Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff : « Nous posons la question de l’énonciation comme toujours politique » (Qui parle ?)

@ Christine Marcandier

C’est un livre événement, sans doute aucun, l’un des plus importants essais parus cette année : Qui parle ? (Pour les non-humains) de Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff, qui paraît aux PUF dans la collection « Perspectives critiques » reprend, avec force, la question du « qui parle ? » afin de la poser à l’ère anthropocène. Comment donner ainsi la parole, en notre temps, à ceux qui ne peuvent la prendre, animaux, machines, végétaux ? Ne faut-il pas inventer ce qu’on pourrait nommer une politique du silence qui rendrait la démocratie à la démocratie en l’élargissant hors de l’humain ? Autant de questions passionnantes et fondatrices que Diacritik est allé poser aux deux essayistes le temps d’un grand entretien.

Ma première question voudrait porter sur la genèse de votre remarquable et indispensable Qui parle ? (pour les non-humains) que vous venez de faire paraître. Comment vous est venue l’idée d’écrire sur ce qui affecte la question de l’énonciation à l’ère anthropocène ? Y a-t-il un événement en particulier qui vous a conduit à repenser et réarticuler la question du déplacement et de l’élargissement des savoirs à tous ceux qui ne disposent pas de la parole ? Ou bien est-ce une réaction et un prolongement à des lectures marquantes et des pôles de réflexion neufs que vous ne cessez d’évoquer avec Bruno Latour, Donna Haraway et évidemment Jean-Christophe Bailly ? A quel moment, vous êtes-vous aperçus que décidément, du côté du non-humain, comme vous le dites, un peuple manque ?

Merci d’abord pour ces mots généreux. Disons que nous avions ce projet depuis quelques années déjà, reprendre cette question de l’énonciation à la fois en amont et en aval de l’évènement Anthropocène (évènement qui, ainsi que Fressoz et Bonneuil ont pu le montrer, est à la fois, une rupture – c’est un évènement – et une continuité – nul récit d’éveil mais une histoire de la marginalisation des alertes et des savoirs). Nul conflit pour nous à cet égard entre les différents noms donnés à cet évènement – Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène, Entropocène etc. – mais bien évènement polynymique : la désignation plurielle des responsabilités (le naturalisme, le capitalisme, le colonial, etc.). C’est par commodité que nous gardons le terme qui a fait naitre cet Évènement.

En amont de ce cet évènement donc – quand bien même nous étions déjà en plein dans l’ère de l’Anthropocène sans que nous y mettions encore un nom – la question de l’énonciation, cette question « Qui parle ? » nous semblait toujours se déplier en deux mouvements à la fois distincts, complémentaires mais aussi et surtout contradictoires : à la fois se situer et se destituer. Les politiques dites « identitaires », à nos yeux, affirmaient la nécessité de ce double mouvement, à la fois « hyper-identitaire » et « post-identitaire » dirait la théorie queer – comment peut-on user stratégiquement de la catégorie femme tout en la subvertissant de l’intérieur dirait Judith Butler ou comment faire place à un nécessaire essentialisme stratégique dirait Spivak, etc.

En d’autres termes, la question « Qui parle ? » en amont de l’évènement Anthropocène, ne consistait jamais en une injonction à devoir se dire, à répondre au fond à la question policière « qui es-tu ? » mais témoignait, chaque fois, de la nécessité à se rendre illocalisable, insaisissable sur la carte de la règle majeure tout en s’y situant de manière ponctuelle et stratégique – un code uniquement lisible par le sujet minoritaire dirait José Esteban Muñoz. Afin d’accomplir ce programme, il s’agissait de se saisir des puissances du langage de manière à échapper aux assignations verticales, de laisser possible au fond la possibilité de rechoisir constamment les termes par lequel nous nous identifions. Disons que nous pensions ce programme hérité des politiques dites identitaires comme acquis.

En aval de l’évènement Anthropocène cette fois, et depuis ce supposé élargissement de la scène énonciative aux mondes vivants et au-delà, pourtant, nous ne cessions d’assister à des projets, qu’ils soient théoriques ou artistiques, qui ne semblaient pas prendre acte de la complexité des stratégies énonciatives de notre première histoire – celle en amont de l’Évènement Anthropocène – notamment incarnée par une sorte de précipitation à inclure le monde vivant dans un collectif élargi, un nous antispéciste par exemple, et à vouloir faire parler et entendre celleux qui, littéralement, ne parlent pas, s’empressant de « donner voix » sans problématiser ce qui en fait au fond sa nécessité mais aussi sa difficulté.

