Paul Otchakovsky-Laurens (1944-2018), tel qu’en lui-même l’éternité le change

© Christine Marcandier

Le grand éditeur Paul Otchakovsky-Laurens est mort dans un accident de voiture à Marie Galante. Né en 1944 dans le Vaucluse, il avait fait ses armes chez Christian Bourgois puis Flammarion, avant de créer, en 1977, la collection « P.O.L » chez Hachette. Il y publie plusieurs textes de Georges Perec (La vie mode d’emploi en 1978).
La mort de l’écrivain, en 1982, est une des raisons qui le pousse à créer sa propre maison d’édition, en 1983. Il y publie Emmanuel Carrère, Marie Darrieussecq, Guillaume Dustan, Christine Montalbetti, Édouard Levé, Olivier Cadiot, Patrick Varetz, Jean Rolin et tant d’autres.

Paul Otchakovsky-Laurens est l’auteur de deux documentaires, Sablé sur Sarthe, Sarthe en 2009 et Éditeur (2017) : le premier revient sur son enfance, le second sur sa trajectoire d’éditeur, son rapport aux livres et aux écrivains, à la fois exigeant et gourmand : « Je cherche dans les livres une certaine forme de trouble, de mise en péril », déclarait-il à Libération en 1998.

Chaque matin, dans son bureau de la rue Saint-André des Arts, il ouvrait lui-même les piles de manuscrits, décidant sans comité de lecture de la publication des livres de sa maison, à la couverture sobre et reconnaissable entre toutes, au logo reproduisant le jeu de go de La Vie mode d’emploi : des pastilles figurant la position du Ko (Éternité).
De ces voix singulières, il avait fait des succès de librairies, La Douleur de Duras (1985), Truismes de Darrieussecq (1996), La Maladie de Sachs de Martin Winckler (1998).

« Je suis bien plus redevable à mes auteurs qu’ils ne le sont », déclarait-il dans Le Monde il y a quelques semaines. L’édition est une « activité économiquement aberrante », affirmait-il dans Éditeur, qui tient d’une passion, d’une manière de respirer sans doute, tournée vers l’altérité. Être éditeur, ce n’était pas pour lui « la carrière d’un jeune homme pressé » mais « l’histoire de quelqu’un qui lisant des manuscrits, éditant des livres, trouve peu à peu ses mots à lui à travers ceux des autres, grâce auxquels il peut vivre ».

Paul Otchakovsky-Laurens était de ceux, rares, construisant L’Histoire récente de la littérature. Récente et tournée vers cette éternité qui est le logo d’une maison d’édition à ses initiales, dans cette présence/absence de celui dont le regard, la curiosité et la singularité la bâtissaient au quotidien. Redevables lui sont ses lecteurs, dont nous sommes.

« Tout à coup, le monde ne convient pas ». C’est sur cette phrase que s’ouvre Rages de chêne, rages de roseau, le dernier livre de Mathieu Lindon (P.O.L, 2018), c’est la seule qui, décontextualisée, convienne quelque peu ce matin.

Paul Otchakovsky-Laurens © Daniel Mordzinski / P.O.L