Lorsque fut créée en 1985 For Bunita Marcus, sa pièce pour piano en un seul mouvement et d’une durée de plus d’une heure, Morton Feldman (1926-1987) montra une fois encore combien, ainsi qu’il le disait lui-même, il n’avait rien d’un « horloger ». À l’évidence, son intention avait toujours été radicalement différente. Ce qu’il souhaitait, c’était « obtenir du temps dans son existence non structurée », puis, histoire d’imager la chose, il ajoutait : « ce qui m’intéresse, c’est la manière dont cette bête sauvage vit dans la jungle — non au zoo. Je m’intéresse à la manière dont le temps existe avant que nous posions nos pattes sur lui — nos intelligences et nos imaginations, en lui ».

2023 se donne comme une année poétique parmi les plus riches et enthousiasmantes : après le sentiment du vivant peint dans le très beau Ryrkaïppi de Philppe Beck, après le splendide Irréparable d’Olivier Cadiot sur la fin de l’amour puis l’éloge magistral de l’amitié de S&fies d’Anne Portugal, il fallait revenir à la naissance de l’amour grâce à Simon Johannin. Dans Le Dialogue, qui vient de paraître aux éditions Allia, le jeune écrivain flamboie à nouveau de sa langue si rare et si singulière pour raconter, à deux voix, comment deux êtres parlent de l’amour naissant. Dialogue philosophique, dialogue poétique : la porosité générique guide un texte fulgurant à l’évidente grâce. Après Nous sommes maintenant nos êtres chers puis La Dernière saison du monde, l’auteur de Nino dans la nuit et L’Été des charognes poursuit une œuvre qui s’impose comme l’une des plus remarquables du paysage contemporain. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre de Simon Johannin le temps d’un grand entretien.

Guillaume Gesvret, professeur de Lettres dans un lycée de Seine-Saint-Denis, propose dans Un léger désordre un essai sur la lecture à partir de situations de cours. Ce sont les moments d’interruption par des paroles intempestives ou « hors-sujet » des élèves qui sont le point de départ de sa réflexion littéraire et théorique. Entretien.

Si un nom pouvait incarner, de manière contemporaine, la passion pour la pop culture, nul doute que celui Nicolas Tellop s’imposerait avec force. Pour preuve encore, son dernier opus, un essai aussi singulier qu’émouvant, le très beau L’Évangile de l’espace qui vient de paraître au Feu Sacré. Consacré à l’écrivain américain Kurt Vonnegut, ce bref texte plonge dans l’univers si étonnant de l’auteur d’Abattoir 5. De ce coup de foudre littéraire est née la passion de Tellop pour une littérature s’interrogeant sur le rôle qu’elle peut jouer pour le lecteur : peut-on même parler de littérature engagée ? Cela a-t-il un sens ou sommes-nous en face de l’escroquerie la mieux troussée du XXe siècle ? Autant de questions peu apaisées que Diacritik est allé poser à l’auteur le temps d’un grand entretien.

Alors que son dernier livre, Nûdem Durak. Sur la terre du Kurdistan, vient de paraître aux éditions Ici-Bas, Diacritik est heureux de publier la version française d’un entretien avec Joseph Andras, mené par Wesîla Torî, paru en kurde dans Bianet, dans lequel l’écrivain revient sur la genèse de son livre et la nécessité littéraire comme politique de « faire sortir de prison la voix des prisonniers ».

Dans son sixième roman, Le Silence des dieux qui vient de sortir en poche, Yahia Belaskri explore avec un bonheur d’écriture maîtrisé le triptyque qu’il affectionne : en « panneau central », une évocation précise de l’Algérie dans l’espace frontalier du nord et du sud à travers les gestes les plus quotidiens des habitants ; et, de part et d’autre, bousculant cette plongée réaliste, le volet légendaire et le volet poétique. Lecture et entretien avec l’écrivain.

Sombre et magnétique : tels sont les mots qui viennent à l’esprit après avoir lu le premier roman d’Etienne Kern, Les Envolés. Kern y brosse l’histoire de Franz Reichelt, tailleur autrichien venu vivre à Paris et qui meurt un jour de 1912 en se jetant de la tour Eiffel avec le costume-parachute de son invention. Dans une langue qui traque les fantômes, le romancier cherche à mettre en lumière tous les êtres impermanents au monde qui ont, plus largement, traversé son existence, autant d’envolés qui, tragiquement, ont franchi le pas. Alors que Les Envolés paraît en poche chez Folio, Diacritik republie l’entretien qu’Etienne Kern avait accordé à Diacritik lors de la sortie du livre.

Cher Simon,

Parler à celui ou à celle qui est dedans, qui vomit ou a envie de vomir, qui est là depuis longtemps, qui ne sait pas comment faire, comment sortir, qui ne veut peut-être même pas en sortir, est un exercice un peu vertigineux. Te parler, me parler à moi-même, leur parler de telle façon qu’ils entendent, acceptent d’écouter, ce serait quoi ?

Splendide et passionnant : tels sont les deux termes qui viennent à l’esprit après avoir achevé la lecture du Scénario de la Route des Flandres de Claude Simon aux éditions du Chemin de Fer. C’est peu de dire qu’il faut saluer le travail extraordinaire de Mireille Calle-Gruber qui, notamment après Le Cheval, continue de nous faire découvrir les pans encore ignorés de l’œuvre monumentale de Claude Simon. Ici elle nous livre le scénario adapté par Simon lui-même de l’une de ses œuvres majeures, La Route des Flandres paru en 1960. Édition critique, attention génétique, éclairage iconographique : précipitez-vous sur ce livre qui ouvre de nouvelles et riches perspectives de recherche que, le temps d’un grand entretien, Diacritik ne pouvait manquer d’aller poser à Mireille Calle-Gruber.

À l’occasion de son passage à Paris, pour la sortie en France de son deuxième roman Parfois le silence est une prière, aux éditions Christian Bourgois, Billy O’Callaghan a bien voulu accorder une interview à Diacritik, au Centre Culturel Irlandais. L’entretien est à retrouver en vidéo (et en vo) ou en français dans une traduction de Carine Chichereau.

En cette année de célébration du quatre-centième anniversaire de la naissance de Blaise Pascal, on se réjouit que les éditions P.O.L aient pris l’initiative de rééditer l’ouvrage de Marianne Alphant, Pascal Tombeau pour un ordre, publié une première fois chez Hachette en 1998.

Et s’il était l’heure de faire « dérailler la machine » ? Ainsi s’interroge Jacques Deschamps dans son remarquable et stimulant essai, Éloge de l’émeute qui vient de paraître dans la très belle collection « Trans » des Liens Qui Libèrent. Derrière ce titre volontiers provocateur en ces temps où les ministres macronistes fustigent le « terrorisme intellectuel » ou condamnent les cinéastes qui ont reçu de l’argent sans « penser » comme eux, Jacques Deschamps offre une réflexion aussi juste que brillante sur la nécessité aujourd’hui de l’émeute face au néolibéralisme totalitaire.

Paru tout récemment aux éditions Ardemment, Affreville est le récit (ni fiction ni essai historique) jusqu’alors inouï du râle de la défaite qui a résonné sur la génération des familles des militaires français en poste en Algérie pendant la guerre d’indépendance. Ce texte dense, rythmé de séquences et tableaux montés entre eux comme les plans d’un film, dépasse largement le cadre habituellement dévolu au genre du « témoignage » et n’est surtout pas, il faut le dire tout de suite, un énième livre sur la guerre d’Algérie.