Pour la deuxième fois, le génial collectif belge TG STAN (Theater group : stop talking about names) s’empare du non moins génial dramaturge français connu sous le pseudonyme de Molière et rendu ici à son patronyme moins usité, comme pour attirer l’attention sur l’humain plus que sur la référence car c’est moins au monument qu’on s’attaque qu’à ses personnages, à leurs faiblesses et au jeu qu’elles génèrent… J’ai raté la première fois… et je regrette ! tant ce second volet est hautement réjouissant, stimulant et dépoussière ce que qu’on a pu plaquer sur Molière de scolaire et de didactique.

Séverine Chavrier aime adapter des œuvres magistrales et difficiles. En 2014, elle a marqué les ateliers Berthier avec ses Palmiers sauvages, époustouflante mise en scène du roman d’amour et de mort de Faulkner. Elle revient à Berthier pour Thomas Bernhard, dont elle a déjà proposé une traversée en 2017 avec Nous sommes repus mais pas repentis, spectacle qui rebaptisait et réinventait le huis clos familial de Mon déjeuner chez Wittgenstein, sur lit de vaisselle brisée. Le projet est ici encore ambitieux : La Plâtrière, roman âpre, fait entendre le ressassement d’un philosophe impuissant et se déroule en l’absence et même en l’impossibilité de toute action, au-delà du meurtre qui ouvre le roman, en épuisant d’emblée le suspense et même le drame.

Il est des entreprises folles qui nous réjouissent et nous grandissent. La folle entreprise de Christian Benedetti est de celle-là. Dans son Théâtre-studio d’Alfortville, une extraordinaire troupe d’acteurs et actrices porte l’ensemble des « grandes » pièces de Tchekhov en deux journées, dans l’ordre chronologique de leur écriture. Les pièces en un acte viendront prochainement.

Joyeux Noël ! le public gagne sa place sur les gradins, de part et d’autre de la table tandis que le sapin clignote. La meute des chiens s’apprête à ronger l’os du chapon, à en remplir de farces grasses la carcasse, à désosser les poncifs, à faire sauter les boucles de ceinture, à nous en mettre plein la rampe sur fond de musiques sirupeuses et de guirlandes bancales. La famille est à la fête pour ce nouvel opus des Chiens de Navarre mijoté avec sa sauce acide et ses garnitures douteuses.

Entretien avec Denis Lachaud, alors que plusieurs de ses pièces sont actuellement en tournée (Jubiler/L’Archipel) et que paraît son nouveau roman Le Silence d’Ingrid Bergman. Les deux personnages, la pseudo-Ingrid et sa fille Rosalie, vivent sur le très long terme une situation d’une violence extrême à l’issue de laquelle elles devront essayer de renouer avec le monde et avec les autres. Le livre démarre in medias res et ne dévoile que très progressivement la situation au lecteur. Il nous a donc été nécessaire, lors de cet entretien, de jongler avec les ellipses pour ne pas trop en dévoiler.

Une cinquantaine de chaises vides, sagement alignées, installent l’attente sur le plateau, salle des pas perdus ou hall de gare qu’arpente rapidement Adama Diop qui n’est pas encore Lopakhine. Sa première adresse au public, toutes lumières allumées dans la salle, fait sourire ou rire : notre attente a été longue aussi de cette Cerisaie sans cesse retardée par le covid et ses contraintes ! J’ai, pour ma part, pris trois fois ma place avant que la rencontre puisse enfin avoir lieu… L’attente est donc une expérience commune, personnages et public d’emblée réunis par la suppression du quatrième mur sont impatients d’accueillir enfin cette petite famille revenue de loin, cette troupe bigarrée réunie par Tiago Rodrigues.

La Cerisaie de Tchekhov est pour moi la plus belle pièce écrite pour le théâtre, parce qu’elle raconte sur un mode intime et grâcieux l’histoire collective et universelle de la disparition. Mort des arbres, destruction de la beauté, fin d’une époque, primauté du rentable sur l’inutile… Les trains passent et chacun garde au fond de soi sa propre Cerisaie fragile mais éternelle. Une Cerisaie à la Comédie Française pour les fêtes de fin d’année : un vrai cadeau ?

Ils sont tous morts, ou presque tous. Et pourtant ils sont tous là : la grand-mère, morte le jour de la première du premier film de Christophe, l’oncle Jacquot emporté par un cancer, l’oncle Roger et la tante Claudie, suicidés, le grand père Puig, à qui on ne parle plus depuis longtemps. Et Marie Do, la mère, la seule encore vivante. Ils sont assis, comme nous au théâtre des Célestins, sur les fauteuils rouges d’une salle de cinéma « céleste », convoqués par Christophe pour une drôle de séance. Ils sont venus voir le film de leur vie, lui-même fantôme, écran aléatoire au cœur d’un dispositif théâtral qui interroge les modalités de leur présence.