En 2014, le Prix Médicis étranger 2014 a couronné un roman de Lily Brett, Lola Bensky, édité à La Grande Ourse, chez l’un de ces éditeurs qu’inlassablement on qualifie de « petits », pour la taille de leur structure, pour leur jeunesse (La Grande Ourse a vu le jour en 2012). Ce roman paraît en édition de poche (chez 10/18) alors que sort Chaud devant ! à La Grande Ourse.
Swinging London, 1967 : Lola est reporter pour le magazine australien Rock-Out. Elle a 19 ans, quelques kilos en trop et, face à elle, Jimmy Hendrix. « Elle s’est dit que Jimmy Hendrix, lui, n’avait sans doute jamais eu besoin de faire un régime. Qu’il devait être naturellement mince. Pas elle, jamais. Elle possédait une photo d’elle dans le camp de personnes déplacées où elle était née, en Allemagne. Elle avait trois mois sur ce cliché, et elle était déjà potelée. Comment un bébé né dans un camp de personnes déplacées pouvait-il être potelé ? Lola était certaine que peu d’internés, en majorité des juifs qui avaient survécu aux camps de la mort, avaient dû être potelés ».
Lola n’a pas fait d’études de journalisme, elle ne connaît pas grand chose au rock, et elle va pourtant vivre au cœur de la scène musicale et interviewer les plus grands, Brian Jones, Cat Stevens, Jim Morrison, ou plutôt parler soupe au chou (et sexe) avec Mick Jagger, faux cils incrustés de strass avec Cher, amour entre filles avec Janis Joplin ou bigoudis avec Jimi Hendrix. Lola Brett est décalée, kilos en trop, sensibilité à fleur de peau, empathie démesurée et un constant sentiment d’ailleurs : fille de deux survivants d’Auschwitz, elle a été élevée en Australie avant de partir pour Londres puis New York. Mais nul apitoiement en elle, une force malgré crises de panique et séances chez le psy, fidèle en cela à la règle de vie répétée par sa mère, « il ne suffit pas de survivre, il faut survivre en restant humain ».
Alors, Lola fait des listes, infos et anecdotes sur l’une des stars de la scène musicale qu’elle s’apprête à rencontrer liste des « régimes qu’elle envisageait de suivre » (« elle venait juste de renoncer à l’un d’eux, à base de barres Mars ») mais aussi souvenirs et « listes personnelles, celles des membres de la famille de ses parents qui étaient morts. (…) Ces listes-là mettaient Lola mal à l’aise ». Ce sont ces listes qui, d’une certaine manière, constituent le récit, les légères comme celles qui « allaient lui coller à la peau », dans un contraste permanent de légèreté et gravité, du rire aux larmes, grand écart sidérant qui fait la force de ce roman.
C’est un parcours multiple que l’on suit à travers Lola Bensky, une quête identitaire, humaine, le poids du passé et de souvenirs plus légers, dans un roman qui est le puzzle d’une génération. LB, les initiales de Lily Brett, née en Allemagne en 1946 de parents polonais rescapés des camps, jeunesse à Melbourne, auteure de ce roman singulier, aussi poignant qu’il est drôle.
Lola Bensky est son premier roman traduit en français (par Bernard Cohen), son sixième livre, une confession oblique, celle d’une femme en prise avec passé et présent, ex-journaliste rock, qui romance son parcours familial et personnel dans un roman tragique et drôle. Singulier.
Lily Brett, Lola Bensky, traduit de l’anglais par Bernard Cohen, 10/18, 7 € 80