Olivier Gloag offre au lecteur curieux d’une autre entrée dans l’univers camusien, un essai tonique et stimulant. L’approche en est multiple, à la fois historique, biographique, politique mais aussi soucieuse de l’analyse des textes. Associate Professor à l’Université de Caroline du Nord à Asheville, il a précédemment publié, en 2020 à Oxford University Press, Albert Camus, a very short introduction. Cet essai est édité par La Fabrique dont on sait le choix fait d’essais engagés, « ancrés politiquement à gauche de la gauche, mais sans céder à aucun esprit de chapelle, sans être inféodés à aucun groupe ni parti », selon la déclaration, en 2004, d’Eric Hazan, fondateur de l’édition.

Dans l’essai qu’elle consacre à Ananda Devi, Cécile Vallée insiste sur la notion d’hybridité, qui concerne déjà l’origine de l’auteure mauricienne : « arrière-petite-fille d’immigrés indiens », qui a « baigné dans plusieurs cultures et plusieurs langues ». Est aussi soulignée sa double activité d’écriture : littéraire et universitaire. Cette double casquette éclaire les thématiques qu’elle privilégie et explore avec une connaissance des milieux qu’elle met en scène : l’identité et le communautarisme dans une société multiculturelle.

Que l’on ait avec l’œuvre L’Etranger une proximité admirative ou plus réservée, on ne peut que s’incliner devant le phénomène littéraire que représente ses reprises par des lecteurs séduits et s’engageant à leur tour dans une adaptation ou une interprétation critique, comme le mangaka Ryota Kurumado et le critique Christian Phéline.

Dans son sixième roman, Le Silence des dieux qui vient de sortir en poche, Yahia Belaskri explore avec un bonheur d’écriture maîtrisé le triptyque qu’il affectionne : en « panneau central », une évocation précise de l’Algérie dans l’espace frontalier du nord et du sud à travers les gestes les plus quotidiens des habitants ; et, de part et d’autre, bousculant cette plongée réaliste, le volet légendaire et le volet poétique. Lecture et entretien avec l’écrivain.

Les éditions Ardemment, créées en 2021, privilégient des fictions et essais d’autrices qui ont été « invisibilisées » au cours de l’Histoire mais aussi des textes plus récents, leur objectif étant de « constituer un matrimoine en vis-à-vis du patrimoine dominant ». Elles viennent de publier Affreville de Claire Tencin, un récit très singulier sur la guerre d’Algérie.

« En mars 2020, le site Internet des Nations Unies annonce que la barre des 20.000 migrants morts en Méditerranée est franchie »

On se souvient que dans son premier roman de 2017, Khalid Lyamlahy dédiait son récit, « Aux étrangers d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Aux miens ». Dans ce nouveau roman, Évocation d’un mémorial à Venise, il creuse le sillon, en se focalisant sur un jeune migrant, noyé dans le Grand Canal de Venise en janvier 2017, événement qui eut un certain retentissement à l’époque.

Début mars 2023, est sorti dans la collection d’Actes Sud, « Un endroit où aller » qui réserve, la plupart du temps, de belles surprises, un premier roman attachant et séduisant, signé Florian Préclaire, Le Cavalier de Saumur. Tout a son importance dans les informations de la couverture : le nom de l’auteur, la fonction et le lieu du personnage supposé du titre, l’icône représentant Pégase.

Le 6 mars dernier, dans Diacritik, Antoine Idier proposait une présentation particulièrement éclairante de l’exposition de Faith Ringgold au Musée Picasso, « Le musée et le racisme ».  Il y soulignait l’écart entre les informations données dans le catalogue et l’exposition elle-même — lissant toute référence au racisme. Il posait également une question inévitable : « Peut-on exposer des artistes minoritaires, sans les trahir ni les dominer une seconde fois, en occultant les processus sociaux qui les ont assujettis ? En tout cas, l’exposition réussit un singulier exploit : être muette sur les batailles menées par Ringgold, ne rien dire du racisme et du sexisme dans l’art lui-même ».

« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main
chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes,
Votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France » Léopold Sédar Senghor, Paris, avril 1940, Hosties noires, 1945

« Mon enfance et mon adolescence se déroulent dans un discours sociopolitique, grèves de l’été 1953 contre Laniel, chute de Dien-Bien Phu et, bien entendu, la guerre d’Algérie, qu’on nomme « les événements ». [En 1959] j’évolue vers l’opposition à de Gaulle et m’affirme pour l’indépendance de l’Algérie. Ce sont cette question, cette guerre, avec les attentats de l’OAS, le putsch des généraux, qui impactent mes premières années de fac, comme pour tous les étudiants de cette époque ».

« Et quand le colonel est sorti de la pièce, le général a l’impression de reprendre sa respiration […] il avait sans le savoir retenu son souffle pour ne pas aspirer les cendres portées par le nouveau venu ».

Faire d’un homme ordinaire un tortionnaire… Le processus à l’œuvre pendant les guerres qui transforme certains en acteurs inhumains est évoqué à son stade terminal dans le nouveau récit d’Émilienne Malfatto.

« Et c’est ici une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative dont je parlais tout à l’heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité. […] L’heure de nous mêmes a sonné. […] Je ne m’enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas non plus me perdre dans un universalisme décharné ». Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez, 24 octobre 1956 (extraits)

Il est une invisibilité de Louis Aragon dans les études sur les intellectuels français et la guerre d’Algérie, pourquoi ? Serait-ce un manque d’engagement de l’intéressé ou bien un ostracisme vis-à-vis d’un membre éminent du PCF ? C’est cet « oubli » qu’Alain Ruscio entend réparer dans son étude récente, Louis Aragon et la question coloniale. Itinéraire d’un anticolonialiste, que viennent de publier les éditions Manifeste !