Ainsi, pour répondre à votre question, il n’y pas vraiment eu d’évènement particulier mais une série de projets que nous souhaitions rediscuter. Parmi ceux-là, nous pourrions évoquer le projet – à nos yeux très symptomatique – de Tristan Garcia avec son ouvrage « Nous » (Grasset, 2016), et ce malgré l’amitié et l’intérêt que nous portons à son travail par ailleurs, ouvrage qui cherchait justement, d’un côté, à se saisir d’une sorte d’élargissement désormais sans bord des collectifs possibles de la politique, l’élargissement d’un « nous » à l’ensemble des vivants, et de l’autre, à discuter cette supposée fragmentation du sujet de la politique en autant de « nous » toujours plus particuliers.

Lorsque Monique Wittig affirmait un sujet lesbien, Garcia y voyait dès lors une division du sujet femme (p. 16) – la politique comme identification littérale, d’un côté, les femmes hétérosexuelles, de l’autre, les femmes lesbiennes – et non une stratégie de déplacement du sujet du féminisme à un endroit qui le rend plus corrosif d’une part, mais surtout et plus encore, d’autre part, une manière, pour Wittig, encore une fois de se situer et se destituer, témoignant de ce que c’est que d’être piégé.e par le langage ainsi qu’en témoignait pourtant sa célèbre formule paradoxale : les lesbiennes ne sont pas des femmes. Lorsque Wittig écrit par exemple : « Notre survie exige de contribuer de toutes nos forces à la destruction de la classe – les femmes – dans laquelle les hommes s’approprient les femmes et cela ne peut s’accomplir que par la destruction de l’hétérosexualité comme système social basé sur l’oppression et l’appropriation des femmes par les hommes (…) », l’expression « les femmes » est tour à tour utilisée comme ce qui doit être détruit et ce qui doit être défendu (la première occurrence référant à un système de classe quand la seconde réfère aux individus sexués pris dans ce système de classe de sexe). Pour Wittig, à la fois essayiste et écrivaine, seule une manière de prendre acte des puissances du langage pourrait ainsi répondre à cette injonction contradictoire. C’est ce qu’elle développe dans son féminisme matérialiste, qui cherche à abolir le marquage des classes de sexe jusque dans le corps de la langue, son travail de « brutification du langage » qui lui permet d’imaginer un marronnage hors de ces classes. A l’inverse, l’extension d’un « nous » au-delà des humains semblait pour Garcia comme aller de soi et ne poser comme aucun problème de réciprocité, de la part de ceux qui y seraient désormais inclus et tandis que la question de la répresentation politique (qui est nécessairement convoquée par un « nous les X ») y était laissé dans un angle mort de sa réflexion.

S’il y a ensuite un autre tropisme que nous cherchions à discuter plus directement encore, c’est Bruno Latour et son « représentationnisme » qui semblait désormais – du moins dans ces nombreux usages par le monde de l’art – comme aller de soi, faisant fi d’un rejet pourtant assez affirmé de cette figure par notre première histoire, la représentation se risquant toujours à redoubler le silence des sans-voix en parlant « à la place de », tout comme elle supposait des identités stables ainsi que Butler le montrait magistralement depuis Trouble dans le genre.

Le point de départ était donc le suivant, à la fois répondre à celleux qui participent, pour le dire avec Rancière, d’une archipolitique, ce geste qui consiste à rendre une communauté identique à elle-même en abolissant les contradictions qu’elle renferme, tout en cherchant à élargir notre question « qui parle ? » à une scène plus large, plus qu’humaine.

Pour en venir plus précisément au cœur de votre propos, vous posez d’emblée la question du Qui parle ? en faisant état d’une profonde mutation écologique et incidemment épistémique. Si vous rappelez sans attendre que cette question de l’énonciation de la fin des années 1960 s’offre sous un nouveau jour car, loin de se limiter aux relations de parole que l’homme peut tisser, cette question du Qui parle ? doit désormais s’affronter à ce que vous prenez soin de nommer avec Bonneuil et Fressoz « l’évènement anthropocène ». Mais avant de mesurer la puissance d’ébranlement de l’anthropocène dans cette question, vous réaffirmez la nature de cette interrogation : Qui parle ? est une question politique, ouvrant à une politique de l’énonciation qui, émergeant donc depuis les années 1960 et courant jusqu’à nous, trace à la fois le lieu de crise du sujet et l’expression du minoritaire. En quoi vous apparaissait-il nécessaire de poser d’emblée l’énonciation comme une question non pas uniquement herméneutique mais avant tout politique ?

