« La Légèreté » : le syndrome de Catherine

© Catherine Meurisse, La Légèreté

Le procès des attentats de janvier 2015 a commencé le mercredi 2 septembre au Palais de justice de Paris. Un procès pour l’histoire lit-on partout. Un procès pour les vivants, pour les victimes et leurs familles ; un procès qui fait resurgir la douleur, le souvenir, l’horreur, l’injustice. Cette semaine, Diacritik vous propose de revenir sur des œuvres qui, frontalement ou en creux, parlent de Charlie avant « Je suis Charlie », des traumatismes, de l’après et de la reconstruction impossible et nécessaire. Parce que ces livres, ces albums, ces dessins, ces entretiens sont à la fois témoignages, traces, mémoire, histoire(s). Aujourd’hui : La Légèreté, de Catherine Meurisse.

Au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, la dessinatrice Catherine Meurisse a été touchée dans son âme tandis que Charb, Tignous, Cabu, Wolinski, Mustapha et Honoré l’étaient dans leur chair. L’horreur l’a plongée dans un état d’abattement, de deuil, jusqu’à la dissociation. Un état qu’elle raconte dans un album qui tient à la fois du témoignage et de la quête, du manifeste et de l’hommage.

La Légèreté
© Catherine Meurisse, La Légèreté

La Légèreté aurait pu s’intituler « La dissociation », du nom de ce trouble aux multiples formes qui peut toucher n’importe qui et affecter n’importe quel aspect de la fonction mentale d’un individu : l’amnésie, la dépersonnalisation, la déréalisation, la perte d’identité. Catherine Meurisse l’a vécu. Avec La légèreté, Catherine Meurisse fait sa catharsis (comme son ami Luz à qui elle rend hommage dans un strip ô combien évocateur). Comme lui, elle expérimente la perte du sens, la protection policière qui empêche toute intimité, la dépossession, les « Je suis Charlie » répétés urbi et orbi. Avec un sens aigu de la mise en abyme, elle dessine (après en avoir perdu le goût et l’envie) et décide sa propre reconquête tout en relatant la folie proche, le doute, la douleur, l’absence, la solitude.

La Légèreté
© Catherine Meurisse, La Légèreté

La légèreté raconte le court avant et le long après 7 janvier. Catherine Meurisse revient sur son arrivée à Charlie, balance en deux ou trois planches dix ans de collaboration et en trois bulles puissantes ce qui présidait au sein de la rédaction décimée : le rire à tout prix, le pourquoi et le comment on devient, on est dessinateur à Charlie Hebdo. Elle se souvient de Bernard Maris et met en scène ses échanges avec Mustapha Ourrad, le correcteur-relecteur du journal, passionné par Baudelaire. Et Elsa Cayat (trop souvent oubliée dans les hommages au kilomètre dans les jours qui ont suivis la tuerie), cette dernière psychanalysant un terroriste dans un passage poignant, sommet d’ironie :

La Légèreté
© Catherine Meurisse, La Légèreté

Certains humains sont assez cons pour se substituer aux dieux et voir de l’outrage partout.

La Légèreté
© Catherine Meurisse, La Légèreté

Puis, comme le souligne Philippe Lançon dans sa magnifique préface, dans un moment de bascule, elle convoque les antiques et ses classiques, Proust, Le Caravage, Dostoïevski et Stendhal pour enfin se retrouver.
La Légèreté est une ode au beau et aux lettres, seules échappatoires à la barbarie. Avec ce dessin qui n’est pas sans rappeler le trait de Cabu et Reiser, et une érudition qui fait plaisir à lire et à voir, Catherine Meurisse dépeint un cheminement personnel et délivre un message définitif à l’adresse des empêcheurs de s’amuser en rond et les contempteurs post-mortem adeptes du « ils l’ont bien cherché » : être dessinateur à Charlie, ce n’est pas simplement croquer pour la déconne, patauger dans l’irrévérence sans tenir compte du fond, moquer grassement en oubliant les divers degrés de lecture possible de unes provocatrices et de strips caustiques. Qui plus est quand les acteurs de ce combat (car c’en est un) se nomment, Charb, Cabu, Tignous, Wolinski, Honoré, Maris, Cayat, Mustapha… Auxquels avec humour, autodérision et une incroyable sensibilité, Catherine Meurisse rend hommage tout au long de l’album.

La Légèreté
© Catherine Meurisse, La Légèreté

C’est la beauté qui sauvera le monde

Et Catherine Meurisse de rappeler de la plus belle des manières à toutes celles et ceux qui sont resté.e.s sans voix au lendemain des 7 janvier et 13 novembre 2015 que si « le terrorisme est l’ennemi du langage », la réciproque est également (et surtout) vraie : le verbe, le rire, les livres, les arts, la culture sont les armes les plus précieuses pour combattre le malheur et la terreur. « C’est la beauté qui sauvera le monde », cette beauté qui a sauvé Catherine Meurisse et qui lui a rendu sa légèreté perdue.

Catherine Meurisse, La Légèreté, 136 p. couleur, Dargaud, 19 € 99.

Du 30 septembre 2020 au 25 janvier 2021, La Bibliothèque publique d’information du Centre Pompidou propose une exposition consacrée à l’œuvre de la dessinatrice : Catherine Meurisse, La vie en dessin. Un événement en partenariat avec le Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, France Inter, Le Figaroscope, Philosophie magazine, Les Arts Dessinés et les éditions Dargaud et Diacritik. Plus d’informations sur le site de la Bpi.