« Histoires de souffles », dit Anne Simon. L’animal est dans le souffle : sous le logos, le pneuma. Une Bête entre les lignes nous rappelle au vieux savoir que l’homme parle comme il respire. Le travail agile de la langue, savant clavier des consonnes où s’articule la voix, ne produirait aucun son sans la vibration des cordes vocales : le larynx — ce muscle ému, ce gosier souple ou crispé des baragouins animaux, c’est la bête sous la langue. Et toute écriture vivante est aussi la performance d’un zôon grammatikon qu’on surprend à respirer « au subtil papier d’un volume » comme un museau lippu qui crève à la surface. Dans son grand recueil de zoopoétique publié par Wildproject, Anne Simon débusque sous les mots des œuvres qu’elle étudie, comme sous les cailloux terreux qu’on déchausse d’un sous-bois, toute une vie animale.
Ses lectures sont des battues — des battues et des balades. Elle est ici et puis là, toujours en déplacement, toujours mobilisant les textes, mouvementant les paragraphes. Esquivant la progression d’une méthode linéaire, son art de lire ressemble un peu à ce « chemin familier » (Uexküll) des bêtes qui flânent au bois : elle vagabonde au flair sur un territoire sensible, dans un espace qualitatif aux intensités variables, fouissant et approfondissant les mêmes motifs obsédants (le souffle, la nudité, la nuit, le malaise, l’arche), revenant aux mêmes « caches », y déterrant les mêmes textes (Proust, Kafka, Derrida, la Bible…) et les rongeant à nouveau, en exprimant de nouveaux sucs, y laissant de nouvelles traces. En parcourant les belles pages qu’elle consacre à Michelet, Konwicki, Béatrix Beck, Amos Oz, Giono, Malaparte, on pense à des creusages fins — fureteurs, furtifs, opiniâtres — et on pense aux courses nocturnes de la « Maîtresse des animaux », Artémis Potnia therôn, à qui un prologue d’Euripide tresse des couronnes de feuillages.
Anne Simon, Une bête entre les lignes. Essai de zoopoétique, éditions Wildproject, avril 2021, 408 p., 25 €
Cet entretien a été réalisé en partenariat avec le Master Écopoétique et Création d’Aix-Marseille Université.