Si nous posons la question de l’énonciation comme toujours politique, c’est justement parce que nous la posons à partir des effets diffractés de la question « qui parle ? » laquelle s’est dépliée depuis les années 60 et qui trouve comme entrée historique, du moins dans le récit que nous en faisons, le fameux « d’où tu parles, camarade ? » de mai 68. Notre point de départ, tandis que nous étudiions le cinéma à l’Université Paris VIII au début des années 2000, avait pu être, plus précisément, les questions posées par le cinéma documentaire ou comment la représentation d’un autre que soi doit nécessairement être problématisée et politisée. Dans notre pratique de cinéaste, c’est une question première. Quel dispositif énonciatif construisons-nous avec les sujets que nous filmons, avec, pour les sujets que nous filmons et comment le sujet que nous sommes ou que nous croyons être est à son tour mis en crise par cette relation. Il y a une longue histoire du cinéma révolutionnaire qui nous intéresse plus particulièrement, où le cinéaste se fait intercesseur du peuple, du peuple en train de se décoloniser. Le cinéaste fabule en quelque sorte avec le peuple. On se souviendra à cet égard d’un des très forts manifestes du Troisième Cinéma (cinéma latino-américain) et du groupe Ukamau, dans les années 1970 du cinéaste bolivien Jorge Sanjines, et bien sûr des textes de Deleuze à propos du cinéma de Jean Rouch, Glauber Rocha, Pierre Perrault ou Ousmane Sembene. Le cinéaste vient tenter de traduire la parole des sujets, ou même leur conception du temps, leur cosmovision. Mais quand surgissent les épistémologies queer, féministes, ou décoloniales au cinéma, il n’est plus seulement question d’alliance mais soudain d’autoreprésentation, d’autofiction, d’institution de soi par les moyens de l’autoreprésentation, de cette insurrection des savoirs longtemps assujettis. À la « morale du travelling » qui avait nourri toute la forte éthique du cinéma des années 60 avec la politique des auteurs (Rivette, Godard puis Daney) et l’éthique documentaire de la « juste distance » avec les sujets que l’on filme, se substituait une politique de « l ’indignité de parler à la place des autres », pour le dire avec Deleuze, Foucault et le critique d’art postmoderne américain Craig Owens, activiste gay et l’un des premiers théoriciens de l’activisme culturel lié à la lutte contre le sida dont il est mort en 1990.

La découverte de ces corpus a bouleversé notre trajectoire de cinéastes, et provoqué une bifurcation curatoriale dans notre travail. Ainsi a débuté notre travail de programmateur.rice.s et de curateur.ice.s avec le peuple qui manque en 2005 où il s’agissait de prendre à rebours la prééminence de la voix du curateur dans l’échiquier narratif du monde de l’art, à rebours de cette nouvelle hégémonie discursive. Dans Le Miroir d’Hérodote (1980), François Hartog faisait du chercheur un arpenteur et un rhapsode, ce poète de la Grèce Ancienne, ce narrateur qui va de ville en ville pour dire les poèmes écrits par d’autres, comme celui qui, au sens premier du mot, coud les espaces les uns aux autres, l’agent de liaison qui a soucis de lier les espaces, continument, jusqu’aux limites du monde habité. A l’instar du rhapsode, nous cherchions à penser le geste curatorial comme une opération de tissage de récits, la confection, pour le monde, d’un manteau d’Arlequin. James Clifford nous avait déjà parlé des cultures comme montage de textes, lui qui disait qu’un monde ne peut pas être appréhendé directement et qu’il est toujours inféré de la somme de ses parties qui doivent être prises sur le plan conceptuel et perceptif dans le flux de l’expérience. En tant qu’arpenteur du monde, le rhapsode n’a pas de représentation totalisante, surplombante de son trajet. On peut alors penser le geste curatorial comme une tentative de se défaire de la propension de la cartographie à l’extranéation subtile. Le curateur comme rhapsode serait celui qui connecte les échelles entre elles, sans prétendre connaitre ni construire l’ensemble de la carte : une géohistoire discontinue et connectée. C’est dans cette fonction du curatorial que nous entrevoyons une politique de l’énonciation, qui peut être étendue à une politique plus large de l’écriture.

Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros © DR

Ne vous contentant pas de poser la puissance politique de l’énonciation, vous marquez l’ébranlement que l’anthropocène fait subir à la question du Qui parle ? Question déconstruisant le sujet, le Qui parle ? se voit lui-même ébranlé par le tournant cosmologique de la réflexion de chacun sur le monde. Pour vous, la césure est totale car le retournement se fait puissamment non-linguistique en quelque sorte : c’est dans la doublure blanche du langage que se situe désormais la question Qui parle ? L’éloquence n’est plus désormais à chercher du côté de la parole mais du côté du silence. Cependant, loin d’en instituer immédiatement une nouvelle scène politique, en posant le dépassement du sujet, vous indiquez combien cette question du Qui parle ? doit évidemment éviter tout biocentrisme mais doit convenir aussi que la notion de « sujet » se voit, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, revitalisée.
Ma question serait ainsi la suivante : en quoi peut-on dire que la question Qui parle ? adressée à l’ère de l’Anthropocène rejoue le sujet de manière paradoxale sinon spectrale en faisant une notion entre présence et absence, entre animisme et agentivité expressive ?

