Le « Seuil du jour« , d’hier pour nous, livre en accès gratuit le temps du confinement, est En Camping-car d’Ivan Jablonka, invitation au voyage, récit en mouvement d’un historien qui fut adolescent dans les années 80 et propose, dans ce récit de soi en mouvement, une forme d’« ego-histoire » un je serti dans une époque. Raconter ses étés en camping-car sur les routes d’Europe, c’est proposer une traversée tout autant spatiale que temporelle, redessiner la cartographie d’un « paysage intérieur » en mêlant l’intime et le collectif, réécrire son CV, en quelque sorte, CV pour Curriculum Vitae et Combi Volkswagen…

« Tu en connais, toi, des gens qui ne sont pas dans le système ? Si demain arrive un extraterrestre, un type vraiment bizarre, avec un cul cimenté, une tête en plastique, je me dirais tiens, celui-là, il vient vraiment d’ailleurs. Et il ne restera pas trois jours sans entrer dans le système. Et à Libération, ils ne sont pas dans le système ? Où est-ce qu’ils achètent leur papier ? leur encre ? Les mecs qui travaillent dans leur imprimerie, ils sont à quelle sécurité sociale ? Et Jean-Paul Sartre, directeur de Libération, il est édité où ? (…)  Libération est dans le système. » Léo Ferré, interview par Louis-Jean Calvet, Libération, 25 février 1974, en réponse à ce journal qui l’« accusait » » d’« être dans le système ».

Le nouvel élu, visiblement ému  (debout derrière son petit pupitre) : Madame la Ministre des Troubles Séditieux à budget préservé, Madame la Présidente du Syndicat européen de l’Oligopole à frange, Monsieur  le Président du Centre national des lunch-box et des kit P.L.V, Monsieur le Secrétaire perpétuel des Revues émeutières entre elles, Madame la représentante des librairies réfractaires offrant une rose un jour par an pour tout achat dans leurs locaux, Mesdames et messieurs de l’Académie, chers amis,

Le procès des attentats de janvier 2015 a commencé le mercredi 2 septembre au Palais de justice de Paris. Un procès pour l’histoire lit-on partout. Un procès pour les vivants, pour les victimes et leurs familles ; un procès qui fait resurgir la douleur, le souvenir, l’horreur, l’injustice. Cette semaine, Diacritik vous propose de revenir sur des œuvres qui, frontalement ou en creux, parlent de Charlie avant « Je suis Charlie », des traumatismes, de l’après et de la reconstruction impossible et nécessaire. Parce que ces livres, ces albums, ces dessins, ces entretiens sont à la fois témoignages, traces, mémoire, histoire(s). Aujourd’hui : Le Lambeau, de Philippe Lançon.

Dans les dernières années de sa vie, Roland Barthes confiait dans une splendide lettre au jeune Guibert combien il trouvait toujours miraculeux que quelqu’un pose sa main, sans prévenir, sur son épaule. Sans doute ce miracle d’attention qui mue l’amitié en un geste de l’extraordinaire est-il au cœur de ce grand et beau livre de témoin aimant que signe Christian Rosset avec Le Dissident secret : un portrait de Claude Ollier qui vient de paraître.

S’il est toujours stimulant de réagir après lecture d’un ouvrage qui nous a “parlé” (même si son écriture s’avère aux antipodes de ce qu’on entend par parole ; même si dans un premier temps les mots nous manquent pour transcrire ce que notre corps et notre mémoire ont enregistré), il l’est davantage encore quand cet ouvrage dégage de vraies qualités graphiques. Souvenir des plus communs : l’émotion qui saisit l’écrivain au moment où, son livre venant de sortir des presses, il peut enfin le toucher, humer ses odeurs, d’encre et de papier, et en tourner les pages. Il m’est arrivé d’entendre, de la bouche d’auteurs pourtant exigeants, que leurs écrits pourraient être imprimés sur n’importe quel support, à partir du moment où le manuscrit est respecté. Mais personnellement, je n’ai que peu de plaisir à lire les ouvrages mal fagotés, mal composés, mal imprimés (et ne parlons pas des liseuses ou l’on peut changer la mise en page ou la police de caractères à volonté). Dans la réussite d’un livre imprimé, tout compte ; et tout devrait être pesé, jusqu’aux détails les plus insignifiants.

Bernard Pingaud est mort le mardi 25 février à Collias où il résidait depuis une vingtaine d’années. Né à Paris en 1923 dans un milieu bourgeois, normalien, secrétaire des débats à l’Assemblée nationale puis conseiller culturel auprès de l’ambassade de France au Caire, c’est par ses activités littéraires que Bernard Pingaud s’est fait connaître.

Thésée, sa vie nouvelle est le deuxième ouvrage de Camille de Toledo publié aux éditions Verdier (après L’Inquiétude d’être au monde, 2012). Il s’agit d’un roman s’inscrivant dans le sillon tracé par les récits fragmentés de Vies pøtentielles (Seuil, 2011) et poursuivant avec la même ardeur et vigueur la réflexion sur l’écriture de l’indicible, de l’invisible, de l’impensable, au sein de considérations touchant à la relation avec les ancêtres et à la transmission transgénérationelle.

Youssef Abdelké, peintre, graphiste et caricaturiste syrien, résidant à Damas après un exil de 24 ans à Paris, opposant de longue date au régime et ayant séjourné plusieurs fois en prison, ne livre pas vraiment un scoop dans son dernier dessin. Ce petit dessin publié sur la plateforme indépendante awanmedia a pourtant provoqué une avalanche d’injures haineuses, comme celles qui se déversent sur toute personne qui tente de décrire la réalité telle qu’elle la perçoit, sans faire allégeance à quelque parti ou groupe politique que ce soit.

Comment nomme-t-on aujourd’hui ce qu’on appelait un “papier” au temps où les frappes des machines étaient vraiment sonores ? Écrivant ces mots, je me désole d’entendre ces petits sons produits par le clavier d’ordinateur et les recouvre aussitôt d’une musique qui a la propriété de se mêler agréablement aux sons du dehors, aujourd’hui printaniers, et aux bruits des pages qu’on tourne. Parfois, c’est Schubert (Rosamunde) ; d’autres fois, Morton Feldman (Rothko Chapel) ; ou encore Cat Power, mais cette dernière en solo : Speaking for Trees, délicat bruissement, au bord du silence (pour ne pas dire : du précipice), où la voix semble d’autant plus juste qu’elle s’avère fragile. Une fois ces matériaux sonores et musicaux correctement mixés, c’est-à-dire se faisant oublier tout en apportant cette énergie mystérieuse qui permet d’avancer sans se rendre compte que le temps passe, des voix surgissent – prennent corps. Et quand leur présence devient manifeste, on est aussitôt téléporté sur le Terrain vague, cette autre scène où l’on touche concrètement les matières, comme on ramasse des morceaux de poterie ou des flèches brisées à terre.