Résumé des épisodes précédents. Ceci est un journal de lecture dont le principe est de s’ouvrir à ce qui arrive : de s’adonner au plaisir de lire, non par longues périodes, mais disons deux ou trois fois par jour, et en tous lieux – train, métro, salle d’attente, jardin public, bureau, chambre à coucher –, changeant de livre en fonction de la posture du corps et de la qualité de silence environnant. Et quand de maudits retards d’endormissement se profilent, on en vient à dévorer certaines pages qu’on aurait pu laisser tomber.

Dans le Terrain Vague, où le guetteur mélancolique est à l’affût de ce qui ne se laisse pas enfermer dans tel genre ou catégorie, la bande dessinée est bien autre chose qu’un souvenir pieusement entretenu : une forme encore et toujours en devenir. Touché par ce qui réanime certaines émotions graphiques ancrées en lui avant même l’apprentissage de la lecture, il tente de prendre langue avec ce dont les mots ont tant de mal à rendre compte. Comment converser avec le dessin – avec ces images, certes fixes, mais non figées, qui vivent en silence leur propre vie, tout en racontant en creux des histoires, parfois sans paroles, mais non sans récit ?

À la frontière, on peut ressentir un certain détachement envers ce qui ne cesse de tomber en toutes saisons, tout en entretenant une curiosité maladive pour ce qui a le pouvoir de relancer l’attente, en la décevant. Aujourd’hui, c’est bande dessinée, avec cet etc. relatif à de trop rares débordements du champ qui, s’ils ne satisfont guère les aficionados de la BD, comblent les amateurs d’imbrications inédites entre les mots et les images.

Comment finir une histoire ? Comment ne pas verser dans la facilité de clore un cycle à la manière d’un show-runner peu inspiré ? La réponse à l’épineuse question du devenir d’une héroïne emblématique nous est donnée par Jacques Tardi avec Le Bébé des Buttes-Chaumont, ultime épisode des aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec.

La mort de Spirou. Pour un critique, ça sonne comme le titre d’une chronique acrimonieuse du nouvel opus des aventures du héros plus que septuagénaire de la maison Dupuis. Pour le lecteur, qu’il soit assidu ou peu au fait de l’histoire avec un grand G comme groom du personnage et de ses déclinaisons et auteurs successifs, c’est une promesse intrigante (et quelque peu effrayante).

Quel bonheur de lire, au milieu de cette rentrée littéraire si riche, le nouveau livre de Christian Rosset, Pluie d’éclairs sur la réserve, si fécond journal critique et si puissante réflexion plastique qui vient de paraître à L’Association. Dans ce que l’auteur nomme de lui-même une « hantologie », le critique se fait le guetteur mélancolique de notre modernité, la traquant notamment dans la bande dessinée comme autant de déambulations et flâneries dans le 9e Art. De Guido Crepax à Catherine Meurisse en passant par Godard, Rosset nous livre ses frottages esthétiques, ses éclairs des rencontres, ses aperçues fugitives mais durablement marquantes, dessinant à main levée un art poétique de la lecture. Diacritik ne pouvait manquer d’aller à la rencontre de ce diariste critique à l’occasion de la parution de cette impressionnante méthode de lecture que tout critique devrait lire.

Parce qu’il est ce Michel Ange à gros nez mâtiné d’enlumineur de fond, Manu Larcenet connaît par cœur et à son grand corps défendant les terribles affres de la création, qui occasionnent par alternance moments de doute, haut débit de parole, bas qui blessent, euphorie et tristesse — un sentiment qui, si l’on en croit l’auteur du troisième tome (que le temps passe vite) de Thérapie de Groupe, durera toujours.

Dans son dernier livre, Jean-Clet Martin propose une lecture de l’oeuvre de Giraud/Moebius qui est en même temps une analyse de ce qui appartient en propre à l’image de la BD. Ce livre est un livre de philosophie autant qu’il travaille la perception, permettant de penser ce que l’on ne pensait pas et que la BD nous conduit à penser, permettant de percevoir autrement la BD et par la BD, à partir d’elle. Entretien avec Jean-Clet Martin.

Les éditions Dargaud viennent d’annoncer la disparition du dessinateur Jean-Claude Mézières dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 janvier 2022 à l’âge de 83 ans. Celui dont la carrière est indissociable des personnages de Valérian et Laureline qu’il a créés avec son ami d’enfance Pierre Christin fut un acteur majeur la bande dessinée : illustrateur et créateur à l’imaginaire foisonnant, un pionnier dont l’influence s’est étendue bien au-delà du 9ème art aujourd’hui en deuil.

C’est une joie et une souffrance. Un de ces moments où l’on se dit que la vie est à la fois bien faite et un peu cruelle aussi quand on a en mains le premier épisode d’un nouveau diptyque des aventures de Largo Winch. On s’empresse de se le procurer, on le dévore plus qu’on ne le lit et on le referme avec un sentiment de manque immédiat mêlé de satisfaction. L’arrivée de La frontière de la nuit en librairie ne déroge pas à la règle.

Encore la bande dessinée ? Ce n’est pas fini, cette histoire ? On veut bien croire qu’il y a eu, récemment – enfin, il y a environ un demi-siècle – une explosion salutaire, suivie par quelques tentatives, de restauration tout d’abord, puis surtout de récupération, qui auront à leur tour provoqué quelques crises où se seront affirmées une, deux, et même trois générations d’auteurs et d’autrices que l’on aurait pu croire à première vue sans attaches, même si, pour une part non négligeable d’entre elles et d’entre eux, plus que respectueux des grandes figures de l’histoire du genre, ou disons du champ (de ruines) où se dressent encore fièrement quelques pierres à l’effigie de héros increvables, à peine érodées par le vent souvent mauvais de l’air du temps.

Dans le langage courant et dans le jargon technico-commercial, le service après-vente (SAV) est un service qu’une entreprise propose à ses clients pour la mise en marche, l’entretien et la réparation d’un bien que cette entreprise a vendu ou pas. Que se passerait-il si la grande entreprise de Dieu, père et fils avait sous-traité la prestation à des techniciens nommés Gandhi, La Callas, Victor Hugo ou Michel Audiard ?

Corto Maltese : héros, légende, symbole d’un certain âge d’or de la bande dessinée. Grâce à Martin Quenehen au scénario et Bastien Vivès au dessin, la création d’Hugo Pratt renaît pour la deuxième fois avec Océan Noir, roman graphique inspiré qui fait entrer le mythe Corto dans la modernité sans abîmer l’héritage du maître.