Thérapie de groupe (tome 3) : Manu Larcenet fort rêveur

© Manu Larcenet - Dargaud 2022

Parce qu’il est ce Michel Ange à gros nez mâtiné d’enlumineur de fond, Manu Larcenet connaît par cœur et à son grand corps défendant les terribles affres de la création, qui occasionnent par alternance moments de doute, haut débit de parole, bas qui blessent, euphorie et tristesse — un sentiment qui, si l’on en croit l’auteur du troisième tome (que le temps passe vite) de Thérapie de Groupe, durera toujours.

On vous fera grâce d’une entrée en matière façon « résumé des épisodes précédents » en partant du principe que vous avez lu les deux premiers tomes de Thérapie de Groupe parce que vous êtes des bédéphiles avertis au goût sûr qui savent faire la différence entre une bédé comique de qualité et un évier Ikea. Cela étant dit, il faut toutefois préciser à l’attention de ceux qui auraient préféré passer ces dernières années à bricoler, à déconstruire le système scolaire ou à enterrer la culture par des décisions iniques et un manque flagrant d’intérêt pour l’élévation intellectuelle, que ce troisième opus des aventures de Jean-Eudes de Cageot-Goujon – plus connu sous le nom de pinceau de « Manu Larcenet star de la BD » alors au sommet du monde – est bien la suite de Ce qui se conçoit bien précédé de L’étoile qui danse.

Il s’agit d’un presque journal, d’une chronique intime, d’une autobiographie fictionnelle — on a un peu épuisé les qualificatifs pour caractériser Thérapie de Groupe (et puis, à l’inverse de Larcenet, il faut avouer qu’on n’est pas super fort en synonymes et donc c’est pour ça). En faisant un effort quand même, on peut dire et redire que l’on prend toujours autant de plaisir à suivre l’aventure intérieure de Manu-Jean-Eudes, à emprunter avec lui le chemin difficile qui conduit à l’idée géniale, à partager ses déambulations philosophico-comiques sur le sentier ardu de la paternité, à faire sien ses questionnements récurrents face aux maîtres de la peinture.

© Manu Larcenet – Dargaud 2022

Une fois encore, la maîtrise graphique est là, qu’il s’agisse de pasticher le manga pour illustrer le putatif combat père-fils ou d’illustrer la quête inlassable d’un absolu pictural. Le moindre détail, le plus petit trait, la plus infime touche de couleur deviennent la pierre qui sied à l’édifice, le moellon qu’il ne faut pas cacher, la mortaise qui accueille au millimètre son tenon manquant. Le livre est traversé de saillies toutes plus drôles les unes que les autres qui transpirent l’autodérision et l’humour doux-amer jusqu’à l’absurde, au nonsense, voire jusqu’à l’héroï-comique — si Cervantes avait su utiliser une palette graphique.

© Manu Larcenet – Dargaud 2022

Mais avant tout, Thérapie de Groupe (les deux premiers tomes et à plus forte raison La Tristesse durera toujours) est une œuvre majeure de plus – si, si, c’est possible – dans la bibliographie de Manu Larcenet parce qu’elle distrait autant qu’elle éclaire, parce qu’elle parle de la création, de l’époque (ses contraintes, ses modes, ses attentes), du besoin de créer jusqu’à l’obsession, de ce qui distingue éventuellement l’homme de l’artiste (ne cherchez pas, c’est indissociable). Et ce n’est pas la fin de ce brillant tome 3 tout en ironie qui me contredira. La recherche n’est jamais du temps perdu même si la soif inextinguible de perfection est une maîtresse cruelle et dévorante : la réponse est là, évidente, comme une acmé, cachée derrière l’arbre de l’album suivant qui cache la forêt des bédés passées. CQFD.

Manu Larcenet, Thérapie de groupe, III, La Tristesse durera toujours, Dargaud, août 2022, 56 p., 16 € — Lire un extrait