C’est effectivement tout l’enjeu du livre que cette mise à jour d’un paradoxe plus profond encore, dès lors que l’énonciation cherche à se déplier au-delà des humains. Si notre première histoire (en amont de l’évènement Anthropocène) avait pu complexifier l’apparente opposition entre vie et mort du Sujet avec Foucault, Barthes ou Wittig, puis au tournant des années 80/90 avec Butler, hooks ou Braidotti, elle laissait tout de même possible autant que légitime, la convocation même des sujets (le sujet femme par exemple) tout en critiquant, dans le même temps, leur formation discursive. La notion d’assujettissement développée par Judith Butler (mot qui, en anglais aussi, contient le mot même de sujet) avait par exemple pu permettre de désigner le processus paradoxal par lequel un sujet est à la fois constitué, subordonné et agissant.

En aval de l’évènement Anthropocène, la subjectivité est une nouvelle fois de plus prise en étau entre les appels des un.e.s à reconnaitre des Sujets au-delà des humains (avec les Animals Studies par exemple qui auront cherché historiquement à étendre la notion de sujet à partir des effets de proximité avec le génome humain – les hauts mammifères, puis les vertébrés, puis les plantes, etc.) et celleux qui appelaient une nouvelle fois à abolir toute idée du Sujet, avec Latour par exemple, tout en le laissant survivre à un niveau plus profond encore, avec la notion d’agent, comme une sorte de ghost in the machine – cette prolifération d’agents n’ayant pas besoin de cogito pour se formuler, ils n’en demeuraient pas moins identifiables les uns des autres, luttant pour « rendre leur survie moins improbable ».

Notre livre Qui parle ? se déplie en mobilisant et en analysant de nombreuses œuvres qui cherchent à rendre audibles des voix autres qu’humaines et plus qu’humaines, et que nous rassemblons à partir des formes de relations que ces artistes instruisent. Et parmi ces figures, nous retrouvons la question de la traduction, du témoignage ou de la représentation politique. C’est ainsi au terme de ces chapitres, que nous cherchons à montrer combien ce paradoxe constitutif des sujets identifiés par les épistémologies féministes se voit renvoyé à un niveau plus profond encore. Que traduire des autres qu’humains ne repose pas sur ce que se disent ou se diraient ces figures renversées que les non-humains constituent face au langage, mais sur l’absentement et le silence, que ceux-là laissent – pour le dire ici avec Jean-Christophe Bailly – sur nos propres impressions. Qu’envisager les non-humains comme témoins, demande à rompre la séparation entre « ceux qui disent » et les traces laissées par un événement et combien cette rupture implique une sorte de superposition entre la preuve de l’évènement (une marée noire par exemple prise pour témoin) et l’évènement de la preuve.

Aujourd’hui, depuis ce paradoxe désormais renforcé, nous sommes en quelque sorte ainsi pris.e.s au piège de notre propre matrice politique, celle qui nous demande toujours à (re)trouver les voix (rattachées à un sujet ou un agent bien identifiable) qui manquent. Dans ce contexte, ce qui se joue en silence, ou plutôt comme vous le dites très justement « dans la doublure blanche du langage » est toujours suspecté d’héberger oppression, effacement et annihilation. Silence = mort, ainsi que le clamaient avec tant de force et de justesse les activistes d’Act-Up. La politique de la nature de Bruno Latour répondait ainsi, à son tour, à cet impératif politique, celui de (re)trouver les voix, au prix de forcer une nouvelle assemblée d’êtres capables de parler (ici par l’intermédiaire de porte-paroles), et tout en laissant dans un angle mort de sa réflexion tout ce qui amène en retour à « faire taire » celleux qui parlent.

Le pari du livre est d’inverser cette articulation négative entre silence et oppression, tout en se faisant héritièr.e.s des épistémologies féministes, queer, postcoloniales. Si le premier paradoxe (celui qui avait pu amener à défendre des politiques à la fois hyper-identitaires et post-identitaires avec la théorie queer) reposait sur ce que Didier Eribon avait pu appeler une morale du minoritaire, nous proposons de lui substituer une politique du silence, non comme injonction à se taire, mais comme manière de chercher continûment ce qu’il reste de silencieux dans ce qui peut être traduit, témoigné, représenté dans les mondes plus qu’humains, de la même manière que l’on cherchait toujours ce qu’il restait de minoritaire dans la minorité dans le cadre d’une morale du minoritaire.

