Néo-romantiques et néo-dandys, entretiens (8) : Claire Hardy-Guilbert

L’enquête néo-dady de Zelda Colonna-Desprats se poursuit autour de la question « Qu’est-ce être romantique aujourd’hui ? ». Aujourd’hui, Claire Hardy-Guilbert.

Claire-Hardy Giubert, est une esthète, d’une élégance et d’une poésie rares, son raffinement et son savoir-vivre prennent source dans l’héritage romantique de sa Normandie natale. Elle a fréquenté deux ans l’Atelier Met de Peninghen puis l’Institut d’Art et d’Archéologie ; elle participe aux fouilles françaises au Maroc, en Tunisie et à Suse, site de la Délégation archéologique française en Iran. Titulaire d’une thèse de doctorat de l’université Paris IV- Sorbonne en Histoire de l’Art et Archéologie islamiques et chercheur au CNRS, elle a dirigé une trentaine de missions archéologiques dans le Golfe, au Yémen et en Libye.

Claire Hardy-Guilbert (archives personnelles)

Que garde-t-on du XIXe siècle ?

La puissance évocatrice des visionnaires qui ont tissé le XIXe siècle a marqué les siècles suivants et ce siècle fulgurant se prolonge aujourd’hui… Les dessins de Victor Hugo (à la plume encre noire) sont absolument actuels : Topor, Hartung ou Soulages en sont les dignes héritiers….

La « Rimbaudmania »* est significative… Rimbaud est adulé, sa vie courte mais pleine, fait des adeptes. Les stars de la pop et du rock qui partent à 26 ans ne sont-ils pas affiliés à ce héros au destin tragique ? La musique hard rock et métal avec une égérie comme Marilyn Manson ou David Bowie dans la mise en scène de sa propre mort, ne transgressent rien, ils sont romantiques.

Du côté de la littérature, l’empreinte du XIXe siècle, est permanente.

Au XIXe siècle, l’attrait pour l’Antiquité (égyptienne, grecque, romaine) et pour les antiquités a permis l’émergence de l’archéologie, et par conséquence la préservation des monuments anciens.

Malgré les différentes modes de décoration modernes, passagères, le goût des meubles, des objets, des vaisselles du XIXe se perpétue insidieusement dans les intérieurs, même par petites touches procurant une sorte de référence surannée mais, à coup sûr, réconfortante.

Le terme « romantisme », nom de baptême d’un mouvement magnifique, désigne aujourd’hui tout autre chose. Quelle serait votre définition ?

Ma définition du romantisme d’aujourd’hui : Une perpétuelle résistance à l’immédiateté, au consommable imposé, une inlassable disposition à la contemplation de l’art, à sa connaissance « charnelle » (peinture, sculpture, livres) pour la jouissance qu’elle procure et, de préférence, dans des conditions particulières optimales. Tant pis pour la pointe d’élitisme…. Une inclination pour le mystère et le monde des ombres.

Vos habitudes de dandy ?

Un vernissage au Louvre suivi d’un dîner en terrasse au Café Marly, même en janvier ; visites au cimetière du Père Lachaise ou Montparnasse ; organisation de dîners (pour les amis) dans un décor pompéien, indien ou à thème : hommage à Leonardo da Vinci, hommage à Mucha…

Errance dans le quartier de la place Furstenberg dans les pas de Delacroix…. Dans les rues de Naples, au-dessus de Florence, un cocktail dans les jardins des Gobelins ; visite privée des collections privées d’un Shaykh dans des hangars pleins ….

Un texte ? Un œuvre ? Un film ? Partagez vos références néo-romantiques.

Un de mes textes préférés, L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly dont le cadre se situe à Blanchelande, abbaye au cœur d’un paysage romanesque à souhait et qui se tient à 4 km du lieu de ma naissance. J’y ai peint un paysage pour un amoureux et y ai donné rendez-vous à un autre, plus tard.

Les Femmes d’Alger de Delacroix est un des tableaux qui m’impressionne le plus. Puissant, violent sous couvert d’une atmosphère paisible. Vapeurs sulfureuses d’encens et de narghileh… Pour moi, il résume l’Orient avec lequel j’ai tant partagé.

Le Satiricon de Fellini est le film qui pour moi remporte la palme : il contient tout. C’est un film funèbre, festif, mythologique, d’une beauté implacable. Il devrait être au programme scolaire.

Un secret de votre art de vivre ?

Aller à l’aventure, dans des rues inconnues, visiter chaque église qui se présente, surtout s’il y a une crypte, entrer dans toute brocante ou chez tout antiquaire comme autant de cabinets de curiosités potentiels avec l’espoir d’y découvrir orfrois brodés d’or ou tout objet en feuille d’acanthe…

Un ou des plaisir(s) d’héroïne romantique ?

Prendre une flute ou deux ou trois… en terrasse avec mon amie gothique, tout en devisant sur nos découvertes esthétiques, sur nous, nos vies, nos proches, nos souvenirs…

Envie de vous échapper du monde par le rêve et par l’art ? Comment procéder ?

Ce n’est pas « envie » mais « nécessité » d’échapper au monde de plus en plus trivial et rempli de sauvagerie par le rêve et l’art. Pour ce faire, il faut plonger dans la monographie d’un peintre, contempler ses œuvres (Mantegna, Paolo Uccello, Leonardo da Vinci, Le Caravage, Cranach, Artemisia, Delacroix, Géricault, Dürer…), visiter une galerie d’art, un musée, une exposition où sont montrés les originaux…

Nos références romantiques mourraient d’amour fou. Comment y survivre ? 

On ne meurt plus d’amour fou ? Pas sûr ….

Dans une optique plus réaliste, là encore, une immersion totale dans Fragments amoureux de Roland Barthes, dans De l’amour de Stendhal ou dans les Sonnets de Shakespeare, apaise un peu parce que l’on peut y retrouver des échos de ses propres émois.

Fréquenter la beauté des androgynes, des gueules d’ange… en sculpture, peinture, films est un autre subterfuge efficace (Mort à Venise de Visconti, Les amitiés imaginaires de X. Dolan, La Vieille Maîtresse de Catherine Breillat d’après Barbey d’Aurevilly…  et, dans la rue.

Une vieille maîtresse © Catherine Breillat

* Du nom de l’exposition (et du livre) présentée à la galerie des Bibliothèques à Paris du 7 mai au 1er août 2010.  Rimbaudmania, L’éternité d’une icône, Claude Jeancolas, Éditions Textuel et Paris Bibliothèques, 2010, 318 p.