Emma Marsantes : « ‘Une mère éphémère’ est un conte cruel »

Emma Marsantes, Une mère éphémère, détail de la couverture © éditions Verdier

C’est un des chocs littéraires de cette année : Une mère éphémère d’Emma Marsantes, paru chez Verdier, s’impose comme l’un des récits qu’il faut lire toute affaire cessante. Dans une langue heurtée, brisée, profondément tendue et neuve, Mia raconte son histoire. Et elle est terrible. Elle dit sa mère folle, son père prince déchu. Elle dit son frère qui la viole, son voisin qui abuse d’elle sans qu’enfant elle le comprenne bien. Elle dit aussi bien la survie depuis l’écriture, dont son récit est ici l’issue presque miraculeuse. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre de son autrice le temps d’un grand entretien pour saluer ce rare événement de la naissance d’une voix singulière.

Ma première question voudrait porter sur la genèse de votre premier roman, si puissant, Une mère éphémère qui vient de paraître chez Verdier. Vous y racontez lhistoire de la jeune Mia dans cette famille « où lon apprend à mourir. Cest aussi fort quautre chose, le désir de mourir, et cela se transmet très bien. » : comment sest imposé à vous le titre ?  En quoi vous paraît-il rendre la mesure de ce récit que vous présentez comme « une enquête obsessionnelle » ? En quoi cette dimension denquête vous permet-elle de revenir en détail et en profondeur sur des épisodes fondateurs et traumatiques de lexistence de votre narratrice ?

Le titre Une mère éphémère est presque une alliance de mots tant la maternité est un topos de l’amour éternel. On pense aux figures littéraires des mères dans Sido, la Recherche du temps perdu ou La Promesse de laube. Mais la mère de Mia est plutôt une contre-figure de mère, d’une part parce qu’elle abandonne son enfant en se donnant la mort, et, de l’autre, parce que, avant même son suicide, sa maladie mentale la rend inaccessible à l’amour, et impuissante à identifier sa fille comme étant son enfant. C’est une mère qui côtoie sa fille dans une espèce d’absence ou de déni de maternité.

Le roman s’est longtemps appelé « Hautes Tensions », titre qui posait un jugement extérieur, détaché, et presque ironique sur ce récit que fait Mia de ses malheurs ou de ses infortunes. J’ai finalement choisi Une mère éphémère, qui traduit son point de vue, son désespoir et sa révolte face à cette mère qui la fuit. Mia pourrait aussi bien crier « Mère, mère, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » Ce crime double, contre soi-même et contre son enfant est aux yeux de la narratrice une énigme qui l’obsède.

Elle tente alors de se souvenir de l’éducation qu’elle a reçue, qui a plutôt été un apprentissage de la confusion, de la perte du sens et du refoulement. Son enquête, comparée à une plongée sous-marine en apnée, lui permet de  remonter à la surface « les épisodes fondateurs et traumatiques », des scènes naufragées qui deviennent des objets factuels qu’elle peut nommer et décrire. La personnalité tyrannique de son père, l’agression innommable d’un voisin, la mélancolie de la mère, son mysticisme, son imposture, la violence progressive du frère sont autant de pièces à conviction qui l’autorisent finalement à s’approprier une identité et à comprendre son histoire.

Ce qui ne manque pas de frapper, en premier lieu, dans Une mère éphémère, cest combien loin dobéir aux lois du texte à la première personne, le récit se présente bien plutôt comme un contre-récit autobiographique tant la narratrice de ce roman raconte non pas comment elle sest constituée mais comment les événements ont fini par la déconstituer. En ce sens, Une mère éphémère ne procède pas de lalternance entre transparence et obstacle comme il est souvent de mise dans le récit autobiographique mais livre une matière autobiographique qui ne semble constituée que dobstacles et d’épisodes tramés dopacité dont vous dites : « Je ne sais plus ce qui sest passé mais je sais que cela sest passé. Dans le seul fait que je ne puisse pas me souvenir tient la véracité de mon récit. » Ma question serait la suivante : comment dès lors, dans ces expériences déformatrices de la narratrice, écrire ce récit que vous dites être « en mémoire de cécité » ? Comment prendre la parole en tant que « défracturée » comme lindique Mia ?