Aliocha Imhoff & Kantuta Quiros

La question centrale du Qui parle ? que vous posez appartient, comme vous le rappelez, en partie au tournant cosmomorphe de l’anthropologie. Ce virage prend acte d’un tournant politique voyant accéder à l’agora des intervenants non-humains qu’il faut désormais prendre en considération sans pour autant savoir quelle est la meilleure manière de leur laisser une place. Comment les faire ainsi intervenir sans que l’homme usurpe leur parole ou plutôt s’approprie leur parole ? Telle est la question clef que vous déployez et à laquelle vous choisissez de répondre par le parlement des choses tel qu’a pu l’imaginer Bruno Latour : en quoi cette visée parlementaire ouvre-t-elle à une saisie démocratique du non-humain ? Quelles en sont pourtant les inhérentes limites ?

Gardons d’abord à l’esprit combien certains des termes que nous employons sont pris eux-mêmes dans de profonds paradoxes. La notion de « non-humains » (que Descola – qui l’utilise lui aussi – admet volontiers comme reposant sur une définition « floue ») ne repose pas sur une définition tautologique (est non-humain ce qui n’est pas humain) – le non-humain pour Bruno Latour est même, affirme-t-il, « privé de sens », « elle ne désigne pas un domaine de la réalité (…), mais simplement ce que l’observateur doit se préparer à observer s’il veut rendre compte du caractère durable et extensif de toute interaction ». L’enjeu est plutôt de faire émerger toujours, d’abord, des écosystèmes, des interactions, des enchevêtrements de nature et de culture.

Le Parlement des choses à cet égard reste un dispositif, plus de vingt ans après son déploiement théorique (dans Politiques de la Nature, 1999), une ressource intéressante pour nous préparer à refonder des politiques plus qu’humaines. Nombreux.ses sont celleux qui en auront pointé les limites comme Brian Massumi qui plaidait pour une politique naturelle fondée sur le jeu ou Baptiste Morizot qui plaidait pour une forme de diplomatie avec et depuis le monde vivant ; ou celles et ceux qui l’auront critiqué plus directement encore comme Sophie Gosselin qui montrait comment Latour omet de critiquer l’intrication entre modernité, démocratie et capitalisme, Pierre Montebello qui s’interrogeait sur la centralité des sciences dures dans ce parlement des choses, ou plus récemment encore Léna Balaud et Antoine Chopot qui affirmaient cette politique des interdépendances latourienne comme manière d’invisibiliser les rapports sociaux inégalitaires configurés par le pouvoir du capital, etc. Malgré toutes ces critiques que nous reprenons volontiers à notre compte, il faut reconnaitre que le parlement des choses se veut une tentative assez totalisante en ce qu’elle cherche à inclure ce qui excède des parlements traditionnels (quand on peut parfois se demander en retour comment étendre la diplomatie de Morizot ou les jeux de Massumi à tout le monde vivant, etc.).

Mais ce qui nous intéresse plus encore, en droite filiation cette fois avec Deleuze, ce n’est pas de trouver le modèle de gouvernementalité idéal (que ce soit celui de Latour ou d’un.e autre), qu’il nous faudrait désormais suivre comme les acteurs d’un scénario. Nous ne cherchons pas à devenir des révolutionnaires de papiers ni constituer un peuple de papier (fût-il plus qu’humain) comme l’aurait dit Deleuze. Ainsi que nous l’écrivions dans un livre précèdent – Les Potentiels du Temps (2016, cosigné avec l’écrivain Camille de Toledo) – une expérience réelle implique l’affirmation d’un rapport radical à ce que l’on ne pense pas encore, à ce que l’on ne pourra pas écrire encore.

C’est en ce sens que nous défendons, en dépit, sauf exceptions, de ses institutions, l’espace de l’art comme lieu qui autorise des expérimentations collectives, et que nous entendons comme des expérimentations politiques. Plus encore, l’espace de l’art (plus encore que l’espace politique) autorise des rapports à la langue paradoxaux, autorise la possibilité de s’énoncer paradoxalement, il y reconnaît une vertu plutôt qu’une forme d’incohérence, il y affirme que la raison est multiple, si bien que nous plaidons dans ce livre pour qu’une politique plus qu’humaine puisse s’élaborer en premier lieu, depuis l’espace qui a rendu plausibles, audibles, discutables, des énoncés comme « je est un autre » ou « je suis mort » et qui nous permettrait de ne pas menacer d’inconsistance et de ne pas condamner a priori des énoncés comme « je suis la rivière ».

Ce qui frappe immédiatement, au regard d’autres réflexions écocritiques, c’est la place essentielle que vous laissez à l’art dans la nouvelle manière d’interagir avec un vivant appréhendé sans biocentrisme. Pour vous, qu’il s’agisse du documentaire, des arts plastiques ou encore de la littérature, et notamment du poème, l’art ne permet pas seulement d’exprimer mais essentiellement d’inventer des modalités de préhension de ce non-humain. En quoi, selon vous, l’art prend-t-il par le cosmomorphe un tournant puissamment créatif qui permet de saisir au mieux le Qui parle ? En quoi, notamment en littérature, le Qu’est-ce qu’écrire ? devient au regard du vivant une question du Qui parle ? Pourquoi définissez-vous alors l’art comme une zone de contact ? En quoi, enfin, la question de la prosopopée peut apparaître centrale mais en quoi également peut-elle être appréhendée comme un coup de force énonciatif ? N’y a-t-il pas anthropomorphisme, notamment chez La Fontaine pourtant parmi les premiers à laisser les animaux s’exprimer ? Le danger n’est-il pas de redoubler, comme vous le dites, l’état des sans-voix aux non-humains ?

