Le livre de Marie Cosnay, Des îles – Îles des Faisans 2020-2022, est habité par l’idée que nous sommes chargés de « ces morts », que ces « morts sont nos morts », que ces morts nous obligent, que « Nous sommes obligés ». Ces morts, ce sont les migrants et migrantes, les réfugié.e.s qui, fuyant un monde de violence, de souffrance, de mort, ne rencontrent pourtant que la mort – mort perpétrée par les politiques européennes, mort ignorée, négligée par l’Europe, voulue par l’Europe.
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« Mon père mourut parce que c’était un voleur. » Les premiers mots de l’ouvrage pourraient évoquer L’Étranger de Camus, mais c’est à un autre prix Nobel qu’on pense pourtant, en l’occurrence à Coetzee. D’abord parce que c’est un animal, la fouine Archy, qui parle. Et ensuite parce que le vol place immédiatement le propos sur le plan de la morale. Si la figure de l’écrivain sud-africain affleure, et se confirme dans le reste des pages en présence, c’est davantage sa dernière veine que l’on convoquera. Celle, allégorique en diable, de sa trilogie des années 2010 L’Enfance / L’Éducation / La Mort de Jésus. Car Archy, tout animal qu’il est, va frayer avec de saintes écritures et de (plus ou moins) saines lectures.
La (longue) citation en exergue, empruntée au sonnet 66 de Shakespeare, donne le ton : « (…) Lassée de voir qu’un homme intègre doit mendier / quand à côté de lui des nullités notoires / se vautrent dans le luxe et de l’amour du public ». Si l’énonciation shakespearienne au masculin passe au féminin chez Salvayre, demeure le décapage des vanités fausses et gloires baudruches. C’est à ce « continent » que s’attaque Lydie Salvayre « avec l’audace d’un Christophe Colomb » pour donner les clés de la réussite la plus éclatante. Comment mentir, écraser, monter, paraître, instrumentaliser et « être au top » ? vous saurez tout en lisant cet Irréfutable essai de successologie, que l’on peine à qualifier tant il est à la fois une parodie des manuels de bien-être et développement personnel — comme autant de déclinaisons d’un prêt à penser confortable — et une fresque décapante de notre monde comme il déraille.
Le cours de poétique donné au Collège de France par le grand poète et penseur Paul Valéry fait partie de ces œuvres volontiers évoquées par les uns et les autres alors même que nous ne pouvons pas les lire et en vérifier le contenu. En dépit de son absence, ce cours est donc éminemment présent dans notre imaginaire de lecteur et participe pleinement de l’image que nous nous faisons de la littérature. Et c’est sur la foi des deux seuls textes publiés de son vivant par l’écrivain que la critique et les auteurs s’y réfèrent : « De l’enseignement de la poétique au Collège de France » – qui était le programme d’enseignement que Valéry avait distribué aux professeurs du Collège pour présenter son projet et sa candidature ; la « Première leçon du cours de poétique », qui reprenait le contenu de sa leçon inaugurale. Comblant un important vide éditorial, William Marx, spécialiste de Valéry et lui-même professeur au Collège de France, a mené l’enquête pour reconstituer ce chef-d’œuvre de la pensée du XXe siècle dont il publie chez Gallimard une édition critique en deux volumes.
Avec La Sainte de la famille, Patrick Autréaux signe sans doute son plus beau texte, le plus vibrant, le plus mystique. Après l’éclatant Pussyboy, un des récits les plus importants de ces dernières années, l’écrivain poursuit chez Verdier une quête autobiographique qui se fait cette fois involutive. C’est peut-être même uniquement l’histoire d’un trou : celui que provoque la mort de sa grand-mère qui ravive en lui le désir d’écrire l’histoire sensuelle entre toutes de Sainte Thérèse de Lisieux. Pour saluer l’un des romans majeurs de cette rentrée d’hiver, Diacritik ne pouvait manquer d’interroger le romancier le temps d’un grand entretien.
Le Relais des Amis est à la fois un lieu et l’absence de tout lieu : c’est, sur son recto concret, le nom d’un café dans une petite ville de la côte normande et, sur son verso abstrait, le principe romanesque d’un livre qui portera le nom de ce café. Là Simon tente, en vain, de commencer un roman, il n’a pas même la première phrase. Mais on le suit se rendre au Relais des Amis et tout s’enclenche, la prose de Christine Montalbetti s’envole, suivant un personnage puis un autre, faisant du roman non une fuite en avant mais un passage de relais, un art de la fugue.
Le livre de Jean-Christophe Cavallin entend « déduire par analogie, d’un traumatisme infantile et du menu d’une névrose, le panorama clinique de la culture occidentale et de notre rapport au monde ». Nature, berce-le relie ainsi le plus personnel, le plus intime, au plus général, dans un raccourci ou selon une vitesse qui interrogent autant qu’ils ouvrent des perspectives.
Un choc, une fulgurance, un récit magistral : voici les quelques mots qui viennent immédiatement à l’esprit pour qualifier le puissant premier roman de Pauline Peyrade, L’Âge de détruire qui parait cette rentrée d’hiver chez Minuit. Récit d’une rare violence, L’Âge de détruire offre à la première personne la vie de la jeune Elsa qui vit seule avec sa mère, abusive. Loin de l’image stéréotypée de l’amour maternel, le roman offre une odyssée sensorielle et matérielle d’une relation mère-fille travaillée par la lente et inexorable destruction. Après les récits remarquables de Blandine Rinkel puis d’Emma Marsantes, Pauline Peyrade offre au contemporain une rare intelligence de l’époque Post MeToo. Autant de pistes de réflexions que Diacritik ne pouvait manquer d’évoquer avec la romancière et dramaturge le temps d’un grand entretien.