Mia n’a jamais été vue ni considérée.  Elle n’existe pas comme sujet dans le regard de sa mère. Sa perception d’elle-même a été effritée, soit par capillarité au contact de cette mère dépressive et comme aqueuse, soit par sidération lors des agressions sexuelles quelle a subies. La règle qui l’a déconstruite, c’est celle des couvents, l’obéissance, la foi, le silence. En tant que personnage, Mia parle souvent à travers des objets, le son grinçant de sa pelle en fer traînée dans les allées de la Baule, le landau qu’elle promène adulte dans les rues de Neuilly-sur-Seine pour dire l’inceste, ou alors, c’est son corps qui exprime sa pensée en vomissant, en saignant, en exigeant d’elle des expériences sexuelles qu’elle multiplie sans savoir pourquoi. Quand elle commence à écrire, elle n’a pas d’unité psychique. Ses traumatismes sont par essence déconscientisés et exportés dans des zones non accessibles de sa mémoire. Ils appartiennent à des états dissociatifs. Dès lors, le roman utilise les questions, les suppositions, les interprétations, et les propositions dans de courts chapitres qui font se succéder des instantanés, des images et cet empilement plus ou moins oublié d’évènements traumatiques. On tourne les pages d’un album de photographies sans lien explicite, sans continuité logique. Même l’ordre des chapitres n’est pas chronologique. Le lecteur doit être immergé dans cette mémoire éparpillée et discontinue. Mia est une narratrice perplexe qui assume l’opacité, l’impuissance, et les distorsions du langage. Elle utilise des registres du genre poétique, le chant, l’élégie, les répétitions, les métaphores, les allégories pour exprimer ses émotions plutôt que de construire une logique qui n’a pas sa place. La folie n’est pas logique. C’est en cela que le texte Une mère éphémère est l’inverse d’un témoignage. L’enjeu de la quête héroïque de Mia sera d’accéder à l’unité et à la parole. Ce que l’écriture lui permet à la fin.

Ce qui est remarquable également dans Une mère éphémère, cest combien, prolongeant notre questionnement sur le récit autobiographique, votre premier roman ne soffre pas véritablement comme un récit confessionnel, on la dit, mais comme un récit de défaisance. A ce titre, pourrait-on dire que, pour reprendre cette formule convenue de récit de vie que vous offrez un récit entre vie et survie à linstar de ce que vous dites : « Je ne suis ni vivante ni survivante, je suis simplement restante, comme la peau morte de sa mue » ? Pourriez-vous expliquer ce mot de « restante » qui rend compte dune existence traversée par le viol, linceste et lhumiliation ?

Mia évolue entre deux parents qui élèvent leurs enfants dans un grand confort matériel mais ne les protègent de rien, les mettent eux-mêmes en danger, et surtout ne s’opposent pas à leurs agresseurs. Ni le père ni la mère n’est en état de prendre en considération l’enfant comme une personne à part entière, de lui adresser la parole et de lui apprendre à nommer ce qui est. Ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Et la mère, en taisant les violences que subit Mia, détruit non pas les crimes, mais la possibilité d’y survivre. Le premier viol que connaît Mia alors qu’elle est toute petite reste non prouvé, non explicité, et elle n’y comprendra jamais rien. De même, quand son frère devenu adolescent la frappe, la maltraite et finalement la viole à son tour, la mère fait comme si de rien n’était. La destruction de Mia sera paroxystique quand elle comprendra que pendant toutes ses années de martyre sa mère savait pertinemment ce qui se passait. Le silence est donc constitutif de la désintégration de Mia. La métaphore de la mue du serpent crée le sentiment que cette mère inhumaine est un reptile à sang froid, potentiellement dangereux, et que son suicide est peut-être pour elle une étape indispensable d’évolution dans l’espèce de délire mystique qui la domine. Elle s’échappe et se régénère en se tuant. Mia n’a été qu’un avatar de la vie de sa mère et tombe comme de la peau morte. Elle a servi de peau à sa mère, elle l’a enveloppé et protégée, elle lui a donné une fonction, une identité, un rôle, et avec la mue, elle perd son emploi, elle n’a plus de fonction. Mia reste comme un accessoire abandonné, un vêtement laissé sur une chaise ou une écorce d’orange épluchée. Elle n’est que la trace tangible que sa mère a bien existé. Elle est figée dans cet état. Mia dit l’inverse de la résilience.

