Dernier week-end de janvier: Bastien Vivès, le goût du clore

Angoulême, janvier, le festival, l’hiver. Après plus de trente romans graphiques et albums dans lesquels Bastien Vivès explore les genres, les styles et les techniques, l’auteur du Goût du chlore (primé à Angoulême), revient avec un livre délicat et volontiers cryptique, Dernier week-end de janvier.

Délaissant l’outrance jubilatoire de Last Man et quittant les sentiers balisés d’une reprise réussie de Corto Maltese, Bastien Vivès semble s’être retrouvé en réalisant une BD d’auteur qui se serait égaré un temps dans les blockbusters, séries B, Z voire X… Puisant dans le réel (pour la mise en scène d’un festival de bande dessinée entre crépuscule et retour aux sources) et l’imaginaire (mais en est-on vraiment certain ?), Bastien Vivès raconte ce Dernier week-end de janvier entre bruits clairs et nuits foncées, chronique d’une lassitude, d’une errance, d’une rencontre dans un drôle d’endroit.

Donnant tous les signes de l’ennui – d’être là, de dédicacer au kilomètre, de répéter en boucle les mêmes réponses aux mêmes questions –, le dessinateur Denis Choupin semble être là par obligation, parce qu’il a un livre qui sort, qu’il doit montrer des planches originales, alors qu’il peine un peu sur un tome 5 qui le déprime (une histoire avec des nazis) et que son fils se fiance justement ce week-end.

© Casterman

Au milieu du flot des chasseurs d’autographes, des fans et des confrères, tandis que la routine annoncée s’installe, Denis va être subjugué par le regard de Vanessa qui lui demande une signature pour son mari. Ce bref échange est le point de départ d’une histoire incertaine, entre Lost in Translation et Le baiser d’Alain Souchon, faite d’envies et de reculades, de choix et d’évidences, de moments d’égarement en parenthèses douces ou douloureuses.

© Casterman

Avec l’histoire de Denis, dessinateur parti pour un week-end de dédicaces, de soirées et de cocktails dans le cadre du festival d’Angoulême, Bastien Vivès renoue avec la veine intimiste qu’il maîtrise depuis ses débuts primés, sans se départir de son goût pour les histoires inventées, fantasmées, osées. Dans les nuances de noirs et de grisés, avec ces jeux de lumières et ces perspectives sombres, la rondeur presque comique des décors et de certains personnages détone avec la clarté des lignes utilisées pour le trio central, Denis, Vanessa, son mari — dont les traits hésitent entre Michel Vaillant de Jean Graton et le XIII de William Vance.

© Casterman

Dernier week-end de janvier est peut-être surtout une histoire de solitudes. Celle d’un auteur-dessinateur face à sa planche, face à un récit qu’il ne maîtrise pas, en proie à des sentiments qui le bouleversent. Dans un ordre plus ou moins établi – une routine obligée au long d’un événement sans surprise –, le personnage de Bastien Vivès est confronté à ses désirs, à ses blessures, il se questionne sur ses choix (de vie, de carrière) et rencontre une femme également solitaire, perdue et avec l’envie de se perdre aussi, le temps d’un week-end. Et Bastien Vivès de conclure cet épisode de vies croisées sur l’impossibilité d’aimer et d’être aimé.

Bastien Vivès, Dernier week-end de janvier, 184 p. n&b, Casterman, 20 € — Lire les premières planches