Le documentaire Homothérapies, conversion forcée a pour objet les (mal) dénommées « thérapies de conversion » – absolument non thérapeutiques dans les faits et ne convertissant personne : ces « thérapies » sont supposées s’appliquer aux gays et lesbiennes alors que l’homosexualité n’est pas une maladie ; elles sont en vérité des agressions et des actes de torture ; on ne « convertit » pas quelqu’un à une sexualité ; pourquoi devrait-on « convertir » les homos ? ; etc.
Ce que sont ces « thérapies » se révèle au fil du documentaire de Bernard Nicolas : la mise en place, par des institutions essentiellement religieuses, de pratiques violentes à l’égard des personnes homosexuelles, au service d’une idéologie réactionnaire, homophobe, fascisante – idéologie dont le présupposé n’est pas uniquement que l’homosexualité serait, par exemple, un péché, mais qu’il s’agit d’un danger à combattre, l’horizon de ce combat étant l’empêchement de l’homosexualité, autrement dit l’éradication des homosexuel.le.s (l’absurde formule : « nous ne combattons pas les homosexuels, nous condamnons l’homosexualité » étant un sophisme qui affirme en réalité : nous voulons leur mort). Le rêve secret et non dit qui habite les partisans de ces thérapies est la mort des gays et lesbiennes : rêve d’extermination, rêve de génocide symbolique ou réel, rêve d’une politique fasciste où les non conformes ne doivent pas exister…
Le documentaire rappelle que ces « thérapies de conversion » ne sont pas une première dans l’histoire contemporaine la plus proche : par exemple aux USA, après-guerre, les hommes et femmes homosexuel.le.s sont volontiers soumis.e.s à des électrochocs, à des lobotomies, à des internements (en plus de l’ostracisme, de la persécution, de la violence sociale et politique habituelle…), l’homosexualité étant identifiée comme un danger politique, social, et une maladie neurologique. Si la dépsychiatrisation de l’homosexualité est supposée entrainer un abandon de ces pratiques, divers mouvements religieux prennent alors le relai et continuent dans cette voie : il s’agit de guérir les homos – on agit pour leur bien –, de les placer en position d’être conformes à ce qui est défini comme étant le Bien voulu par Dieu, de protéger la société du danger représenté par l’homosexualité, etc.
Il n’est pas dit, évidemment, qu’il s’agit surtout de préserver un modèle hétérocentré, hétérosexiste, par définition violent et fasciste, qui repose, bien sûr, sur l’idée que l’homosexualité est un problème à combattre, mais aussi que les corps et les vies des personnes homosexuelles peuvent légitimement être des objets pour une violence collective et institutionnelle qui implique la destruction et, au besoin, la mort (les individus peuvent, par exemple, être poussés au suicide). Par le biais de ces thérapies de conversion, apparaît une des idées de l’homophobie sociale et politique : le corps des personnes homosexuelles (mais aussi des personnes trans) est un corps-objet pour un ordre hétéronormé et cisgenre, celui-ci pouvant s’en emparer, le manipuler, le définir, le « rectifier », décider de sa vie ou de sa mort – il ne s’agit donc pas des corps d’êtres humains…
Homothérapies questionne des victimes, des analystes, ainsi que certains responsables, montrant également des séquences réalisées en « caméra cachée » durant des messes, des séminaires, des entretiens privés. Les victimes racontent ce qu’elles ont subi lors de ces violences et du fait de ces violences : condamnation, rejet, exorcismes, culpabilisation, endoctrinement, électrocutions, souffrance, dépression, tentations suicidaires, conduites autodestructrices… Ce qu’elles disent, c’est qu’elles ont été exposées à des formes diverses de violence, réduites à l’état d’un objet dont on s’empare, que l’on manipule, que l’on peut vouloir détruire avec la conscience de faire le bien : la négation de la subjectivité des personnes, la négation de leur statut de sujet, la volonté de les dominer et de les soumettre sont permanentes et extrêmes – au nom, toujours, de la bienveillance, du plus pur amour, de la volonté charitable de Dieu…
Les témoignages montrent le rôle déterminant des familles, du milieu familial, pas uniquement parce que ce sont les familles qui conduisent leurs enfants jusqu’aux bras de leurs bourreaux mais aussi parce qu’elles exercent une pression psychologique commencée avec l’éducation et poursuivie avec des discours culpabilisateurs, des menaces, une incitation très forte à ne plus être gay ou lesbienne, etc. Les rapports familiaux sont ici d’autant plus un problème qu’ils impliquent des liens affectifs forts et un attachement tout aussi fort, dans la plupart des cas, des adolescent.e.s à leurs parents en qui ils ont confiance, qu’ils ne veulent pas décevoir, dont ils ont peur de la réaction : déception, jugements négatifs, risque de coups, d’être exclu.e, jeté.e à la rue, etc.
