Adèle Blanc-Sec (Le Bébé des Buttes-Chaumont), in Memoriam

Comment finir une histoire ? Comment ne pas verser dans la facilité de clore un cycle à la manière d’un show-runner peu inspiré ? La réponse à l’épineuse question du devenir d’une héroïne emblématique nous est donnée par Jacques Tardi avec Le Bébé des Buttes-Chaumont, ultime épisode des aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec.

Long épilogue, somme de tout ce qui fait et a fait Adèle Blanc-Sec et sa renommée, ponctuation rigolarde et subversive de 64 pages et 46 ans de mystères et de fantastique, le tome 10 est traversé de tous les ingrédients et de toute la verve de son auteur historique. Dans la veine du roman feuilleton, de ces pages qu’on dévorait jour après jour ou semaine après semaine avec une impatience non feinte, les aventures d’Adèle Blanc-Sec ont passé haut la main l’épreuve du temps et sont arrivées à ce terme voulu par son auteur, dans un final magistral de maîtrise d’un univers romanesque.

© Casterman

Prolixe, presque bavard, ce dernier opus rassemble et recompose, il convoque la galerie foisonnante de personnages récurrents, aussi pittoresques qu’indispensables. Depuis Adèle et la bête jusqu’au Labyrinthe infernal, en passant par Tous des Monstres ! (plusieurs fois rappelé dans ce tome 10). Avec des dialogues enlevés et des réparties qui font mouche, avec un indéfectible sens de la petite phrase assassine en arrière plan, Tardi vise bien et juste et allume tout ce qui bouge (ou ne bouge pas, d’ailleurs). Libertaire et gouailleur, son dernier bébé ne prend aucune pincette avec qui ou quoi que ce soit pour mieux déboulonner tel piédestal et la statue qui le coiffe. La liste des sujets et des matières à critique semble non exhaustive et inépuisable : Paris et sa saleté chronique voire grandissante, la souffrance animale, l’Académie et l’académisme, la police, la connerie humaine (pléonasme), la guerre, les politiques, l’affairisme, les salisseurs de mémoire…

© Casterman

Mais ce qui transparaît surtout, par-delà la verve inénarrable, le graphisme puissant et le dessin d’une précision inégalable quand ils épousent autant qu’ils illustrent les textes de chansons de Dominique Grange, c’est l’amour de Tardi porté à son art, un art qu’il regarde et critique sans complaisance aucune.

Loin d’être testamentaire, le der des ders d’Adèle Blanc-Sec est au contraire une ode puissante et réflexive sur une œuvre tout entière, sur une héroïne de papier avant-gardiste à bien des égards et des niveaux d’écriture et de lecture, sur la bande dessinée, sur le monde (d’hier et d’aujourd’hui), sur la vie et le temps.

Jacques Tardi, Les Aventures Extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, Le Bébé des Buttes-Chaumont, 64 p. couleur, Casterman, 14 € 50 — Lire les premières planches.