Fairyland ou « notre royaume enchanté », « notre féerie », c’est le San Francisco des années 70, cet espace aux « frontières mouvantes » dans lequel Steve Abbott, poète, homosexuel, militant, éleva sa fille Alysia. Devenue écrivain, Alysia raconte leur histoire bouleversante dans un livre, Fairyland, qui tient des mémoires, de l’enquête identitaire et politique, du cahier de photographies, dessins, lettres, poèmes. Paru en grand format aux éditions Globe en 2015, le magnifique livre d’Alysia Abbott vient de sortir en poche, chez 10/18.

En 2014, le Prix Médicis étranger 2014 a couronné un roman de Lily Brett, Lola Bensky, édité à La Grande Ourse, chez l’un de ces éditeurs qu’inlassablement on qualifie de « petits », pour la taille de leur structure, pour leur jeunesse (La Grande Ourse a vu le jour en 2012). Ce roman paraît en édition de poche (chez 10/18) alors que sort Chaud devant ! à La Grande Ourse.

En 1848, dans le piquant De l’obésité en littérature, Théophile Gautier se posait une question de taille : « L’homme de génie doit-il être gras ou maigre ? » Orgies, repas pantagruéliques, voire grands dictionnaires de la cuisine – comme ceux d’Alexandre Dumas – ont toujours fait bon ménage. Mais qu’en est-il des personnages romanesques ? Le plus souvent, ils sont minces voire filiformes.

« Le pire, c’est l’hiver », écrivait Marcel Theroux de ces terres Au Nord du monde (2009), quand on laisse derrière soi « les restes de la prétendue civilisation » ; quand, comme l’énonce Cormac McCarthy dans La Route (2007), adviennent « les nuits obscures au-delà de l’obscur et les jours plus gris que celui d’avant. Comme l’assaut d’on ne sait quel glaucome froid assombrissant le monde sous sa taie ». C’est cet espace qu’explore à son tour William Giraldi, une terre glacée où « résonnait l’écho obscur de l’esprit du froid », en lisière de toute civilisation, là où se trouve une vérité enfouie, dérangeante, de l’humanité. Un grand Nord dans lequel vacillent repères et certitudes, ouvrant à l’inconnu, à l’infini de la fable.

Le projet d’écrire un premier roman, quand on est par ailleurs le rédacteur en chef d’Interview (fondé en 69 par Andy Warhol), journaliste pour The New York Times, Artforum ou The Believer, est un peu à la littérature ce que le quadruple lutz de Surya Bonaly était au patinage : l’exercice pourrait passer pour une performance sans réel intérêt artistique, pire, se terminer en une chute façon étoile écrasée sur la glace, ou, plus rarement, être un moment de grâce. Or Christopher Bollen a réussi son quadruple lutz avec Lightning People (2011), traduit sous le titre Manhattan People chez Calmann-Lévy.

Nous apprenons la triste nouvelle de la mort de Jean-Pierre Carasso, traducteur hors pair des plus grands : Carver, Hemingway, Norman Mailer, Alice Munro, la liste est infinie… C’est à travers ses mots, et ceux de sa compagne Jacqueline Huet, que nous avons lu La Conjuration des imbéciles, Jay McInerney, redécouvert Last Exit to Brooklyn («œuvre hallucinée» selon ses propres termes en postface de la nouvelle traduction du livre, en 2014), lu Jim Dodge ou Stanley Elkin. Il a traduit plus de 400 livres depuis le tout premier, Hamlet et Œdipe d’Ernest Jones.

« Sur le bateau nous étions presque toutes vierges » : « nous », ces femmes japonaises — « certaines n’avaient que quatorze ans et c’étaient encore des petites filles » — qui traversent le Pacifique vers la Californie où les attendent leurs « fiancés », des hommes qu’elles n’ont jamais rencontrés. On est au tout début du XXe siècle. Masayo, Mitsuyo, Nobuye, Kiyono (et tant d’autres rassemblées dans ce « nous ») rêvent de vies nouvelles, d’amour, les photos envoyées au Japon ont fait naître l’espoir. Julie Otsuka trame leurs voix, les mêle en un « nous » incantatoire. Elle suit ces femmes, dit des vies, en de courts chapitres qui construisent, peu à peu, un roman choral aussi puissant qu’il est court et sobre.

Donald Ray Pollock : Écrivain américain vivant, né dans l’Ohio en 1954. Un recueil de nouvelles et un roman à son actif.

Il y a parfois du bon à ne capter qu’une seule radio quand vous êtes au volant de votre vieux break Volvo, plus polluant qu’un tracteur. France Inter vous fait découvrir, entre deux crépitements, un écrivain américain prodigieux. Quelqu’un qui sait extraire le beau dans la fange, redonner une âme à des êtres prisonniers d’une existence proche du misérable sans pour autant verser dans le misérabilisme.

Depuis quelques livres, Paul Auster infléchit son œuvre vers une dimension (auto)réflexive : on se souvient de son diptyque autobiographique, en 2013 et 2014, Chronique d’hiver, suivi d’Excursions dans la zone intérieure, pendant mental de ce miroir d’encre, non plus le sexe, les cicatrices, la chair pour tenir la chronique d’une vie mais ce qui, dans son enfance, l’a conduit à devenir lui-même, les expériences fondatrices. Cette année paraît La Pipe d’Oppen, recueil d’essais, discours, préfaces et entretiens, quatorze textes qui forment un nouveau portrait oblique, en éventail, pour définir son propre art poétique à travers l’analyse de Perec (dans son rapport à Truffaut), André du Bouchet, Nathaniel Hawthorne, Jim Jarmusch et d’autres.

Comme l’écrit Edna O’Brien — phrase que Philip Roth cite en exergue de La Bête qui meurt (2003) —, « l’histoire d’une vie s’inscrit dans le corps tout autant que dans le cerveau » : là est le sujet même de Chronique d’hiver selon Paul Auster, le récit du rapport qu’entretient un homme avec son corps, comme d’Excursions dans la zone intérieure (publié l’année suivante), chronique d’un cerveau et d’une pensée, de l’éveil au monde d’une conscience.

Gary Shteyngart est né en 1972. Et le quatrième livre qu’il publie, à 42 ans, n’est pas un roman mais prend, déjà, la forme des mémoires dont le titre pourrait être celui de l’un de ses précédents livres, Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes russes, Absurdistan ou Super triste histoire d’amour. Mémoires d’un bon à rien est le récit d’une vie particulière comme d’une œuvre, un nouveau départ.