Avec L’Enfant dans le taxi, Sylvain Prudhomme signe indubitablement son plus grand livre. Ce puissant roman revient sur la figure de Malusci, le grand-père, pour tenter de percer le secret de M., cet enfant naturel né dans l’Allemagne de l’Après-Guerre des amours de Malusci avec « l’inconnue du lac de Constance ».
Entretiens
Le recueil Dialogues en public réunit le courrier des lecteurs du magazine communiste Vie Nuove adressé à Pasolini de 1960 à 1965. Des centaines de lettres venues de toute l’Italie le pressent alors de prendre position. Au gré d’échanges entrelaçant les différents aspects de son œuvre (sur Antonioni, Joyce, le marxisme ou bien l’Évangile), le poète-cinéaste y prodigue des conseils, explicite ses convictions et son geste créateur.
Avec Georgette, Dea Liane signe un premier roman, aussi singulier que fort, aux éditions de L’Olivier. D’inspiration autobiographique, ce dense et court récit raconte l’enfance et l’adolescence de la jeune femme sur laquelle veille, entre Beyrouth, la Syrie et Châtenay-Malabry une bonne : Georgette.
Avec Le Plus court chemin, Antoine Wauters signe l’un de ses plus beaux textes, sans doute l’un des plus puissants et singuliers de cette rentrée. Après le triomphe du beau Mahmoud ou la montée des eaux, Wauters surprend radicalement en délaissant les territoires chaotiques et ruiniformes de la fiction pour s’aventurer avec grâce dans le tremblé des souvenirs d’enfance.
La rentrée littéraire voit aussi la publication en poche des grands romans de la rentrée précédente. Parmi eux, Tenir sa langue de Polina Panassenko, récit aux accents autobiographiques, dans lequel Polina, la narratrice, cherche un beau jour de sa vie d’adulte à récupérer son prénom russe qu’à sa naturalisation française l’État Civil a francisé en Pauline. S’ouvre alors un texte qui, interrogeant la langue et l’accent, sonde le départ de la Russie à l’horizon des années 90 et l’arrivée en France, à Saint Étienne. Critique et entretien avec l’autrice, tous deux publiés sur Diacritik lors de la sortie du livre en grand format en 2022
Avec La Source des fantômes, Yamina Benahmed Daho s’impose comme l’une des grandes voix de cette rentrée littéraire. Ce nouveau récit poursuit l’exploration autobiographique de l’autrice qui, cette fois, plonge dans son enfance vendéenne au cœur d’un lotissement des années 1980 où son père, harki hanté par la Guerre d’Algérie, a choisi de fixer sa famille.
Avec Triste Tigre, Neige Sinno s’impose comme l’une des révélations de cette rentrée. Véritable déflagration, son livre qui interroge le viol que le beau-père a fait subir à l’autrice durant son enfance, mobilise une rare puissance de diction et un saisissant pouvoir d’intellection des faits.
Lorsque fut créée en 1985 For Bunita Marcus, sa pièce pour piano en un seul mouvement et d’une durée de plus d’une heure, Morton Feldman (1926-1987) montra une fois encore combien, ainsi qu’il le disait lui-même, il n’avait rien d’un « horloger ». À l’évidence, son intention avait toujours été radicalement différente. Ce qu’il souhaitait, c’était « obtenir du temps dans son existence non structurée », puis, histoire d’imager la chose, il ajoutait : « ce qui m’intéresse, c’est la manière dont cette bête sauvage vit dans la jungle — non au zoo. Je m’intéresse à la manière dont le temps existe avant que nous posions nos pattes sur lui — nos intelligences et nos imaginations, en lui ».
2023 se donne comme une année poétique parmi les plus riches et enthousiasmantes : après le sentiment du vivant peint dans le très beau Ryrkaïppi de Philppe Beck, après le splendide Irréparable d’Olivier Cadiot sur la fin de l’amour puis l’éloge magistral de l’amitié de S&fies d’Anne Portugal, il fallait revenir à la naissance de l’amour grâce à Simon Johannin. Dans Le Dialogue, qui vient de paraître aux éditions Allia, le jeune écrivain flamboie à nouveau de sa langue si rare et si singulière pour raconter, à deux voix, comment deux êtres parlent de l’amour naissant. Dialogue philosophique, dialogue poétique : la porosité générique guide un texte fulgurant à l’évidente grâce. Après Nous sommes maintenant nos êtres chers puis La Dernière saison du monde, l’auteur de Nino dans la nuit et L’Été des charognes poursuit une œuvre qui s’impose comme l’une des plus remarquables du paysage contemporain. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre de Simon Johannin le temps d’un grand entretien.
