5 décembre 2022. L’automne touche à sa fin. Il est temps de clore cette année de “Choses lues, choses vues” avec ce dernier épisode qui porte, un peu par hasard, le n° 31, ce qui tombe plutôt bien parce que ce 5 décembre marque le 90e anniversaire de la naissance de Jacques Roubaud, auteur de Trente-et-un au cube (1973) et dont le dernier livre paru l’an dernier chez Gallimard, Chutes, rebonds et autres poèmes simples, présente une suite de poèmes en six lignes ainsi construits : 3 – 5 – 7 – 5 – 3 – 8 = 31 syllabes (ou sons – soit le même nombre que pour le tanka, lui, en cinq lignes :  5 – 7 – 5 – 7 – 7). Nous ne ferons pas ici la recension de trente-et-un ouvrages, mais ce nombre se retrouvera en tant que contrainte secrète nous incitant à épuiser la petite pile qui nous fait signe chaque matin, sur l’air de : “ne nous oublie pas”.

Flâner dans la réserve – ce jardin aux sentiers qui bifurquent, entre terrain vague et forêt à la lisière de la ville –, en quête de quelque chose à lire, à voir, à sentir, nous conduit certains jours, et même bien davantage, à ne faire aucune nouvelle rencontre. C’est le cas cette semaine où plusieurs choses, en partie mémorisées, en partie effacées, font retour – ce qui n’est pas pour nous déplaire, la joie des retrouvailles valant bien le plaisir de la découverte.

Les éditions Dargaud viennent d’annoncer la disparition du dessinateur Jean-Claude Mézières dans la nuit du samedi 22 au dimanche 23 janvier 2022 à l’âge de 83 ans. Celui dont la carrière est indissociable des personnages de Valérian et Laureline qu’il a créés avec son ami d’enfance Pierre Christin fut un acteur majeur la bande dessinée : illustrateur et créateur à l’imaginaire foisonnant, un pionnier dont l’influence s’est étendue bien au-delà du 9ème art aujourd’hui en deuil.

Je reste sidéré par la puissance d’attraction qu’exerce la bande dessinée sur ses exégètes, qu’ils soient de simples aficionados ou de savants professeurs : passion dévorante et le plus souvent exclusive. Pour ma part, je ne me suis jamais senti concerné par cette forme d’addiction, par ce trop-plein d’amour pour ce qui est, encore pour beaucoup, un genre.

L‘époque a rendu la critique exigeante. En lisant certains articles à charge et autres recensions acrimonieuses du 39ème épisode des aventures d’Astérix le Gaulois, on en vient à se demander si l’aventure signée Ferri et Conrad n’est pas victime de ce mal contemporain qu’est le traitement de la culture par le petit bout de la lorgnette du commentaire…

Encore la bande dessinée ? Ce n’est pas fini, cette histoire ? On veut bien croire qu’il y a eu, récemment – enfin, il y a environ un demi-siècle – une explosion salutaire, suivie par quelques tentatives, de restauration tout d’abord, puis surtout de récupération, qui auront à leur tour provoqué quelques crises où se seront affirmées une, deux, et même trois générations d’auteurs et d’autrices que l’on aurait pu croire à première vue sans attaches, même si, pour une part non négligeable d’entre elles et d’entre eux, plus que respectueux des grandes figures de l’histoire du genre, ou disons du champ (de ruines) où se dressent encore fièrement quelques pierres à l’effigie de héros increvables, à peine érodées par le vent souvent mauvais de l’air du temps.

Dans le langage courant et dans le jargon technico-commercial, le service après-vente (SAV) est un service qu’une entreprise propose à ses clients pour la mise en marche, l’entretien et la réparation d’un bien que cette entreprise a vendu ou pas. Que se passerait-il si la grande entreprise de Dieu, père et fils avait sous-traité la prestation à des techniciens nommés Gandhi, La Callas, Victor Hugo ou Michel Audiard ?

C’est quand le guetteur se surprend à ne plus rien attendre que tout arrive (air connu). Je viens de retrouver ces lignes de Paul Auster dans Moon Palace, recopiées il y a vingt-cinq ans sur une page de carnet : “Avec le temps, je commençais à remarquer que les bonnes choses n’arrivaient que lorsque j’avais renoncé à les espérer. Si c’était vrai, l’inverse devait l’être aussi : trop espérer les empêcherait de se produire.” Être travaillé par l’attente de l’inattendu, c’est avoir l’esprit plus libéré qu’entravé par le sentiment que, vagabondant sur un champ de ruines, nous pourrons ramasser, si la chance nous sourit, quelques vestiges de tentatives en apparence avortées, mais ouvrant certaines voies que le souci de “réussite” interdit de frayer.

Manu Larcenet va bien. Enfin… mieux. Ou pas plus mal que si c’était pire. La preuve ? Alors qu’on l’avait laissé en pleine Thérapie de groupe en train de danser avec les étoiles, convaincu que le chaos en soi « c’est pas marrant tous les jours », revoilà Manu Larcenet dans un tome où tout se conçoit bien depuis les couloirs de la clinique des petits oiseaux « où si on met de côté quelques suicidaires, en général tout se finit bien. »

Alors que la France vient de fêter les 50 ans de la mort du Général de Gaulle, que ses héritiers putatifs se sont succédé sur les plateaux de télévision ou dans les studios des matinales et que les panégyriques ont succédé aux hommages, très peu de zélateurs ont osé aborder la vraie question : que faisait le général quand il ne gouvernait pas le pays ? Et bien, croyez-le ou non, il allait à la plage.

Avec Un Cow-boy dans le coton, il faut reconnaître à Jul et Achdé d’avoir osé marcher dans les pas de Mel Brooks (Blazing Saddles), Lawrence Kasdan (Silverado) ou Damon Lindelof (Watchmen), en mettant en scène un personnage noir de premier plan dans une aventure de Lucky Luke. Un Cow-boy dans le coton répare quelques injustices en plus d’être un album intelligent, subtil et d’une causticité salutaire.

Le procès des attentats de janvier 2015 a commencé le mercredi 2 septembre au Palais de justice de Paris. Un procès pour l’histoire lit-on partout. Un procès pour les vivants, pour les victimes et leurs familles ; un procès qui fait resurgir la douleur, le souvenir, l’horreur, l’injustice. Cette semaine, Diacritik vous propose de revenir sur des œuvres qui, frontalement ou en creux, parlent de Charlie avant « Je suis Charlie », des traumatismes, de l’après et de la reconstruction impossible et nécessaire. Parce que ces livres, ces albums, ces dessins, ces entretiens sont à la fois témoignages, traces, mémoire, histoire(s). Aujourd’hui : La Légèreté, de Catherine Meurisse.

Des sites des éditeurs aux profils Instagram et Twitter des artistes, la bande dessinée se mobilise et conjugue ses efforts pour proposer des contenus accessibles en ligne. Ajoutons les offres des plateformes, les blog BD, les journaux spécialisés ou la presse en ligne. Des initiatives à saluer pendant cette période de confinement.

L’album de l’année 2020 (voire de la décennie qui s’ouvre) est signé Manu Larcenet, il compte 56 pages avec plein de jolies couleurs, une couverture magnifique avec un titre en 3D au-dessus d’un auteur de BD à gros nez assailli par les affres de la création, il est drôle, tendre, terrible et d’une ironie désespérée. Il s’appelle Thérapie de groupe (L’étoile qui danse).