Il y a chez La Fontaine et dans la longue tradition des animaux autobiographes (par exemple Mémoires d’un âne de la Comtesse de Ségur (1860) ou Je suis un chat du japonais Natsume Soseki (1901)) un double coup de force en effet puisque les animaux à qui des voix sont restituées, sont, comme vous le dites, anthropomorphes et aussi, puisque ceux-là s’expriment dans ces littératures avec nos mots et nos sons, ces tentatives renforcent le sentiment que leur « langage » est d’abord le lieu d’une privation, un langage toujours moins qu’humain. Nous pourrions affirmer grossièrement qu’il y a trois niveaux d’élaboration dans ces littératures qui incluent désormais de nombreuses récentes propositions littéraires ainsi que la théorisation qui l’accompagne de manière contemporaine, avec par exemple Anima de Wajdi Mouawad (2012), Mémoires de la Jungle (2010) de Tristan Garcia, Défaite des maîtres et des possesseurs (2016) de Vincent Message, L’histoire du Lion Personne (2016) de Stéphane Audeguy, etc. Le premier niveau, celui des contes et de la littérature jeunesse est littéralement anthropomorphe. Le second consiste à s’approcher au plus près de leur Umwelt, c’est-à-dire de leur monde propre, en maximisant les possibilités du langage et de la voix – le langage jamais comme un obstacle ou une tare affirme fortement Anne Simon – tandis que le troisième niveau poursuit en premier lieu l’opération paradoxale opérée sur le langage si bien que l’on ne puisse plus faire de différence entre un jeu de langage infini, une ouverture à de nouveaux modes de sens, et la réalité d’une altérité radicale. Dans son ouvrage Mémoires de la Jungle (2010), Tristan Garcia laissait justement entendre le paradoxe depuis lequel cette écriture émerge, « Soit il perd le langage, mais il perd l’humanité aussi. Soit, il incorpore le langage humain, mais il perd son identité », et tandis que finalement, renoncer à prêter voix aux non-humains, constitue finalement un geste d’écriture. Mais à cela s’ajoute un ultime paradoxe, puisqu’il ne reste plus d’issue entre ce coup de force énonciatif d’un côté et à l’inverse un redoublement de l’état « sans-voix » des non-humains, c’est-à-dire leur abandon dans un « autisme ontologique » ainsi que le formulait l’anthropologue Eduardo Kohn.

La théoricienne féministe et écologiste Astrida Neimanis ne propose à cet égard pas d’abandonner la représentation mais d’imaginer une représentation sans « colonisation » qui doit se faire « non seulement en dépit mais en raison de l’impossibilité de la tâche ». Il s’agit d’une « nécessité impossible ». Encore une fois, il ne s’agit pas d’abandonner ce processus devant l’identification de ces paradoxes, mais au contraire, de trouver l’espace énonciatif qui permet de rendre audibles et discutables ces presque-voix, ces êtres qui « non-parlent et qui non-chantent, mais qui conjuguent, et qui tombent » comme l’affirme Marielle Macé. Il nous faut reconnaitre que ces tentatives-là, problématisant l’espace du traduire, sont beaucoup plus abouties que ce que l’on retrouve – du moins pour le moment – du côté des traductions des éthologues et des biosémioticiens. Ce qu’il nous reste comme chantier pour l’avenir, ce n’est pas comme l’affirmait Latour, de réunir dans des institutions nouvelles le bicaméralisme historique entre sciences et politique, mais de réunir le tricaméralisme dans lequel nous avons vécu : sciences, politique et art. 

Une large part de votre réflexion consiste à interroger ce que vous nommez les figures des relations, à savoir considérer combien poser la question du Qui parle ? revient à faire jouer deux antagonismes, entre ceux qui considèrent que les non-humains peuvent parler pour eux-mêmes et ceux qui, au contraire, posent que tout parle, que cela parlent, rendant inutile la question même du Qui parle ? A la jonction exacte de ces deux antagonismes, vous proposez quant à vous de vous saisir des motifs du témoignage, de la traduction, de la métamorphose et de la transparence du réalisme pour les reposer au regard de l’expression et de l’expressivité des non-humains. En quoi était-il urgent politiquement de sonder ces notions ? Si l’on prend la question par exemple de la traduction, comment appréhender avec elle la question des non-humains ?

