Spirou est mort : RIP, RIP, RIP ! Houba !

© Dupuis

La mort de Spirou. Pour un critique, ça sonne comme le titre d’une chronique acrimonieuse du nouvel opus des aventures du héros plus que septuagénaire de la maison Dupuis. Pour le lecteur, qu’il soit assidu ou peu au fait de l’histoire avec un grand G comme groom du personnage et de ses déclinaisons et auteurs successifs, c’est une promesse intrigante (et quelque peu effrayante).

Parce que le titre est emphatique et ambigu (voire définitif, ne spoilons pas bêtement), avant même d’ouvrir ce 56e épisode des aventures (« officielles ») de Spirou et Fantasio, on peut se demander si La mort de Spirou d’Abitan, Guerrive et Schwartz est le titre qui relance la série ou au contraire celui qui signe la fin de la carrière d’un des fleurons de la bande dessinée franco-belge.

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Mais de quelle mort de Spirou parle-t-on ? Celle d’un Spirou d’époque, tels Blake et Mortimer, figés dans des années de guerre, revivant encore et encore des péripéties immuables en butte au(x) même(s) ennemi(s) ? La mort d’un Spirou poète, éco-sensible, anti-militariste, prolongement dessiné de ses auteurs Fournier ou Franquin ? La mort d’un Spirou moderne, voire moderniste (chez Vehlmann et Yoann), tendance blockbuster (avec Morvan et Munuera) ?

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En confiant le dessin à Olivier Schwartz (qui a déjà signé trois albums avec son compère Yann au scénario) et le texte à Sophie Guerrive et Benjamin Abitan, les éditions Dupuis font le choix d’une reprise qui viendrait répondre à une problématique épineuse (livrée en prologue de cet album) née de la multiplication des versions,  interprétations, sequels, prequels chers aux séries TV : « nous devons retrouver Spirou et Fantasio ! »

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Sans oser le jeu de mot du retour aux sources pour cette aventure aquatique, il faut dire que l’intrigue puise largement dans le patrimoine de la série en faisant resurgir Korallion la ville sous-marine (Spirou et les hommes bulles, tome 17), l’héritière d’Oups et Zorglub, le Cap Rose et l’épave du Discret… Pour autant, on est loin du copié-collé ou de la reprise pure et simple : le scénario fait la part belle aux références (on s’amusera des parallèles avec Matrix, Westworld et le multiverse du MCU) et aux clins d’œil à la bande dessinée (une couverture par ci, un nom d’auteur par là). L’histoire concoctée par Abitan et Guerrive convoque Tome et Munuera pour ce qui est des questionnements déjà à l’œuvre dans Machine qui rêve ou Aux sources du Z. Le dessin de Schwartz est pour beaucoup dans l’entreprise de réconciliation des générations de lecteurs, la ligne est claire sans être passéiste, elle évoque Chaland et Franquin : décors, ombres et lumière rappellent La mauvaise tête ou Le repaire de la murène et l’action et le découpage renvoient à Cœur d’aciers et son ambiance onirique.

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Avec cet épisode à suivre au prix d’un cliffhanger inévitable et qui en perdra peut-être plus d’un, les attentes ne peuvent qu’être fortes : entre premier et second degré, mise en abyme, sous-textes et réalités alternatives, on peut prendre le pari que cette mort de Spirou annoncée dès la couverture avec ce costume de groom vide et désincarné est en définitive une renaissance.

 

La mort de Spirou, de Benjamin Abitan, Sophie Guerrive et Olivier Schwartz, 60 p. couleur, Dupuis, 11 € 90 — Lire les premières planches