Roman posthume, adaptations de ses livres en bandes dessinées, recueils de chroniques diverses, de critiques de films, d’analyses ludiques, journal, correspondance, théâtre, désormais volume d’entretiens : le nombre des publications post mortem excède largement celui des parutions du vivant de Jean-Patrick Manchette – surtout si l’on ajoute les romans d’espionnage écrits pour un éditeur ayant fait faillite avant leur parution. Cette volonté de prolonger et d’éclairer l’œuvre de l’auteur de polars, que l’on doit notamment au travail minutieux de son fils Tristan (dit Doug Headline), met en valeur un édifice étonnant, brut et complexe à la fois, jamais complaisant.

À peine relu et corrigé, et, avant même d’avoir été mis en ligne, déjà en route vers l’oubli (seul moyen de ne pas se laisser miner par les regrets), le dernier épisode de ce feuilleton critique à la frontière est devenu avant-dernier, un peu comme le dernier verre dont parlait Deleuze. Pas de pause : la pile n’est pas épuisée (elle ne cesse de se recharger).

Mille deux cents pages de Jean-Patrick Manchette (dont cinq cents déjà rassemblées en volume en 1997 aux éditions Rivages, mais possiblement neuves pour plus d’une lectrice ou d’un lecteur) paraissent en librairie pour le vingt-cinquième anniversaire de la disparition prématurée de l’auteur du Petit Bleu de la côte Ouest :

Il est complexe d’écrire sur Manchette non dans la position du tireur couché mais dans celle du critique et universitaire : dans les Lettres du mauvais temps, formidable livre qui rassemble sa Correspondance entre 1977 et 1995, Manchette écrit que « les journalistes (…) n’ont plus le temps de lire », il n’y en a « pas un seul (…) à qui on puisse faire confiance », ajoutant, concernant les seconds que sans faire « d’anti-intellectualisme a priori (…) c’est un fait que tous les universitaires actuels, stricto sensu, sont des crétins ». Le ton est donné : la correspondance de Manchette est sans concession, noire, et pas seulement parce que son auteur est le maître du genre.