Ce que nous cherchons à accompagner dans ce livre, c’est ce chantier de reconceptualisation de ces figures des relations, notions qui avaient pu être largement suspectes dans le cadre de notre première histoire (celle en amont de l’évènement Anthropocène). La représentation politique avait pu être largement critiquée par Haraway ou Rancière par exemple. La première affirmait ce type de relation problématique en ce qu’elle « cherche la main tendue qui s’agite dans une foule, celle qui se chargera du discours désintéressé (…) « parler à la place de » sous-entend « être capable de ne pas parler depuis sa propre place » ». Le second identifiait combien les procédures de représentations viennent toujours créer une nouvelle part des sans-part et combien il ne peut y avoir de décompte sociologue dernière un.e porte-voix car c’est la norme même du représentable que produit la représentation, si bien que l’audibilité de la parole exprimée dans l’espace public dépend d’abord du degré de conformité à cette norme. Il en va de la même logique pour le motif du témoignage, lequel se voit en quelque sorte toujours suspecté de conserver la centralité de celui, celle qui le reçoit, etc. Ce sont ces critiques, venues de différents bords, qui avaient amené à complexifier la scène énonciative, à en venir à défendre des logiques paradoxales ainsi que nous le disions (avec la théorie queer notamment), à revendiquer la nécessité de voix pour elles-mêmes, tout en reformant constamment le cercle par lequel ces voix se formaient. Mais dès lors que la scène énonciative devient plus qu’humaine, nous rencontrons de nouveaux problèmes, à commencer par la difficulté à faire émerger des voix pour elles-mêmes, sans médiation ni truchement. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est urgent de renégocier ces figures de relations telles que la représentation politique, le témoignage ou la traduction au-delà de l’humain.

Ce que nous affirmons plus encore, c’est que le cinéma documentaire qui tendait historiquement vers une forme de polyphonie véritable (et que nous distinguons de la littérature polyphonique qui demeure – bien que passionnante – l’orchestration virtuose de divers discours par un seul auteur, à rebours donc d’une polyphonie réelle) formait une sorte d’avant-poste des reconfigurations énonciatives, ou pour le dire plus ambitieusement encore une pré-institution des démocraties à venir. Dès lors, ce que nous cherchons à interroger dans le livre, c’est la manière dont des tentatives récentes du côté de l’art, de la poésie, du documentaire, viennent en quelque sorte poursuivre ce projet au-delà de l’humain, mais que ce chantier demande à renégocier les relations qui s’y instruisent. L’enjeu est de considérer que c’est encore aujourd’hui, l’espace de l’art qui constitue l’institution des démocraties à venir et des démocraties désormais plus qu’humaines.

Ma question suivante voudrait porter sur la proposition politique qui est la vôtre : vous proposez d’aller vers une Gaïacratie élaborée, et c’est votre force, depuis l’espace même qu’ouvre l’art. De fait, il vous apparait que, depuis votre constat liminaire selon lequel, des non-humains, le peuple manque, la démocratie doit s’étendre à ce qui va vers le plus qu’humain. Le souhait ultime serait de parvenir à refonder le vœu démocratique depuis les infra-présences que vous ne cessez de signaler. En quoi finalement une telle politique de la nature vous invite à marier, comme vous le dites, Latour et Rancière ?
Comment concrètement cette politique peut s’incarner ? En quoi s’agit-il enfin pour vous de faire de la fiction, forcément à l’œuvre, un outil non pas uniquement littéraire mais profondément juridique ?

Disons que pour le moment il s’agit d’un bricolage collectif. Depuis l’écriture de ce livre, plusieurs ouvrages sont sortis à des dates assez proches du nôtre, Terre et capital: pour un communisme du vivant de Paul Guillibert (2021), Nous ne sommes pas seuls: Politique des soulèvements terrestres d’Antoine Chopot et Léna Balaud (2021), Révoltes animales de Fahim Amir (2022), Une pluie d’oiseaux de Marielle Macé (2022) ou encore Le fleuve qui voulait écrire: les auditions du parlement de Loire dirigé par Camille de Toledo (2021). Tous ces livres, avec le nôtre, et avec de nombreux autres plus anciens, mais aussi les enquêtes anthropologiques menées par Diego Landivar et Emilie Ramillien consacrées au théâtre politique des « frictions ontologiques » qui se tramèrent lors des processus constituants qui ont donné lieu aux bio-constitutions andines (Equateur, 2008 ; Bolivie, 2010) cherchent des réponses à ces questions : comment interpréter et traduire politiquement le monde vivant.