Une mère éphémère se distingue également par son humilité narrative qui force le respect. A rebours du discours sur la puissance et lhéroïsme, votre texte exhibe une fragilité qui propose précisément un retournement de la figure de la puissance, de la hauteur : « Je men sors par le bas » ? En quoi cette formule peut-elle être tenue comme une manière de devise qui guide la narratrice, loin de toute posture héroïque et qui explique peut-être, comme le texte le dit encore, que « « Mia est bizarre » ?

Née dans les années 1960, dans un milieu bourgeois, Mia a été élevée en tant que fille dans une posture sociale d’impuissance, d’infériorité et de soumission. Le maître, le capitaine, le chasseur, c’est le père. L’univers féminin est peuplée d’héroïnes humiliées comme Justine et O, de mannequins nues fétichisées, des femmes de son entourage qui sont toutes fragiles et malades. Bien plus violemment encore, ceux et celles en qui elle a le plus confiance vont paradoxalement l’attaquer, lui ôtant toute conscience qu’il s’agit d’agressions. Mia est clairement enfermée dans la passivité de la proie parce qu’elle ne peut pas identifier les prédateurs comme tels. Les référents du bien et du mal sont inversés. Dès lors, elle ne parvient pas à se rebeller autrement qu’avec les moyens du bas corporel : le vomi, le sang, le fécal. C’est son corps qui a les bonnes réponses. Ses réponses sont en fait parfaitement justes et adaptées mais dans cette famille perverse, c’est elle qui est désignée comme bizarre. Une mère éphémère offre plusieurs figures de personnages mis en échec par des systèmes totalitaires et pervers comme le petit garçon juif déporté ou la grande tante lobotomisée. Personne ne « s’en sort par le haut » c’est à dire que le bien ne triomphe pas, on marche dans le sillage de ces anti héros sur des chemins qui ne les mènent nulle part.

Au cœur le plus sombre dUne mère éphémère se présentent trois figures terribles qui hantent la narratrice et qui forment non pas sa famille mais ce quil faudrait nommer avec Christophe Honoré « linfamille » de la narratrice : le père, la mère et le frère. Ces trois figures bientôt tragiques ont en commun d’être ambivalentes, réversibles, capables par leur comportement toujours inattendu douvrir une violence qui broie Mia.
La première de ces figures est le père qui exerce une puissance dévastatrice de la parole. Il simpose ainsi, jusqu’à leffroi le plus total, comme le maître, à savoir le maître du langage mais un langage double, bifide, perfide, déstabilisateur. Pourquoi Mia en vient-elle à dire : « Mon père joue à tuer sa famille » ?

En effet, ce qui est destructeur pour la petite Mia, c’est que le monde est essentiellement contradictoire et incohérent. Elle est comme une chimiste qui manipulerait des substances sans en connaître les propriétés. Les réactions de son entourage sont imprévisibles et aléatoires. Il n’y a pas d’ogre ni de fée, de bons ni de méchants, chacun est soi et son contraire. La violence peut surgir à chaque interaction, Mia peut être aussi bien cajolée, que violentée, rejetée ou punie. Sa marraine, par exemple, pourrait la protéger mais, insidieusement, va l’exposer, la rabaisser et l’humilier. La douce maîtresse d’école se jette un jour sur une de ses camarades pour la battre de manière terrifiante. La brutalité des adultes est particulièrement tangible dans les prises de parole du père, rapportées au style direct. Son Verbe est essentiellement destructeur, entre vexations, plaisanteries humiliantes, humour cruel, ordres péremptoires, remarques désobligeantes, litanies d’exigences, chansons paillardes, jurons, ou tendresses ambigües, à la lisière de l’incestuel. La personnalité du père semble s’expliquer par la mort de son propre père alors qu’il n’avait que neuf ans. Il vit ce qu’on appelle un deuil gelé, c’est à dire qu’il n’a jamais guéri de ce décès qui a projeté sa mère dans la ruine financière. Le père est habité par sa révolte de petit prince déchu. Ses colères, sa méchanceté, son autoritarisme sont celles d’un petit garçon sadique, elles sont inadaptées, inactuelles, et irrationnelles. Il aime la violence, qu’elle soit celle de la chasse, des esclandres, ou celle des tempêtes en mer. Dans ces moments-là, il semble jouir du danger. Quand il entraîne sa famille dans des situations extrêmes, on a le sentiment qu’il s’amuse en exerçant sur eux un pouvoir de vie et de mort, qu’il a subi et réactualise à son corps défendant. Il est lui-même victime d’une violence antérieure.

