6 Underground : pire que la série Z, la série Bay

Après plus de deux heures de torture visionnage de 6 Underground de Michael Bay sur Netflix, on est en droit de se demander s’il ne faudrait pas amender les Conditions Générales de Vente que l’on accepte en s’abonnant à la plateforme créée par Reed Hastings et Marc Randolph : pour ajouter que l’engagement librement consenti se fera pour le meilleur de la quantité et souvent pour le pire de la qualité.

La dernière preuve en date de la singulière indigence dans la profusion proposée par Netflix est l’œuvre de Michael Bay (mais peut-on décemment qualifier d’« œuvre » une telle bouillie cinématographique ?) : 6 Underground, où l’on assiste durant deux heures et huit minutes à la démonstration de tout ce qu’il ne faut pas faire au cinéma si l’on veut captiver le public même le moins exigeant. À côté de cette bouse sur pellicule numérique, on en viendrait à regretter le cinéma d’action ou les téléfilms de la 5 dans les années 80 (Cobra avec Sylvester « Sly » Stallone, Nico avec Steven Seagal ou Bloodsport avec Jean-Claude « Aware » Van Damme…) qui provoquaient des applaudissements dans les salles obscures (histoire vraie) au moment où le héros un chouïa fascisant explose la rotule du méchant à l’aide d’un Bic quatre couleurs ou du tranchant de la main dans les parties génitales – le privant ainsi de toute envie de se mouvoir ou de descendance dans les suites vouées à voir le jour sous un titre commençant par « La vengeance du fils du retour 2 ».

So six © Netflix

Au risque d’intellectualiser ce qui n’a pas lieu de l’être, il faut un certain talent (ou être fauché) pour faire un vrai nanar digne de figurer dans une future liste de films cultes pour tout un tas de raisons (souvent inavouables). Ce qui n’est pas le cas de Michael Bay (le film a coûté 150 millions de dollars) quand il s’agit de montrer à l’écran une équipe internationale de « fantômes » : un traceur russe, une tueuse française, un milliardaire américain, une gros bras espagnol… devenus des numéros (de 1 à 6, donc) en guerre contre un dictateur sanguinaire régnant sur un pays lointain dont le nom finit forcément par –stan.

Et le fluo, c’est bon pour les dents © Netflix

Aparté : quand bien même on serait tenté de voir dans 6 Underground une apologie de la justice privée seule à même de réparer les torts causés par des criminels sans foi ni loi, toute ressemblance entre le Rovach Alimov du film qui gaze des camps de réfugiés et un président syrien en exercice dans la vraie vie ne peut être qu’une extraordinaire coïncidence. Dirigé par celui qui nous a quand même donné Armageddon, Pearl Harbor, quelques Transformers, deux Bad Boys, la série Jack Ryan sur Amazon Prime et le très oubliable 13 Hours (également visible sur Netflix), 6 Underground est au sens propre un objet filmique inqualifiable.

Sorti de l’imaginaire de deux scénaristes déjà auteurs de Bienvenue à Zombieland et Deadpool 2, on ne devra donc pas regarder 6 Underground comme un film à message politique à moins d’appartenir à l’aile extrême d’un courant de pensée qui prône la liberté de porter une arme et de s’en servir ; ne jure que par le droit des peuples à fermer sa gueule ; qui pense que si les Ricains n’étaient pas là on serait tous en Germanie ou en train de regarder des films d’auteurs chiants dans un ciné-club de quartier ; qui considère qu’élever des murs aux frontières permet de cimenter un peu plus les relations entre les hommes…

6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix
6 underground – Capture d’écran © Netflix

« Éliminer les vrais monstres » : Oh le joli postulat (et la belle justification) pour dire que la justice expéditive à la sauce Bay est le seul recours possible quand la diplomatie a échoué. On se croirait revenu au temps de la conquête de l’Ouest tant le sous-texte suggère avec une subtilité de blockbuster (à grand renfort de technologie mobile et de tirs à la carabine de précision, donc) qu' »un bon dictateur est un dictateur mort ».

Fluo’essence © Netflix

Mais 6 Underground, ce n’est pas qu’une idéologie suspecte déversée à la bétonnière sur la sensibilité du spectateur bien-pensant. Bénéficiant d’un montage arythmique propre à faire fuir les épileptiques et les réfractaires au placement de produits, Michael Bay propose pêle-mêle une course poursuite de voitures toutes les trente minutes (le film dure 2 heures, faites le calcul vous-même) ; des séquences vertigineuses de Parkour (à Florence, à Hong Kong), deux ou trois scènes de femmes en petite tenue filmées caméra à la ceinture pour mieux capter l’esprit de metoo ; de la destruction massive de buildings, yachts, avions, camions, bâtiments ; des tirs meurtriers en pagaille avec giclements de sang de synthèse plus rouge que la pensée d’un marxiste historique ; et une flopée d’organismes qui valdinguent, se ramassent, se vautrent, se font violemment percuter ou tombent des immeubles comme la pluie à Gravelotte. A tel point que lorsqu’un corps atterrit sur le toit de sa voiture, un des numéros en vient à se demander (très inquiet) : « C’était un méchant ? ». Oui. Ouf… Le « gentil » est sauf.

Au passage, n’hésitons pas à divulgâcher la seule bonne réplique qui se trouve aussi être la dernière de ce sommet de bêtise : « la prochaine fois, on ne pourrait pas juste braquer un casino ? ».

Voiture ? Vole ! © Netflix

Avec 6 Underground, Michael prouve au moins deux choses : n’est pas John Sturges ou Steven Soderbergh qui veut – quand il s’agit d’imaginer et filmer une équipe de personnalités disparates mais complémentaires au service d’une bonne cause ou pour commettre un forfait avec brio et humour – ; et Netflix n’en finit pas de cultiver le paradoxe d’offrir un contenu à la qualité très aléatoire sur une plateforme où se côtoient le bon voire le très bon (The Irishman, 13 NovembreMarriage Story, Mind Hunter, Dix pour CentFriends pour quelques temps encore) et le très mauvais (6 Underground donc ou Family Business, Marseille,  Huge en France…).

En fait, Netflix, c’est un peu comme le filon d’une mine d’or ou un bac de vêtements en vrac vers la fin des soldes : si on tombe parfois sur quelques pépites, on repart souvent les mains vides.

6 Underground, de Michael Bay, à partir du 13 décembre 2019, sur Netflix.
Avec Ryan Reynolds, Mélanie Laurent, Manuel Garcia-Rulfo, Ben Hardy, Adria Arjona, Dave Franco, Corey Hawkins, Lior Raz, Payman Maadi dans les rôles principaux.
Scénario de Paul Wernick et Rhett Reese.

Crédits images : © Netflix