La frontière de la nuit (Francq & Giacometti) : finance sans conscience n’est que ruine de Largo

© Dupuis

C’est une joie et une souffrance. Un de ces moments où l’on se dit que la vie est à la fois bien faite et un peu cruelle aussi quand on a en mains le premier épisode d’un nouveau diptyque des aventures de Largo Winch. On s’empresse de se le procurer, on le dévore plus qu’on ne le lit et on le referme avec un sentiment de manque immédiat mêlé de satisfaction. L’arrivée de La frontière de la nuit en librairie ne déroge pas à la règle.

Le nouveau Largo Winch toujours dessiné par Philippe Francq et scénarisé par Eric Giacometti a paru le 5 novembre dernier et les superlatifs manquent pour dire à quel point cet opus technophile est une réussite. Tous les codes et ingrédients de la franchise sont là, avec cet univers graphique inimitable, une mise en scène qui plonge le lecteur au cœur de l’action, avec le dessin toujours aussi précis de Francq, qui font de cette frontière un album presque (trop ?) parfait.

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A l’écriture, Eric Giacometti a puisé dans l’actualité et a sans détour propulsé Largo dans l’espace et opéré un virage technophile pour quitter le terrain de la vieille économie et atterrir sur ceux de la course à la stratosphère, des réseaux sociaux, de la mise en scène de soi. Philippe Francq de son côté maîtrise toujours autant son univers graphique, jouant sur les couleurs, les ambiances, les atmosphères : il passe des extérieurs lumineux aux ambiances feutrées et sombres avec bonheur et atteint des sommets (sans jeu de mot) quand il s’agit de représenter l’espace et la nuit orbitale.

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Côté action, le lecteur ne sera pas dépaysé. Si le récit s’éloigne des préoccupations terre-à-terre des albums précédents (le marché, les krach, les fusions-acquisitions), dans cette nouvelle conquête de l’inexploré pour le milliardaire au grand coeur, les ressorts qui font le sel et la marque de la série ne sont pas oubliés : un complot ourdi par on ne sait (pas encore) quel rival, des poursuites, du glamour, des intrigues parallèles font qu’une fois de plus Largo est pris dans un tourbillon implacable. En refermant La Frontière de la nuit, sur un inévitable cliffhanger, on ne peut qu’en vouloir aux auteurs de jouer avec les nerfs et la patience du lecteur qui va devoir attendre la suite intitulée Le Centile d’or (en novembre 2022…) Mais finalement, avec tous les indices distillés, les pistes narratives explorées au long de l’album ainsi que les thématiques nouvelles abordées (la prise de conscience écologique, la lutte contre-nature d’un dirigeant de multinationale qui veut un capitalisme plus intègre, plus humain), avec ce dessin sensuel d’une précision incroyable, il est plaisant de réapprendre l’impatience.

Philippe Francq & Eric Giacometti, La Frontière de la nuit, Largo Winch tome 23, 48 pages couleur, Dupuis, 14 € 95