La deuxième figure, centrale entre toutes, est à l’évidence celle de cette mère éphémère, suicidée, qui donne au récit son titre. Un point remarquable entre tous est lusage quelle a, à son tour, du langage, qui déchire lair comme une surprise à la violence inouïe à chaque fois pour la narratrice. Elle alterne ainsi mots doux et mots acerbes, désignations humiliantes qui sont traumatisantes comme le redondant « Merde au cul ! ». En quoi, comme vous le dites, peut-on sexclamer au sujet de cette mère : « Drôle de mère ! » ? Pourquoi également, dans le rapport très intime que Mia tisse avec elle, la jeune fille peut-elle dire : « Je dors vaginisée dans linconscient stérile de ma mère » ? Mais dans le même temps, en dépit des humiliations répétées, en quoi son récit est-il aussi le récit de la voix impossible de la mère puisque Mia en vient à dire : « Je vais reprendre la parole, là où tu as cessé de parler. Je veux ta voix » ?

La mère de Mia est folle. C’est un mot difficile à employer parce qu’il paraît générique, brutal et inefficace mais il est inévitable quand on doit penser le personnage de la mère. La folie de la mère de Mia est immanente. La narratrice n’en donne pas d’explication. Le traumatisme qu’a subi le père est raconté, on peut interpréter ses comportements. Mais la mère est dans un état d’altérité et d’incongruité absolue, ses actes et ses expressions sont choquants, inadaptés, étranges, et avant même son suicide, elle peut abandonner son enfant en pleine rue, la transformer en petit garçon après son viol, dormir dans son lit à l’âge adulte ou fusionner avec elle dans un magma halluciné. La mère est décompensée et délirante. Mia n’est pas née à la conscience de cette « drôle de mère », elle n’est qu’une présence embryonnaire que sa mère ne perçoit pas comme individualisée. C’est une petite fille en état de non séparation d’avec sa mère et en quasi mort psychique.  C’est pour cela qu’elle dort « vaginisée dans l’inconscient stérile de ma mère ». La mère quoique mère physiquement n’a pas accédé à la fécondité, il n’y a pas de reconnaissance de sa fille comme étant autre. Ainsi, avant de se donner la mort, va-elle tenter d’abord de tuer sa fille.

Personne ne peut répondre aux actes ni au langage de la mère. C’est une folie non verbale, non syntaxique qui rend Mia confuse. Mais le suicide rompt les sortilèges. Le brouillard se dissipe. La maladie mentale est tangible. Le récit peut alors commencer, une pensée s’élaborer. Mia parle coûte que coûte, demande des comptes, pose des questions et échappe au chant de la sirène, c’est à dire à la non parole qui rend fou. Elle refuse la tentation des mensonges, des inversions, des paradoxes, des croyances et surtout le silence. Mia comprend.  Dès lors Mia pourra parler.

Enfin il y a terrible entre toutes la figure du frère devenue bête sauvage et irascible au contact de la brutalité active du père. Le frère qui entre inceste et viol oblige la sœur à des actes sexuels auxquels elle ne peut se soustraire. Pouvez-vous nous expliquer cette formule terrible : « Je vomis le serpent de linceste » ? A propos de cette dernière figure apparaît une modalité d’écriture que ne cesse de développer Une mère éphémère, celle dune écriture qui ne cherche pas à tirer de leçon morale tant, confie Mia, « La morale est ailleurs » ?

