Indélébiles : dans la tête de Luz, les traces de Charlie

Luz - Futuropolis

Le procès des attentats de janvier 2015 a commencé le mercredi 2 septembre au Palais de justice de Paris. Un procès pour l’histoire lit-on partout. Un procès pour les vivants, pour les victimes et leurs familles ; un procès qui fait resurgir la douleur, le souvenir, l’horreur, l’injustice. Cette semaine, Diacritik vous propose de revenir sur des œuvres qui, frontalement ou en creux, parlent de Charlie avant « Je suis Charlie », des traumatismes, de l’après et de la reconstruction impossible et nécessaire. Parce que ces livres, ces albums, ces dessins, ces entretiens sont à la fois témoignages, traces, mémoire, histoire(s). Aujourd’hui : Indélébiles, de Luz.

Magnifiquement mélancolique, témoignage de l’amour indéfectible de Luz pour le dessin, reconnaissance éternelle de l’auteur à Cabu, à Gébé, Catherine, l’Amitié majuscule avec Charb, Luz parle de lui sans fard et avance en racontant son Charlie : Indélébiles.

Il y aura à jamais un avant et un après Charlie. Pour Luz, sûrement plus que pour quiconque : Luz était en retard à la conférence de rédaction ce matin-là, le mercredi 7 janvier 2015. Il aurait pu être là au nombre des victimes, il s’est sûrement dit qu’il aurait être à terre avec Charb, Tignous, Wolinski, Cabu, Honoré, Elsa Cayat, Bernard Maris, Franck Brinsolaro Mustapha Ourrad, Michel Renaud et Frédéric Boisseau. Depuis, Luz a quitté Charlie – non sans avoir dessiné la première une du Charlie post-attentat, une lourde de double, de triple sens, « tout est pardonné » -. Depuis, Luz a abandonné le dessin de presse qui lui a tant donné et beaucoup pris… Depuis, il s’est remis au travail : Catharsis, Puppy, Ô vous frères humains, et aujourd’hui Indélébiles.

Luz – Futuropolis

Indélébile : « qui ne peut être effacé, qu’on ne peut faire disparaître totalement ». L’adjectif s’applique aux souvenirs, aux destins, aux traces d’encre, de feutres, aux chiures de gommes, aux éclats de voix, de rires, aux traumatismes, aux expériences.

Au cours d’un long monologue nocturne, dans un entre-deux tissé d’insomnies et de reconquêtes de soi, de nostalgie et de besoin d’avancer, de faire le deuil et de célébrer, Luz parle de lui, de sa montée à Paris, de la rencontre avec Cabu (le maître) : il livre ses années Grosse Bertha et Charlie. Mais Luz parle surtout d’un journal et des gens qui le font, qui l’ont fait. Il parle des reportages, des enquêtes, des bouclages, des personnalités disparates qui composaient la rédaction, tendues vers un seul objectif : rire et faire rire, transgresser pour mieux critiquer, informer et réagir.

Comme dans Catharsis, Luz s’est livré sans retenue, piochant dans l’intime, puisant dans sa mémoire et dans celle de Charlie. Pour (re)dire que Charlie Hebdo était un journal avec des journalistes et des dessinateurs de talent que l’histoire et l’obscurantisme ont réduit au statut de caricaturistes.

Mieux qu’un patchwork de souvenirs, ces bouts de Luz et les traces qu’ont laissées les dessinateurs de Charlie durant toutes ces années racontent aussi une certaine histoire de la France (qui semble ne pas avoir beaucoup changé), des combats à mener, des batailles perdues, des politiques d’alors qui ressemblent beaucoup aux politiques d’aujourd’hui, des votes pour les extrêmes, des crimes racistes, des guerres si proches de nos frontières (les Balkans en 95, comme un écho à la Crimée contemporaine), de Johnny Hallyday régulièrement pris pour cible par Cabu qui le trouvait ridicule. Avec cette question qui reste en suspens (comme un regret) : si Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Maris, Cayat, Honoré étaient encore parmi nous, que diraient-ils, qu’écriraient-ils, qui dessineraient-ils en 2018 ?

Cabu par Luz – Futuropolis

Indélébiles de Luz, c’est tout cela : le pan « luzien » de l’histoire d’un journal (qui a commenté l’actualité avant de tristement la faire) et la quête d’un homme qui raconte l’avant pour mieux accepter l’après.

Luz, Indélébiles, 320 p. couleur et n&b, Futuropolis, 24 €

Luz – Futuropolis
Luz – Futuropolis