L’Amour qui se donne à voir ici n’a rien avec voir avec celui qui fait flamber les cœurs de Romeo Et Juliette et qu’une longue tradition a mis au cœur des enjeux dramatiques de nos spectacles. Sur le plateau de Love, crée en 2016 par Alexander Zeldin à Londres, huit personnages hétéroclites se croisent, se gênent, s’observent, se chicanent et se lovent maladroitement dans les chaises en plastique inconfortables d’un centre d’hébergement. Dans un espace trop petit, trop commun, ils tentent de cohabiter, se supporter et, souvent, ils s’aiment : un fils et sa vielle mère s’aiment, les quatre membres d’une famille recomposée s’aiment, deux immigrés issus de pays orientaux se parlent et sourient, une grand-mère et une petite fille se rapprochent…

C’est comme un marronnier un peu rassurant à la rentrée : un nouveau spectacle de Stéphane Braunschweig en ouverture de saison à l’Odéon. Cette année c’est le texte d’un auteur norvégien, déjà plusieurs fois mis en scène par Braunschweig, qui offre leur partition aux huit acteurs réunis pour tisser devant nous quelques histoires familiales douce-amères.

Le chapiteau est vaste, son centre est de gazon mais c’est d’abord dans les airs qu’il nous invite à regarder. Les jeunes élèves de la 33e promotion du CNAC (Centre National des Arts du Cirque) sont perchés là-haut, sur des balançoires à hauteurs diverses, dans le noir, penchés sur l’écran de leurs téléphones, comme isolés chacun dans sa bulle d’air, dans sa lueur, dans sa rêverie.  L’image initiale nous plonge dans l’univers onirique, presque encore enfantin, de ces jeunes gens comme des oiseaux de nuit virtuoses et maladroits et nous entraîne dans une bamboche vertigineuse composée de leurs envols et de leurs chutes. Simultanément ensemble et individualisés, ils sont, dès cette très belle ouverture, autant solistes que membres d’un collectif, et aussi bien représentants de leur génération qu’athlètes exigeants, aussi semblables à leurs contemporains qu’irréductiblement étranges. Ce sont ces tensions déroutantes que le spectacle va explorer.

Pour la deuxième fois, le génial collectif belge TG STAN (Theater group : stop talking about names) s’empare du non moins génial dramaturge français connu sous le pseudonyme de Molière et rendu ici à son patronyme moins usité, comme pour attirer l’attention sur l’humain plus que sur la référence car c’est moins au monument qu’on s’attaque qu’à ses personnages, à leurs faiblesses et au jeu qu’elles génèrent… J’ai raté la première fois… et je regrette ! tant ce second volet est hautement réjouissant, stimulant et dépoussière ce que qu’on a pu plaquer sur Molière de scolaire et de didactique.

Séverine Chavrier aime adapter des œuvres magistrales et difficiles. En 2014, elle a marqué les ateliers Berthier avec ses Palmiers sauvages, époustouflante mise en scène du roman d’amour et de mort de Faulkner. Elle revient à Berthier pour Thomas Bernhard, dont elle a déjà proposé une traversée en 2017 avec Nous sommes repus mais pas repentis, spectacle qui rebaptisait et réinventait le huis clos familial de Mon déjeuner chez Wittgenstein, sur lit de vaisselle brisée. Le projet est ici encore ambitieux : La Plâtrière, roman âpre, fait entendre le ressassement d’un philosophe impuissant et se déroule en l’absence et même en l’impossibilité de toute action, au-delà du meurtre qui ouvre le roman, en épuisant d’emblée le suspense et même le drame.

Il est des entreprises folles qui nous réjouissent et nous grandissent. La folle entreprise de Christian Benedetti est de celle-là. Dans son Théâtre-studio d’Alfortville, une extraordinaire troupe d’acteurs et actrices porte l’ensemble des « grandes » pièces de Tchekhov en deux journées, dans l’ordre chronologique de leur écriture. Les pièces en un acte viendront prochainement.

Joyeux Noël ! le public gagne sa place sur les gradins, de part et d’autre de la table tandis que le sapin clignote. La meute des chiens s’apprête à ronger l’os du chapon, à en remplir de farces grasses la carcasse, à désosser les poncifs, à faire sauter les boucles de ceinture, à nous en mettre plein la rampe sur fond de musiques sirupeuses et de guirlandes bancales. La famille est à la fête pour ce nouvel opus des Chiens de Navarre mijoté avec sa sauce acide et ses garnitures douteuses.

Entretien avec Denis Lachaud, alors que plusieurs de ses pièces sont actuellement en tournée (Jubiler/L’Archipel) et que paraît son nouveau roman Le Silence d’Ingrid Bergman. Les deux personnages, la pseudo-Ingrid et sa fille Rosalie, vivent sur le très long terme une situation d’une violence extrême à l’issue de laquelle elles devront essayer de renouer avec le monde et avec les autres. Le livre démarre in medias res et ne dévoile que très progressivement la situation au lecteur. Il nous a donc été nécessaire, lors de cet entretien, de jongler avec les ellipses pour ne pas trop en dévoiler.