Il y a un tir, la couleur de ce tir et l’effroi qui l’a libéré, qui le diffuse lentement et, dans la couleur de ce tir, comme une infiltration où quelque chose de plus fort se décroche et parvient au-devant de son terme. Ce terme, qui n’est pas tenu d’aboutir quand bien même il serait visé, n’est que début ou chancellement quand la couleur surgit et quelque chose s’obscurcit, s’efface et surgit à nouveau dans une exclamation de pur effroi et la couleur, devenant effroi à son tour par contagion, gagne le corps au point où le corps se soumet et s’abjure et se vend au plus offrant, se déshabille et s’agenouille face contre terre.
La couleur, au moment de sa prise, s’est comme affutée, elle est devenue plus vive et incisive, de sorte que son départ n’est pas exactement son départ n’est pas exactement son commencement n’est pas son abandon. Et dans la terre retournée il y a des visages et des fuites, des visages et des vagues et l’écho de ce tir et l’écho de ces vagues, et dans cette défaite à la fois des débuts et des fins, dans les rencontres les plus inopinées comme les plus nécessaires et devant l’œil de tous ces visages éteints, une soustraction s’opère entre le tir et la couleur qui est la trace de son passage sur la terre et la trace encore palpable de son extension. Comme je lance parfois mes osselets blancs sur un ciel trop blanc, je regarde ma main brûler et mon œil n’a plus de bord comme s’il voulait quitter sa cavité pour rejoindre le tir et ne plus résider en mon corps, alors l’air se distend autour des vagues et l’image ni sa révélation ne se soutiennent plus, pourtant cela brille si fort dans ma main cette couleur est si vive que je la pourrais boire et, la buvant, je me croirais capable de tout mais, aussitôt, la couleur s’efface et je n’ai pas le temps de la fixer ni de prendre l’élan qui me pourrait porter vers ce quelque chose de plus vaste et de plus ardent que déjà ma main se décroche et mon œil à demi-fermé récuse cette circonscription de bleu, fut-elle grise, et toutes les faces de ma main brillent et m’aveuglent, et les côtés de mes yeux ne peuvent plus voir car il est impossible pour l’œil de contempler le tout de l’image à l’instant de sa prise.
Et l’œil, n’y touchant pas, se défait et les mots s’empâtent à l’instant de rouler de la bouche à la terre où ils sont appelés par quelque force centrifuge, et la main recouvre les traces qu’elle croyait protéger, seulement, de temps en temps, quand un mot se dit plus haut qu’un autre, ou qu’un trait se fige dans une position d’inconfort telle qu’il ne peut tenir et s’effondre et se décompose, alors je viens m’amarrer au point de naufrage où le temps boîte et j’attends que me portent les marées maudites, qu’elles me donnent à contempler les châteaux de sorcières et les loups déficients.
Si la couleur advient, révélée par une force soudaine qui, dans sa soudaineté et son imprévisibilité, serait la seule extension palpable d’un air encore palpable, si la couleur déborde tout ce que nous voudrions contenir de vie faible, qu’elle se jette pour éclairer et qu’elle jette dans le ciel la plus vive couleur de ciel, alors dans cette couleur nous boirons et nous viderons nos verres, nous les briserons jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un verre sur la terre pour contenir, une fois bues, toutes les couleurs brisées, et nous avancerons sans ressentir de brûlure, nous parlerons des frémissements du verre qui est notre légende et, du fond de l’air multiplié, nous enverrons des tirs de reconnaissance.
Marie de Quatrebarbes a publié La vie moins une minute (Lanskine, 2014), Transition pourrait être langue (Les Deux-Siciles, 2013) et Les pères fouettards me hantent toujours (Lanskine, 2012). Elle coordonne et réalise les revues série z : et La tête et les cornes.