Une famille est à l’image d’une des scènes données à voir dès les premières minutes : Christine Angot réalisatrice s’introduit de force dans la maison de la dernière femme de son père. Depuis la mort de son mari, elle n’a jamais répondu aux appels de Christine Angot, n’a jamais essayé de comprendre, n’a jamais voulu savoir. Car l’inceste, c’est un peu cela, dans notre société. On a préféré, jusqu’à quelques années encore, ne pas en parler, ne pas entendre, ne pas écouter.

La silhouette frêle à la chevelure rousse ardente de Nan Goldin déambule nerveusement dans le hall du Guggenheim de New York. À son bras, une militante de son collectif, PAIN (Prescription Addiction Intervention Now), la rassure et lui donne le tempo. Une pluie de prescriptions d’OxyContin se déverse soudain depuis les étages circulaires ; des banderoles rouge sang se déploient et les cris de protestations, contagieux, résonnent dans la spirale monumentale du musée. Nan Goldin lève les yeux en scandant le slogan que les militants reprennent à l’unisson. Au cœur de ce cyclone de papiers et de lutte, fascinant, se niche l’émotion instantanée, presque photographique, d’une action déjà réussie : la performance politique fait comme effraction dans un temple autoproclamé de l’art, et soutient le combat de l’artiste et des gens qui se sont agglomérés autour d’elle depuis cinq ans au sein de son association.

« La mer [est] trop grande pour mes yeux habitués à naviguer les écritures » écrivait Pierre Perrault au milieu des années 1950. « J’en ai assez de vivre dans le fiction » complètera-t-il trente ans plus tard. Bien souvent, l’auteur et réalisateur québécois s’est plaint d’une même tare, celle de fréquenter les livres plus que ce monde qui les environne. Il en est allé de même dans les eaux de la baie de Baffin, au début des années 1990 et à l’embouchure du Saint-Laurent trois décennies plus tôt. Ce constat, cependant, il s’est échiné sa vie durant à le conjurer. En témoignent deux rééditions chez Lux qui forment comme les bornes extrêmes de sa vie de poète et de documentariste.

Joan Didion, autrice, scénariste, essayiste, journaliste (et phare du « new journalism », s’est éteinte hier à New York. Elle avait 87 ans. Son œuvre est une fresque de l’Amérique comme de sa propre vie, deux sujets en miroir, collectif et intime, intérieur et extérieur. Le 2 février prochain, les éditions Grasset publieront Pour tout vous dire (Let me tell you what I mean), dans une traduction de Pierre Demarty, un livre qui rassemble des chroniques publiées entre 1968 et 2000 comme les thèmes de prédilection de l’autrice (presse, politique, Californie, femmes) et s’offre comme un « pourquoi écrire ». Retour sur une œuvre majeure depuis le prisme du documentaire que lui consacra Griffin Dunne, en 2017 et d’une phrase en ouverture du White Album, cette phrase qui vaut ethos comme art poétique, « Nous nous racontons des histoires afin de vivre » (« we tell ourselves stories in order to live »).

Le documentaire Homothérapies, conversion forcée a pour objet les (mal) dénommées « thérapies de conversion » – absolument non thérapeutiques dans les faits et ne convertissant personne : ces « thérapies » sont supposées s’appliquer aux gays et lesbiennes alors que l’homosexualité n’est pas une maladie ; elles sont en vérité des agressions et des actes de torture ; on ne « convertit » pas quelqu’un à une sexualité ; pourquoi devrait-on « convertir » les homos ? ; etc.

Le documentaire de David France, Bienvenue en Tchétchénie, porte sur ce qui est plus qu’une persécution des personnes gays et lesbiennes en Tchétchénie : le film met en évidence une volonté délibérée, organisée, soutenue par l’Etat tchétchène, ainsi que par une partie de la population, d’arrêter, de violenter, d’assassiner les gays et lesbiennes en tant que tel.le.s – ce que l’on appelle un génocide.

Baleh-baleh est le deuxième film de Pascale Bodet présenté à Cinéma du Réel, après Presque un siècle en 2019. Cette année, en raison des conditions sanitaires, peu de personnes ont pu y avoir accès et encore, depuis l’écran de leur ordinateur. Siryne Zoughlami fait partie de ces happy few. Elle a pu s’entretenir avec la cinéaste sur ce film documentaire qui met en scène un homme confronté à la lecture d’un conte.

Trente ans après la mort de Serge Gainsbourg le 2 mars 1991, on a tous en tête une chanson, une image, un souvenir qui nous relie à lui. Aimé et détesté de son vivant, mythifié post-mortem, l’artiste n’a pas accédé immédiatement à la gloire qui lui était due, la faute à des prises de positions radicales sur son art et des failles personnelles, intimes, qui l’ont nourri autant qu’elles l’ont consumé — ce dont rend compte avec acuité et sensibilité le magnifique documentaire de Stéphane Benhamou et Sylvain Bergère proposé par France 3 à l’occasion de l’anniversaire de la mort de l’homme à tête de chou.

Le cinéaste Alexandre Dereims est un homme chanceux. Peut-être même le plus chanceux du monde, du moins, c’est ce qu’il suggère. En juillet 2019, tandis qu’il prenait place dans un TGV, il s’est aperçu que son compagnon de voyage n’était autre que Donald Sutherland. Alexandre Dereims a demandé au grand acteur américain la permission de l’entretenir un moment et, après avoir reçu une réponse courtoise, a profité du hasard de leur rencontre pour lui montrer la bande-annonce de son documentaire, Nous sommes l’humanité.

Il faudrait d’abord inscrire ce texte dans son contexte, encore davantage que pour d’autres. Vaguement parler de l’écriture critique en temps de Covid-19, son anéantissement, sa vacuité, alors que nos salles de cinéma sont fermées, que les festivals sont annulés, et que par-dessus tout, les rencontres et véritables conversations que ces endroits permettent sont empêchées.

Fugitif, où cours-tu ?, d’Elisabeth Perceval et Nicolas Klotz, s’ouvre sur des images de la terre, du ciel – une terre qui n’est pas travaillée, ordonnée, domestiquée, mais à l’abandon, comme détruite. Une terre à la marge, une plage battue par les vents, par l’air marin. Le parti pris est matérialiste : filmer la matière, les choses, les corps, et filmer la parole de ceux et celles qui « habitent » sur cette terre, dans ces lieux où l’on n’habite pas mais où l’on essaie de survivre, d’inventer une vie, en attendant.

C’est un exercice périlleux que de chercher à dire encore « quelque chose d’intelligent » sur Hold-up, après la somme de « discours critiques » produits depuis la sortie de ce film. Si mon propos assumera la fonction d’une « déconstruction », il s’agira moins d’une déconstruction de la mécanique du film à partir d’une position extérieure immunisée, que d’une déconstruction de cette position extérieure immunisée, au profit d’une autre posture de commentaire.