Cette situation familiale est évidemment renforcée par le poids de l’éducation, de la culture, de la dépréciation généralisée de l’homosexualité : une personne homosexuelle (ou trans), lorsqu’elle est ainsi contrainte, ostracisée, menacée, rejetée par sa famille, ne trouve pas à l’extérieur un lieu safe mais encore et toujours des discours négatifs la concernant, du rejet, de la violence, etc. : la famille, même toxique et destructrice, demeure souvent le seul lieu où rester. Si les « thérapies de conversion » existent et continuent de trouver des victimes, c’est non seulement du fait des institutions et groupes qui les pratiquent, des parents qui leur fournissent des victimes, mais aussi de l’homophobie généralisée (face à laquelle la notion de « communauté » et les pratiques communautaires sont donc fondamentales…).
Il ressort d’Homothérapies que les victimes le sont aussi parce qu’elles sont seules face au groupe, aux institutions, aux discours communs, parce que la lutte contre l’homophobie n’est pas réellement la lutte de tous, et certainement pas des institutions politiques, étatiques, transnationales (inaugurer un passage piéton rainbow n’est pas une politique de lutte contre l’homophobie). Le documentaire de Bernard Nicolas se concentre sur quelques pays démocratiques (USA, France, Allemagne…) dans lesquels des groupes et institutions prônant et pratiquant des « thérapies de conversion » existent sans rencontrer d’obstacle majeur : au sein de ces pays démocratiques, des citoyens sont torturés sans que cela ne soit réellement un problème pour les Etats concernés ou pour l’opinion publique – ceci n’étant pas un problème pour eux car, dans ce cas, les victimes sont homosexuelles (homophobie structurelle de nos sociétés et cultures) mais aussi parce que les bourreaux sont le plus souvent rattachés à des groupes chrétiens (poids de l’Eglise et du christianisme dans la culture, y compris politique, et les esprits). On comprend que les thérapies de conversion ne sont pas, pour ces démocraties et institutions internationales, un problème politique car l’homophobie n’est pas pour elles un problème politique, elle est tout au plus une question sociale ou sociétale – comme on dit maintenant lorsqu’il s’agit de noyer le poisson de la dimension politique de l’homophobie et de la transphobie –, voire un problème entre individus relevant du droit commun (en France, cette année, un projet de loi porté par Laurence Vanceunebrock – d’ailleurs présente dans Homothérapies – et visant à établir une législation interdisant les « thérapies de conversion », a été repoussé…).
Il est frappant de constater, tout au long d’Homothérapies, que les responsables de ces actes violents le sont en toute impunité, soit qu’ils se contentent de s’excuser pour leurs actes passés, soit qu’ils continuent de justifier leurs actes et discours, le plus souvent au nom de certitudes infondées, de pseudo-références médicales absurdes, d’une foi mal comprise : dans tous les cas, ils n’ont jamais affaire à la justice, continuent leur vie avec plus ou moins de culpabilité ou de haine mais sans rendre de comptes au sujet des vies qu’ils ont détruites et continuent de détruire. Ainsi, aujourd’hui, en France et ailleurs, des groupes religieux, chrétiens, évangéliques, continuent de répandre un discours homophobe, (le Catéchisme de l’Église catholique affirme que « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés », qu’ils sont « contraires à la loi naturelle », qu’« ils ferment l’acte sexuel au don de la vie », qu’« ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable », qu’ils « ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas »), d’organiser des exorcismes, des accompagnements « thérapeutiques » plus ou moins invasifs et cruels, des groupes de « soutien » qui sont autant d’entreprises destructrices.
Il est évident que cette réalité ne s’arrêtera pas d’elle-même dans la mesure où il s’agit aussi d’un business financièrement intéressant, qu’elle est également la conséquence d’une indifférence institutionnelle, sociale et politique, qu’elle est enfin le symptôme d’une réalité sociale qui ne s’est engagée jusqu’à maintenant dans aucune thérapie pour soigner sa propre homophobie structurelle.
Homothérapies, conversion forcée, documentaire de Bernard Nicolas, co-écrit avec Jean-Loup Adénor et Timothée de Rauglaudre. 2019. Le documentaire est diffusé sur Arte jusqu’au 15/08/2021.