On retient d’abord du nouveau spectacle de Julien Gosselin, Le Passé, son monumental dispositif : la scénographie ultraréaliste reproduisant des intérieurs bourgeois de la Russie du 19e siècle, à la ville et à la campagne, est surplombée d’un immense écran sur lequel se joue tout ce qui échappe aux regards.
Auteur : Delphine Urban
Créé en juillet 21 au Festival d’Avignon, Liebestod constitue le premier volet d’un diptyque somptueux éprouvant la splendeur de l’amour à l’aune de la souffrance.
Ils sont tous morts, ou presque tous. Et pourtant ils sont tous là : la grand-mère, morte le jour de la première du premier film de Christophe, l’oncle Jacquot emporté par un cancer, l’oncle Roger et la tante Claudie, suicidés, le grand père Puig, à qui on ne parle plus depuis longtemps. Et Marie Do, la mère, la seule encore vivante. Ils sont assis, comme nous au théâtre des Célestins, sur les fauteuils rouges d’une salle de cinéma « céleste », convoqués par Christophe pour une drôle de séance. Ils sont venus voir le film de leur vie, lui-même fantôme, écran aléatoire au cœur d’un dispositif théâtral qui interroge les modalités de leur présence.
D’Angelica Liddell on sait déjà beaucoup. On connaît sa vie : sa rupture amoureuse déployée avec incandescence dans la casa della forza (2012) et son rapport à ses parents, exploré dans son récent diptyque : una costilla sobre la mesa et padre (2020). On sait ses combats contre le puritanisme ambiant et pour l’expression libre et brutale des désirs dans you are my destiny (2015) et Scarlett letter (2018). On a beaucoup vu son intimité physique : dans tous ses spectacles elle exhibe son sang, son sexe, sa sueur. Et on aime son imaginaire baroque, sexuel, immoral, rouge et flamboyant. Quand après un an de silence, la sombre atrabilaire revient sur les plateaux, c’est un événement. Elle a présenté son combat avec le taureau dans Liebestod en Avignon cet été. Et juste avant la fête des morts, c’est Terebrante qu’elle crée au CDN d’Orléans.
L’Amour qui se donne à voir ici n’a rien avec voir avec celui qui fait flamber les cœurs de Romeo Et Juliette et qu’une longue tradition a mis au cœur des enjeux dramatiques de nos spectacles. Sur le plateau de Love, crée en 2016 par Alexander Zeldin à Londres, huit personnages hétéroclites se croisent, se gênent, s’observent, se chicanent et se lovent maladroitement dans les chaises en plastique inconfortables d’un centre d’hébergement. Dans un espace trop petit, trop commun, ils tentent de cohabiter, se supporter et, souvent, ils s’aiment : un fils et sa vielle mère s’aiment, les quatre membres d’une famille recomposée s’aiment, deux immigrés issus de pays orientaux se parlent et sourient, une grand-mère et une petite fille se rapprochent…
La pièce commence au futur. Un futur proche de nous mais néanmoins postérieur à la catastrophe. Une éclipse a enlevé à l’humanité une de ses moitiés. Et ce n’est pas un hémisphère qui a disparu ou un peuple qui a été décimé mais au cœur de chaque famille un membre ou deux qui s’est volatilisé pendant les quatre minutes de cette nuit en plein jour. La moitié restante tente donc de rester vivante en espérant l’autre.