« Je ne pourrais croire qu’en un Dieu qui saurait danser. » C’est ainsi qu’en 1883 Nietzsche faisait parler Zarathoustra dans une grandiloquence qui démontrait l’importance de la danse dans l’esprit du philosophe. Cent trente six ans plus tard, la danse est toujours capitale dans les arts. L’auteure réalisatrice Florence Platarets le montre brillamment dans un film documentaire diffusé sur France 5 et qui suit le géant français de la danse contemporaine Angelin Preljocaj.

La pièce requiert son propre espace et son propre temps. Un certain protocole est présupposé. Pas plus de cinq ou six « spectateurs » – qui ne sont pas des spectateurs – présents en même temps. Les portables, les clefs, les sacs doivent être déposés à l’entrée. Il faut avoir réservé et arriver à telle heure précise, entrer ensemble dans l’espace où aura lieu la pièce. Mais celle-ci pourrait avoir déjà commencé. N’a-t-elle pas déjà commencé ? Et son commencement commence quand, précisément ? Les contours sont brouillés, et les mots, les idées.

« Sois nu quand tu sèmes, nu quand tu laboures, nu quand tu moissonnes, si tu ne veux pas, manquant de tout, aller mendier dans les demeures étrangères » (Hésiode). La scène est plongée dans le noir et bruisse de petits bruits. On pressent dans cet espace, amplifié du son de yodels lointains, que le jour va se lever. Le jour des « travaux et des jours ». Le jour du travail humain. Le jour des mains laborieuses de la journée d’homo faber. Une heure de besogne s’en suit, attentive et concentrée. Les gestes simples du labeur, les figures obligées des danses du folklore autrichien, patiemment formalisés, construisent la gestuelle abstraite d’une liturgie scénique à laquelle un danseur nu officie en solitaire. Un petit neveu montagnard de la grande Hannah Arendt épèle en gestes méthodiques La Condition de l’homme alpin.

Aujourd’hui s’ouvre le dix-septième festival Actoral qui se tiendra jusqu’au 14 octobre sur différentes scènes culturelles marseillaises (Montévidéo, La Friche Belle de Mai, les théâtres du Gymnase et des Bernardines, le MuCEM, le cipM, les librairies L’Odeur du temps ou Histoire de l’œil, etc.).

Dans le cadre du festival Concordan(s)e, la chorégraphe Mylène Benoit et l’écrivain Frank Smith s’associent pour créer Coalition, un essai chorégraphique qui mêle poésie et danse autour de questions autant esthétiques que politiques concernant le corps, la communauté, le On, le discours. Rencontre et entretien.

Anne Teresa De Keersmaeker n’est pas du genre à faire des cadeaux. Surtout lorsqu’il s’agit de favoriser la compréhension d’une œuvre. En proposant à l’Opéra de Paris un Così fan tutte dépouillé, dépourvu de décors et d’illustration, elle n’a pas facilité l’adhésion à ce vaudeville mozartien. A l’heure des réseaux sociaux, dire ou affirmer quelque chose n’est guère envisageable si l’on veut être entendu. De Keersmaeker ne propose pas non plus un de ces tourbillons qui aurait tout emporté sur son passage, dont elle s’est fait la spécialité.

« Anthropos apteros for days
walked and walked around the maze 
»

(W.H. Auden)

À l’automne 2010, Ben Evans est en résidence au Pieter Performance Space de Los Angeles. Il travaille sur Glorious Hole, sa nouvelle performance. Son travail patine un peu et il fait un pas de côté, comme un aparté au public d’un spectacle encore absent, pour « donner un peu de contexte ». Comme un acteur qui a un trou, il occupe le silence. Le geste propitiatoire de tourner une vidéo répète par anticipation le principe de Glorious Hole : comment, en tournant autour, sauter par-dessus un trou ?

L’exposition de Dorothée Smith à la galerie Les Filles du calvaire, à Paris, (jusqu’au 27 février), qui comporte deux volets, TRAUM et Spectrographies, est traversée par le thème des fantômes. On avait laissé Smith, né-e en 1985, avec la série Löyly, présentée aux Rencontres d’Arles en 2012, qui comportait un aspect bio-documentaire, et qui n’était pas sans évoquer Nan Goldin. On la retrouve armé-e d’une caméra thermique et proposant une fiction multidisciplinaire et fragmentaire. Entretien avec Dorothée Smith, par Charlotte Redler et Isabelle Zribi.

Lorsque des chanteurs sont en duo, ou dans le cas d’une chorale, il arrive qu’il y ait création d’une ligne vocale qui n’existerait pas sans chacun, mais qui en même temps n’est chantée par aucun d’eux, un chant autonome bien qu’inséparable des chanteurs, lié aux individus et au-delà d’eux. La musique, le chant créent alors une entité nouvelle, tiers flottant et anonyme.

« On ne peut pas parler d’histoire qui ne rende pas compte d’un déracinement » déclarait Bernard-Marie Koltès au clair matin de son théâtre en une formule qui pourrait se tenir comme l’épigraphe parfaite à la brutale et radicale beauté de Retour à Berratham, la dernière pièce de Laurent Mauvignier, récemment parue chez Minuit.