Il arrive que le hasard fasse bien les choses. Voici que viennent de paraître en poche, coup sur coup, en octobre 2022, Vie de Gérard Fulmard (2020) de Jean Echenoz et Les Détectives sauvages (1998) de Roberto Bolaño. L’un, dans la collection Double des Éditions de Minuit ; l’autre, dans la collection Points des Éditions du Seuil. Le mois précédent, en septembre, a paru le Cahier de l’Herne sur Echenoz, précédé, en juin, par un numéro de L’Atelier du roman dédié à Bolaño, à son tour précédé, en mai, chez les Éditions de l’Olivier, par 2666 (2003), le volume VI de ses œuvres complètes. Voilà un bon prétexte pour tenter de rapprocher leurs œuvres. Un exercice d’admiration, en somme.

Il y a d’abord le titre comme une enseigne, une monstrueuse enseigne aux promesses démoniaques, et puis il y a ensuite la masse du volume, qu’on le lise en Bourgois, Folio, ou dans la récente édition de l’Olivier : le mastodonte qu’est 2666 pourrait légitimement faire peur, par sa taille, par son projet, mais aussi par son statut de grand livre contemporain. Qu’on se rassure pourtant, sans hésiter davantage à entreprendre sa lecture, car l’une des qualités, première et magistrale, de 2666 par rapport à d’autres monstres du même acabit (qu’on pense à Outremonde, au Tunnel, à l’Arc-en-ciel de la gravité) est sa très grande lisibilité. Parler de chef d’œuvre, on le sait, est une vieille antienne, vieille rengaine que l’on met aussitôt à distance en dévoyant une époque qui célèbre à tout va des chefs d’œuvres qui n’en sont pas. Pourtant 2666 pourrait légitimement prétendre à ce titre, car il a une qualité supplémentaire qui le rend peut-être encore plus universel que ses autres comparses monstrueux : c’est un livre qu’on peut lire.

Plus de deux mois ont passé depuis la publication du dix-neuvième épisode de cette chronique à suivre. En parfaite ignorance des parutions de la “rentrée”, en dehors d’une vague liste de titres et d’auteur(e)s ne créant pour ma part aucune attente (bien entendu, je compte sur les recensions de mieux informés que moi pour remettre les pendules à l’heure), ces neuf semaines sans avoir eu la tentation, même éphémère, de griffonner quelque note que ce soit ont été “de rattrapage”.

2666, le sixième et dernier (pour l’instant) volume des Œuvres complètes de Roberto Bolaño vient de paraître aux Éditions de l’Olivier, qui à partir de 2020 a pris le relais de Christian Bourgois, son premier éditeur français. Une telle entreprise ne peut que susciter notre respect. Le lecteur francophone qui ne lit pas l’espagnol peut désormais se faire une idée globale d’un auteur majeur, à cheval entre deux siècles. Savourer une œuvre. Piocher ci et là au gré de ses envies. C’est ce que je fais depuis pas mal de temps, ayant la chance de pouvoir lire Bolaño dans sa langue originelle.

« Simone Darrieux, rue des Petites-Écuries, Paris, juillet 1977. Lorsque Ulises Lima est arrivé à Paris il ne connaissait personne d’autre que moi et un poète péruvien qui avait vécu exilé au Mexique. Moi je ne l’avais vu qu’une fois, au café Quito, une nuit où j’avais rendez-vous avec Arturo Belano. Nous avons parlé un peu trois les trois, et ensuite Arturo et moi sommes partis.

Je ne voudrais pas être désagréable, parce que Mohamed Mbougar Sarr a une tête sympathique, beau gosse, présente bien, parle encore mieux, dit des choses plutôt sensées et, surtout, c’est un admirateur inconditionnel de l’écrivain chilien Roberto Bolaño et, aussi, je viens de l’apprendre en feuilletant le dernier numéro de l’année 2021 du Monde des livres, fan de L’insoutenable légèreté de l’être (1982), qu’il offre à tout va autour de lui, et quelqu’un qui admire inconditionnellement Roberto Bolaño et Milan Kundera, ne peut pas être, de mon point de vue, un mauvais bougre, mais son roman La plus secrète mémoire des hommes, prix Goncourt 2021, qui a reçu les louanges du tout Paris littéraire et d’ailleurs –« roman total », « chef-d’œuvre », « merveilleux », « grand livre », « jubilatoire », « livre-monde », « flamboyant », « roman idéal » et j’en passe dans l’épithète dithyrambique–, me semble une bien belle escroquerie, bâti, qu’il est, sur des emprunts à la tire larigot aux deux romans de Roberto Bolaño, Les détectives sauvages (1998) et 2666 (2005), et aussi, d’une manière moins appuyée, à La littérature nazi en Amérique (1996), Amuleto (1999), Le secret du mal (2007) ou Les déboires du vrai policier (2011). Certes, comme a pu l’écrire jadis l’historien Lucien Fevbre dans Combats pour l’histoire (1953), « s’il y a emprunt, c’est qu’il y a besoin ». Mais à trop emprunter on y laisse son âme. Qu’importe ! « Un petit moment de honte est vite passé », disaient nos grand-mères. Dont, acte.

« Et de la sorte le travail, le projet, prend forme peu à peu, se diversifie, croit, mais pas de façon linéaire. C’est comme un roman, pour que vous me compreniez, qui ne commence pas par le commencement. En fait, c’est un roman qui, comme tout roman d’ailleurs, ne commence pas dans le roman, dans l’objet livre qui le contient, vous comprenez ?

Parmi mes propositions de jeunesse, Roberto Bolaño relève la restauration de l’Inquisition, les châtiments corporels publics, la guerre permanente soit contre les Chiliens soit contre les Paraguayens ou les Boliviens comme une forme de gymnastique nationale, la guerre permanente contre les écrivains castristes et les écrivains sandinistes comme une gymnastique intellectuelle, la polyandrie,

Le Secret du mal, publié en 2009 aux Éditions Christian Bourgois dans une traduction de Robert Amutio et repris dans le premier volume des Œuvres complètes de Roberto Bolaño aux Éditions de l’Olivier, réunit dix-neuf nouvelles trouvées par ses ayants droit dans des fichiers d’ordinateur parmi des poèmes et des esquisses, des fragments, des entretiens, des conférences.