Il n’y a pas de morale parce que la folie est irrationnelle. Les personnages du livre sont immatures, infantiles. Le père est rendu fou par son passé. Il rend fou son fils. Les épreuves qu’ils affrontent sont transgénérationnelles. Il manque la loi, et le discours de la raison: un psychiatre, un médecin, un policier, un juge, qui nommerait les interdits. Mais comme dans le livre Oui-Oui où la petite Mia apprend à lire, les personnages sont des jouets. Le langage leur est tout particulièrement inaccessible. Ainsi la bouche est-elle l’organe central dans la problématique de ce roman. La bouche de Mia ne lui appartient pas. Elle ne doit pas manger. Ni parler. Ni vomir. Son frère utilise sa bouche pour ses plaisirs. Il rejoint par là le processus de la détruire en la faisant taire. Il lui « cloue le bec » comme le fera le suicide final de sa mère. Le serpent, figure du péché et de la tentation dans la Bible, c’est le silence. Il est finalement recraché quand Mia révèle l’inceste qu’elle subit. Mais cette révélation est comme punie de mort, la mère se tue. Car dans les systèmes pervers, l’ordre ne triomphe pas. Les victimes passent toujours pour les bourreaux, elles ont tort, et elles sortent défaites de leurs combats. Une mère éphémère est un conte cruel.

Enfin ma dernière question voudrait porter sur cette langue nouvelle, cette langue que vous tordez pour lui faire rendre la mesure de ce que subit Mia. Ce qui apparaît tout dabord remarquable, cest lusage anaphorique, répété et terrible de phrases nominales, leur hyperprésence dans le texte qui traduit, à chaque fois, un sujet évanoui, disparu, à qui, faute didentité, il est désormais impossible de décliner un verbe. Est-ce que la phrase nominale traduit pour vous la crise ontologique violente que traverse Mia Enfin, le récit est traversé de mots torses, travaillés dans leur pluralité pour faire surgir des images encore inédites : citons, notamment, « Peine de morte », « Feu de toi » ou encore « Fécalisée ». Sagit-il de traduire ainsi cette remarque de la narratrice, sa désappartenance « Ma bouche qui te parle mais qui nest plus ma bouche » ?

Mia essaie de se souvenir cinquante années plus tard d’évènements traumatiques, il ne lui reste qu’une mémoire refoulée, fragmentée et qu’on pourrait dire hostile. Mia dépersonnalisée, bouche cousue, prend la parole avec la voix muette de l’écriture. Les phrase nominales, le style haché, chaotique, l’absence d’énonciation porte en-effet cette problématique de la possibilité d’un sujet. Mia est-elle une personne constituée ? Le récit halète. Annie Ernaux m’a répondu à propos de ce roman qu’il était « suffocant ». Je crois que l’écriture est exactement celle-ci, une écriture de la suffocation. Mia ne raconte pas, elle a des flash, des sensations, elle court à bout de souffle et parle comme si elle luttait contre l’asphyxie mentale et l’oubli.

Comment écrire l’impensé ? Elle utilise des néologismes et joue avec les expressions courantes comme « Feu sa mère », ou « enfantée ». Le suicide de l’une étant le meurtre de l’autre, elle se décrit comme condamnée à une « peine de morte ».

L’inaccessible, l’indicible, le non pensé s’expriment par un métalangage. Les signifiants semblent plus importants que les signifiés. Les images, les sonorités, les associations verbales prennent le pas sur la norme. Mia peut-elle communiquer ? L’invention d’une langue paradoxale témoigne de sa fragilité. Elle demeure inaudible, confuse et asyntaxicale. Le roman, comme Mia, reste définitivement « bizarre». Il n’est que le premier tome d’une saga qui formera une pyramide du sens.

Emma Marsantes, Une mère éphémère, Verdier, septembre 2022, 128 p., 15 €50