Si un nom pouvait incarner, de manière contemporaine, la passion pour la pop culture, nul doute que celui Nicolas Tellop s’imposerait avec force. Pour preuve encore, son dernier opus, un essai aussi singulier qu’émouvant, le très beau L’Évangile de l’espace qui vient de paraître au Feu Sacré. Consacré à l’écrivain américain Kurt Vonnegut, ce bref texte plonge dans l’univers si étonnant de l’auteur d’Abattoir 5. De ce coup de foudre littéraire est née la passion de Tellop pour une littérature s’interrogeant sur le rôle qu’elle peut jouer pour le lecteur : peut-on même parler de littérature engagée ? Cela a-t-il un sens ou sommes-nous en face de l’escroquerie la mieux troussée du XXe siècle ? Autant de questions peu apaisées que Diacritik est allé poser à l’auteur le temps d’un grand entretien.
Sombre et magnétique : tels sont les mots qui viennent à l’esprit après avoir lu le premier roman d’Etienne Kern, Les Envolés. Kern y brosse l’histoire de Franz Reichelt, tailleur autrichien venu vivre à Paris et qui meurt un jour de 1912 en se jetant de la tour Eiffel avec le costume-parachute de son invention. Dans une langue qui traque les fantômes, le romancier cherche à mettre en lumière tous les êtres impermanents au monde qui ont, plus largement, traversé son existence, autant d’envolés qui, tragiquement, ont franchi le pas. Alors que Les Envolés paraît en poche chez Folio, Diacritik republie l’entretien qu’Etienne Kern avait accordé à Diacritik lors de la sortie du livre.
Splendide et passionnant : tels sont les deux termes qui viennent à l’esprit après avoir achevé la lecture du Scénario de la Route des Flandres de Claude Simon aux éditions du Chemin de Fer. C’est peu de dire qu’il faut saluer le travail extraordinaire de Mireille Calle-Gruber qui, notamment après Le Cheval, continue de nous faire découvrir les pans encore ignorés de l’œuvre monumentale de Claude Simon. Ici elle nous livre le scénario adapté par Simon lui-même de l’une de ses œuvres majeures, La Route des Flandres paru en 1960. Édition critique, attention génétique, éclairage iconographique : précipitez-vous sur ce livre qui ouvre de nouvelles et riches perspectives de recherche que, le temps d’un grand entretien, Diacritik ne pouvait manquer d’aller poser à Mireille Calle-Gruber.
En cette année de célébration du quatre-centième anniversaire de la naissance de Blaise Pascal, on se réjouit que les éditions P.O.L aient pris l’initiative de rééditer l’ouvrage de Marianne Alphant, Pascal Tombeau pour un ordre, publié une première fois chez Hachette en 1998.
Et s’il était l’heure de faire « dérailler la machine » ? Ainsi s’interroge Jacques Deschamps dans son remarquable et stimulant essai, Éloge de l’émeute qui vient de paraître dans la très belle collection « Trans » des Liens Qui Libèrent. Derrière ce titre volontiers provocateur en ces temps où les ministres macronistes fustigent le « terrorisme intellectuel » ou condamnent les cinéastes qui ont reçu de l’argent sans « penser » comme eux, Jacques Deschamps offre une réflexion aussi juste que brillante sur la nécessité aujourd’hui de l’émeute face au néolibéralisme totalitaire.
Paru tout récemment aux éditions Ardemment, Affreville est le récit (ni fiction ni essai historique) jusqu’alors inouï du râle de la défaite qui a résonné sur la génération des familles des militaires français en poste en Algérie pendant la guerre d’indépendance. Ce texte dense, rythmé de séquences et tableaux montés entre eux comme les plans d’un film, dépasse largement le cadre habituellement dévolu au genre du « témoignage » et n’est surtout pas, il faut le dire tout de suite, un énième livre sur la guerre d’Algérie.