Douceur automnale, entre poésie et convention: Jours de joie d’Arne Lygre, mise en scène de Stéphane Braunschweig, théâtre de l’Odéon

Jours de joie © Simon Gosselin / théâtre de l'Odéon

C’est comme un marronnier un peu rassurant à la rentrée : un nouveau spectacle de Stéphane Braunschweig en ouverture de saison à l’Odéon. Cette année c’est le texte d’un auteur norvégien, déjà plusieurs fois mis en scène par Braunschweig, qui offre leur partition aux huit acteurs réunis pour tisser devant nous quelques histoires familiales douce-amères.

L’automne et ses feuilles de marronnier orangées recouvrent le plateau, pour une fois remarquablement dépouillé et offert au regard du public qui s’installe tranquillement, retrouvant des places quittées le temps d’un été. Face aux fauteuils rouges de la salle, un banc, immense, au milieu des feuilles mortes. Une image familière qui ne manque pas de poésie dans ce lieu très chargé d’histoire, et qui ne verse pas non plus dans un naturalisme de carton-pâte car les murs noirs et bruts de la cage de scène sont aussi laissés à nu.

Ce mélange de réalisme et d’artifice constitue la ligne esthétique du spectacle. Les premières comédiennes entrent à jardin, une mère et sa fille qui se désignent tout en se parlant : « une mère dit… / une sœur pense…. ». Le temps d’installer la situation avant de dérouler une conversation, elles affichent leur rôle. Ce procédé sera repris systématiquement tout au long du spectacle par chacun.e. des seize personnages qui en composent les protagonistes. Une légère distance avec le naturalisme qui invite le spectateur dans la fable et ouvre une perspective ironique bien venue dans cet univers très quotidien :  famille et voisins se retrouvant, se croisant, se perdant autour d’un banc puis d’un canapé.

Jours de joie © Simon Gosselin / théâtre de l’Odéon

Premier tableau, extérieur, automne. Le couple mère-fille se retrouve donc sur ce banc, au bord d’une rivière, en contrebas d’un cimetière évoqué par leurs seules paroles et dont la représentation est laissée à l’imaginaire de chaque spectateur. Moment de joie que ces retrouvailles, d’abord un peu laborieuses puis animées entre autres par un moment pop chanté a capella et dansé, comme un retour à l’enfance et une promesse d’avenir : « I want your love ! » (reprise charmante de Lady Gaga). Moment suspendu aussi à l’arrivée imminente d’un frère qui se fait attendre et sera devancé par quelques passants, comme des fâcheux :  un couple qui se sépare et une famille qui enterre un père. Entre querelles et confessions, les moments de joie cohabitent avec les moments douloureux.

Telle semble être la leçon, un peu faible sans doute, de ces chassés croisés qui finissent par composer un tableau assez réussi de huit personnes assises sur ce banc, dont on se rend compte seulement alors qu’il est vraiment très long. Ce dispositif évoque pour moi la poésie de la bande-dessinée de Christophe Chabouté, Un peu de bois et d’acier, en plan fixe sur un banc public qui accueille au cours de la journée puis de la nuit une petite ribambelle d’êtres vivants, disparates mais liés, sans forcément le savoir, à ce lieu commun.

Deuxième tableau, intérieur, hiver. Braunschweig ne résiste pas à son goût pour les espaces clos et les murs monumentaux qui coupent le plateau. Au banc succède un long canapé tandis que des flocons de neige voletant de l’autre côté de la fenêtre font un écho météorologique aux feuilles mortes. Dans une ambiance nordique, le cocon se forme autour de l’aquavit et de l’évocation de l’absent, le fils de l’une, amant de l’autre, disparu sans laisser d’adresse. Ce hors-champ, ce creux de la disparition (deuil, absence, départ, enfant à naître…) surplombe toutes les scènes, en déjouant l’apparente convivialité. Malgré eux peut-être, les personnages célèbrent l’éphémère des relations amoureuses, la fragilité du bonheur, l’attachement à l’instant plutôt qu’à la cohérence d’une vie, disparaissant régulièrement dans les coulisses dès qu’ils semblent s’être trop appesantis.

Le dernier tableau, plus onirique finalement, ouvre sur un dedans-dehors qui revient à l’intime, à la relation mère-fils. Les personnages ont changé mais les acteurs sont les mêmes qu’au début.  Quelque chose se renoue, se restaure, avant un face-public un peu convenu mais pas trop appuyé. Le moment des saluts s’articule avec fluidité aux dernières répliques, cette vie est un théâtre et les applaudissements vont d’abord aux acteurs et actrices, précis et généreux dans cette proposition chorale plaisante et légère.

Pourtant dehors, le vent tourbillonne et le spectacle, plusieurs fois annulé par des salariés en grève, ne peut tout à fait faire ignorer que l’hiver n’est pas qu’une métaphore scénographique.

Jours de joie d’Arne Lygre, 2 h 20
Mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
Avec Virginie Colemyn, Cécile Coustillac, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Lamya Regragui Muzio, Chloé Réjon, Grégoire Tachnakian, Jean-Philippe Vidal
Traduction française Stéphane Braunschweig, Astrid Schenka
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Maquillages/coiffures Emilie Vuez
Assistante à la mise en scène Clémentine Vignais

Production Odéon-Théâtre de l’Europe
Avec le soutien du Cercle de l’Odéon et de l’Ambassade Royale de Norvège
Odéon-Théâtre de l’Europe, Paris du 16 septembre au 14 octobre 2022
Tournée : 25 novembre 2022 au Festival Interférences de Cluj, Roumanie
les 11 et 12 janvier 2023 au CDN de Besançon