« Creative Memory of Syrian Revolution / Mémoire créative de la révolution syrienne » est un site web créé par Sana Yazigi en mai 2013. Son objectif est de construire une mémoire collective de l’histoire syrienne depuis le soulèvement de 2011, à travers l’expression « libre et créative » de ceux qui l’ont vécue. Il compose sur la toile un impressionnant « musée de l’insurrection syrienne » (Benjamin Barthe, Le Monde , 17 janvier 2021), et beaucoup plus encore.

Régis Jauffret a reçu le prix Goncourt de la nouvelle pour Microfictions II qui vient de paraître en poche. Si l’on ne peut que se réjouir qu’un prix littéraire couronne une œuvre fondamentale, on notera cependant combien le jury avait soigneusement contourné la mention « roman » portée sur la couverture en grand format et, ce faisant, décidé de considérer les Microfictions comme un recueil de 500 histoires et non un volume jouant avec maestria d’une tension entre fragment et flux, d’un (dis)continu et d’un (in)fini.

Et une fois de plus, écrivant non au fil de la plume, mais au crayon et à la gomme, le prétendu critique s’aventure du côté de la chronique. Il note en passant que ces deux mots ont six lettres en commun : crique, soit le lieu d’abordage qui ouvre sur les sentiers du terrain vague. Il fait attention de bien écrire crique, et non cirque – ou alors en accordant à ce dernier mot un sens lunaire, notre chroniqueur l’étant forcément un peu (dans la lune), surtout quand il esquisse ses “papiers” en marchant, ou en rêvant.

Dans un Paris jaune éclatant, Étienne Dardel couvre manifestations et soulèvements, il documente l’urgence et les dérapages policiers. Sous cette identité fictionnelle, on reconnaîtra facilement David Dufresne, auteur du roman — c’est le terme revendiqué en couverture — le plus furieusement politique de ces derniers mois, Dernière sommation, sous couverture jaune paille, un récit qui articule les événements brûlants d’un quinquennat qui ne cesse de déraper.

Un premier roman est toujours un événement même s’il est précédé, comme c’est le cas pour Hajar Bali, par d’autres livres. La littérature algérienne – femmes et hommes confondus – n’a cessé de s’enrichir ces dernières années. Écorces qui paraît simultanément en Algérie (Barzakh) et en France (Belfond) est un événement par la force de son propos comme par l’inattendu de son écriture, poétique et réaliste, narrative et introspective.

« Un homme se fixe la tâche de dessiner le monde », écrivait Borges : année après année, il multiplie les images, avant de découvrir, au seuil de sa mort, que « ce patient labyrinthe de lignes » a fini par dessiner son visage. Cet homme qu’imagine Borges dans El Hacedor, c’est Olivier Rolin écrivant Extérieur monde, depuis cette citation en épigraphe, composant son autoportrait via un arpentage de espaces autant géographiques qu’intérieurs, un désir du monde et de ses lieux, « un voyage à travers mes voyages », écrit Rolin en quatrième de couverture, « un atlas subjectif ».

En exergue de Voir de ces propres yeux d’Hélène Giannecchini qui vient de paraître dans « La Librairie du XXIe siècle », une citation d’Emmanuel Hocquard : « Ce ne sont pas des confidences, mais plutôt des descriptions de situations. Des leçons d’anatomie ».

Alors que le prochain livre de Max Porter, Lanny, sort à la rentrée, au Seuil, dans une traduction de Charles Recoursé, les éditions Points font reparaître dans leur collection « Signatures » La Douleur porte un costume de plumes, premier texte singulier de l’écrivain anglais, fable et conte du deuil.

Il est complexe d’écrire sur Manchette non dans la position du tireur couché mais dans celle du critique et universitaire : dans les Lettres du mauvais temps, formidable livre qui rassemble sa Correspondance entre 1977 et 1995, Manchette écrit que « les journalistes (…) n’ont plus le temps de lire », il n’y en a « pas un seul (…) à qui on puisse faire confiance », ajoutant, concernant les seconds que sans faire « d’anti-intellectualisme a priori (…) c’est un fait que tous les universitaires actuels, stricto sensu, sont des crétins ». Le ton est donné : la correspondance de Manchette est sans concession, noire, et pas seulement parce que son auteur est le maître du genre.

Puissant et bouleversant : tels sont les mots qui viennent après la lecture d’A la machine, le nouveau roman de Yamina Benahmed Daho qui paraît aujourd’hui à L’Arbalète. En contant pas à pas l’histoire tragique de Barthélemy Thimonnier, l’inventeur ignoré et demeuré désespérément obscur de la machine à coudre, Yamina Benahmed Daho présente la violence noire et aveugle du 19e siècle industriel, sa rage à écraser les plus pauvres et les plus fragiles. Dans un lyrisme mesuré, aux yeux secs et fixes, la romancière évoque aussi plus profondément, au-delà de son patient travail historique, la fureur sociale qui anime notre temps, comme si la machine à coudre de Thimonnier pouvait coudre ses luttes aux nôtres. Diacritik ne pouvait manquer de partir à la rencontre de l’autrice le temps d’un grand entretien pour ce grand livre social et politique.

Une séquence furtive dans un documentaire peut-elle changer le cours d’une vie, l’image qu’un fils avait de son père ? C’est la question que pose Papa de Régis Jauffret. L’écrivain voit son père arrêté par la Gestapo devant la maison de son enfance, en 1943 : 7 secondes d’un film diffusé à la télévision, La Police de Vichy. Or son père, mort en 1987, n’a jamais évoqué ce moment. Régis Jauffret se lance dans une enquête sur cet inconnu, son père.

Ardent et terriblement sensuel : tels sont les quelques qualificatifs qui viennent spontanément à l’esprit pour parler de Parler peau, nouveau et beau recueil de poèmes de Sabine Huynh. Déployés conjointement aux peintures de Philippe Agostini, les poèmes de Parler peau dévoilent un art poétique feutré où, autrefois blessure, le corps vient à s’apaiser dans la fureur de l’amour et trouver une ligne nue de langage pour venir dire l’autre. Dans ce tournoiement de formes et de forces, la poésie ne cesse de s’interroger entre parler peau, parler peu et parler cru. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre de l’autrice le temps d’un grand entretien.

1.

Il y a trois ans, à l’occasion de la parution de Grands lieux d’Hélène Gaudy, je découvrais cette collection de livres publiés dans le cadre de résidences d’auteurs du côté du lac de Grand-Lieu, au sud-ouest de Nantes – toujours en Loire Atlantique, mais non loin de la Vendée.

Longtemps la curiosité eut mauvaise réputation. Elle était le vilain défaut par excellence. Les religions la décriaient, les moralistes s’en méfiaient. Il est vrai que, confondue avec l’indiscrétion ou l’espionnage, elle était (et reste) peu vertueuse. En revanche, en ce qu’elle conduit à la connaissance dans son immense variété, elle se confond avec la vie même.