Pilotes en séries (18) : Fallout, le futur dans le rétro

Fallout ©Amazon studios

Le monde d’après est advenu et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a un  fort goût d’apocalypse. 219 ans après la bombe, le temps s’est arrêté aux portes des années 50, les musiques qui résonnent ne sont que ritournelles country et chansons swing passéistes, les écrans sont cathodiques et en noir et blanc et le ciel au-dessus du champ de maïs est d’un bleu artificiel presque sans nuage tel l’avenir des heureux (?) résidents de l’abri numéro 32. Et pour cause : à l’extérieur, à la surface, les terres sont désolées et peuplées de survivants livrés à eux-mêmes, en butte aux éléments, aux goules, au cannibalisme et aux animaux mutants…

L’adaptation du jeu vidéo Fallout en série télé s’inscrit dans une continuité (une mode ?) récente qui a vu  entre autres The Last of US, Halo, The Witcher débarquer sur petit écran après Uncharted ou Tomb Raider sur le grand. Plus que de l’adaptater littéralement, les créateurs de la série s’emparent de l’univers atompunk du jeu pour dérouler son intrigue uchronique et raconter les quêtes respectives de Lucy MacLean, Maximus et Cooper (La Goule) Howard. Nul besoin, donc, de connaître les arcanes du jeu culte apparu en 1997 sur PC, on pourra très vite entrer dans la série sans avoir à s’inquiéter d’un quelconque manque de références. A contrario on pourra s’amuser à chercher d’autres repères, tels Silo (les livres de Hugh Howey et la série de Graham Yost pour AppleTV+) et se demander s’il vaut mieux (pour les personnages) vivre à l’abri du monde extérieur dans l’attente de l’hypothétique moment où il pourront quitter leur refuge ; ou s’il vaut mieux (c’est rhétorique) tenter de survivre une fois la terre ravagée par le feu nucléaire.

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Mais avant de nous plonger dans ce monde perdu, la scène d’ouverture de Fallout imprime d’emblée sa tonalité tout en second degré retors. Acteur que l’on devine has been, cow-boy à louer pour les fêtes d’anniversaires de gosses de riches, Cooper Howard (Walton Goggins) traîne sa nonchalance désabusée tandis que l’âge d’or (d’Hollywood et du monde entier) est sur le point de s’effondrer. Dans cette Amérique des 50’s, l’insouciance et la crainte de la guerre atomique font jeu égal. On pressent, on devine que la catastrophe est imminente tandis que Cooper dit à sa fille que si l’on met son pouce devant ses yeux et que celui-ci cache l’explosion d’une bombe, alors on n’a rien à craindre…

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Dans l’abri, passée la catastrophe qui a divisé la planète en deux mondes distincts (les terres désolées et les coffres), la vie s’écoule comme dans une publicité pour les céréales du petit-déjeuner, tout est lisse et parfait. Avec leurs combinaisons unisexes numérotées, les habitants voient leur vie réglée à chaque instant par un superviseur tout en sourire commercial, entre gourou au pouvoir indiscutable et chef de service omniscient. On découvre un monde aseptisé, aux allures de laboratoire, avec, en attendant le grand jour de l’ouverture au monde extérieur, des règles de vie draconiennes qui régentent le quotidien de chacun — du dress-code uniforme aux mariages arrangés avec les habitants du silo voisin (pour éviter la consanguinité), en passant par les emplois du temps et les affectations professionnelles.

Même si Fallout cède aux codes du genre, les créateurs de la série les ont habilement mélangés à d’autres codes : celui du western en premier lieu, avec le personnage de La Goule qui ressemble moins à un zombie qu’à un chasseur de primes du Far West ; celui du techno punk mâtiné de chevalerie sectaire (la confrérie de l’acier a de faux airs de cour du roi Arthur et lorgne vers le totalitarisme militaire) ; celui du survival rétro-futurisme... Ils se permettent même une incursion vers le politique. Car les méchants de l’histoire sont bien évidemment tapis dans l’ombre et aux manettes dans ce nouveau monde dévasté où les hommes et les femmes ne sont que des variables dans une expérience, voire ses cobayes.

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Foisonnant, foutraque, drôle, cynique, Fallout est un grand spectacle bien léché, à l’esthétique post-apocalyptique réussie, avec des ressorts qui empruntent à Mad Max, Waterworld et des situations qui évoquent Planet Terror, comme un manifeste pour rire (ou pas) sur la méfiance envers les gouvernements et les super riches quand il s’agit de réduire l’humanité à l’état de victime et de sacrifier celle-ci sur l’autel du profit.

Fallout, créé par Geneva Robertson-Dworet & Graham Wagner. Avec Walton Goggins, Ella Purnell, Aaron Moten, Kyle MacLachlan dans les rôles principaux. Diffusé sur Amazon Prime, 8 épisodes, 2024.