surpêche du Portugal —
Toute une série de menaces
Locales, internationales,
Privant le saumon de sa place.

Si cette tentative touche
Patrons d’industrie forestière,
Paysans, pêcheurs à la mouche,
Quelque chose pourra se faire.
Mais l’accord n’aboutirait guère,
Tombé d’en haut : il faut, je crois,
Un SENS DES LIEUX, pas des affaires. »
(Voir page deux cent trente-trois).

La compétition politique,
La LIBIDO DOMINANDI,
Les intérêts économiques
Des animaux abâtardis
(Nous) doivent être assujettis
À la vie de l’ensemble — en somme
À créer la démocratie :
Le soin des bêtes et des hommes.

(Glosez, liardez, subtils esprits
Si la peur vous défend d’agir :
C’est la même idée qui permit
Aux prolétaires de s’unir
Et aux lettrés de discourir)
PLUTÔT QU’UN LOCATAIRE AU TRÔNE,
QUE LE SCRUTIN NOUS FASSE ÉLIRE
PEUPLE DU GANGE, AMOUR ou RHÔNE !

Pierre Vinclair

Dernier ouvrage paru : L’Éducation géographique, Flammarion, 2022