Le 17 avril dernier, en écoutant la radio, j’ai appris la mort du chanteur Christophe. Le vendredi 17 avril, j’ai ainsi appris la mort d’un personnage de mon roman, Nous étions beaux la nuit. Ce n’est pas un drame que vivent fréquemment les écrivains. D’ordinaire, nos personnages ne sont pas de chair et une fois le roman imprimé, nous les oublions, ils appartiennent à une autre époque, celle dans laquelle nous nous projetions au moment de l’écrire, celle que nous habitions ces longs mois, ces années d’un processus d’écriture.
écrire
dansé au-delà de la nuit
discuté vrillé
qu’aucune chance pour le parti fasciste
il y a de l’histoire
ça veut dire des morts dans les plus atroces souffrances
Jean-Luc Godard dit qu’il ne veut rien expliquer. Je ne veux rien expliquer, non. Il dit qu’il ne sait pas grand-chose. Est-ce que l’on a le temps d’expliquer ce que l’on ne sait pas ? Expliquer à partir, avec ce que l’on ne sait pas ? Jean-Luc Godard dit que lorsque le cinéma est né il avait une fonction de fiction et une fonction de documentaire et que ces deux fonctions se sont très vite mélangées. Le cinéma est fait pour être un document. Le cinéma est fait pour penser. Peut-on penser sans documents ? Et sans documents qui soient des images.
Il y a un tir, la couleur de ce tir et l’effroi qui l’a libéré, qui le diffuse lentement et, dans la couleur de ce tir, comme une infiltration où quelque chose de plus fort se décroche et parvient au-devant de son terme. Ce terme, qui n’est pas tenu d’aboutir quand bien même il serait visé, n’est que début ou chancellement quand la couleur surgit et quelque chose s’obscurcit, s’efface et surgit à nouveau dans une exclamation de pur effroi et la couleur, devenant effroi à son tour par contagion, gagne le corps au point où le corps se soumet et s’abjure et se vend au plus offrant, se déshabille et s’agenouille face contre terre.
Je peux crier, sans savoir pourquoi je crie, sans douleur réelle. J’attends d’être seul, et j’extrais du corps ce long hurlement jusqu’à l’entendre. Je rentre chez moi en catastrophe, et je me réfugie dans le salon, à la fin de l’après-midi, avec ce besoin imminent d’exploser. Un instant, je demeure là, comme abandonné, incapable de m’asseoir. Je ne forme aucune pensée, et aucun grief contre l’existence, mais je laisse échapper cette plainte animale.
Écrire n’est pas écrire. Écrire n’est pas ça, n’est pas l’idée même d’écrire, de former des lettres, des mots, des signes.
L’écriture tente de se faire en prise avec un réel instance de fabrication, laboratoire de textes poétiques vers lequel ces derniers se tournent, ne se soustrayant à son pôle critique, dans un engagement qui se devrait d’être à la fois formel et politique, pour une poésie concernée.
Je veux faire depuis plusieurs jours un papier sur le magnifique nouveau roman de Camille Laurens, Celle que vous croyez. Je n’y arrive pas. D’abord je ne suis pas un critique littéraire et puis Camille est une amie dans la vie, c’est troublant de lire une amie. On reconnaît la voix, les inflexions de la pensée et en même temps c’est une tout autre personne, qu’on ne connaît pas ou mal, qui impressionne un peu, l’auteur.
Casier du lycée : Je l’ai découvert assez tard, au fond de mon casier de prof en « lycée sensible », sous la forme de mauvaises photocopies que j’ai lues entre deux cours, une fesse sur une chaise puis les deux, puis la salle des profs a disparu.
Écrire aujourd’hui (2) : Frank Smith
Retour dans le passé avant de repartir de l’avant. Parce que oui, « il faut continuer »…