Nous pourrions remonter à Maurice Maeterlinck qui en 1926 dans la Vie des Termites (cité par Fahim Amir), voyaient déjà dans l’organisation sociale des termites, un communisme intégral, « le communisme de l’œsophage et des entrailles poussé jusqu’à la coprophagie collective ». Le biologiste Thomas Seeley, en montrant comment les abeilles décident de l’endroit où construire leur prochaine ruche de manière démocratique, nous invitait à bricoler le comment de démocraties interespèces, et ainsi qu’envisagée également par Eva Meijer avec When Animals Speak: Toward an Interspecies Democracy (2019). Encore une fois, pas de scénarisation de la politique mais l’appel, des appels, pour des bio-constituantes à venir qu’il nous faudra mener collectivement. Cet horizon d’une révolution écologique à venir ne doit pour le moment rien exclure a priori de toutes ces tentatives théoriques, quand bien même, celles-ci se fondent parfois en opposition les unes contre les autres. Il nous faut donc marier Rancière et Latour quand le premier exclut les non-humains dans le processus démocratique tandis que le second oublie parfois la force sociale au profit des institutions, mais il nous faudra surtout poursuivre pour le moment ce manteau d’arlequin curatorial.

Ma dernière question voudrait porter sur le paradoxe final sur lequel repose votre réflexion, consistant à vous interroger sur la parole de ceux qui ne parlent pas, aboutit à réclamer dans vos puissantes ultimes pages ce que vous nommez une politique du silence. Pouvez-vous nous dire en quoi se taire peut désormais être vu comme une arme politique, une manière de sortir d’une culture de la parole qui peut-être manque sa cible ? Diriez-vous ainsi que votre essai peut se lire plus largement comme un manifeste ?

Le silence a toujours été une arme politique. En février 2022, une opposante à la junte militaire birmane suite au coup d’État militaire déclarait que « le silence est le cri le plus fort que nous pouvons lancer contre les soldats et leur sanglante répression » et laissant place à une grande grève silencieuse suivi dans tout le pays. Depuis 2014, l’artiste Marianne Mispelaëre rassemble dans sa série Silent Slogan présentée sous forme de cartes postales, un répertoire de gestes politiques silencieux et glanés sur Internet, des gestes de la main tels que tendre quatre doigts pouces repliés, former un triangle avec les deux mains, tendre haut un stylo, poser les mains sur les yeux, croiser les bras au-dessus de sa tête les poings serrés, lever le poing en l’air. Les corps seuls deviennent des armes d’une grande puissance politique nous ont enseigné les manifestations de femmes nues à travers le monde, et tandis que l’immolation silencieuse de Mohamed Bouazizi en 2010 a conduit aux printemps arabes.

On se souvient encore des « funérailles politiques » menées par Act Up New York notamment. Appelées de ses vœux, avant sa mort par le plasticien, performer et écrivain David Wojnarowicz, lequel, souhaitant dépasser le caractère privé des cérémonies de deuil des morts du sida (et de sa propre mort incluse), imagina ces bouleversants rituels sépulcraux.

En 1989, la poètesse et cinéaste Trinh T. Minh-Ha écrivait que « le silence en tant que volonté de ne pas dire et en tant que langue propre a à peine été exploré ». Les dernières pages du livre cherchent ainsi à creuser ce rapprochement entre ces silences choisis, le silence comme grammaire d’une langue peu explorée et ce silence qui caractérise l’Anthropocène, l’expression silencieuse des mégafeux et des sécheresses, mais aussi l’intraductibilité du chant des oiseaux – la nécessité de se dessaisir de cette volonté traductive. Car à ces silences s’ajoute d’ultime silences, celui du dépeuplement aviaire, celui de la sixième extinction, celui aussi de la disparition de ces langues indigènes détruites par les processus coloniaux, capitalistes et extractivistes contemporains, langues qui décrivaient la complexité du monde vivant, dans un lexique si riche et si étendu qu’il dit tout de leur lien affectif, de soin avec celui-là. Ici, l’écocide est intimement lié à cet immense épistémicide, à cette silenciation des peuples qui prenaient et prennent soin de la Terre. L’hypothèse que nous formulons (en poursuivant une hypothèse formulée par l’écrivain et philosophe Matthieu Duperrex) est que l’interpellation althussérienne réactualisée par Judith Butler (ce pouvoir qui vient créer des sujets à travers une inféodation à ce pouvoir) s’est en quelque sorte retournée, c’est désormais ce silence, ce double, ce triple silence, qui vient désormais nous constituer comme sujets de l’Anthropocène et qu’y résister demande désormais une politique du silence, une manière de mettre à jour ce qu’il reste toujours de silencieux, que ce soit cette éco-mélancolie de la disparition aviaire, l’abstention record aux dernières élections ou la présence spectrale des luttes inachevées du passé.

Un appel plutôt qu’un programme. 

Kantuta Quirós et Aliocha Imhoff, Qui parle ? (pour les non-humains), PUF, « Perspectives critiques », avril 2022, 287 p., 22 €