Alors que Huge en France est diffusé depuis le 12 avril sur Netflix, comment parler de la sitcom made in Gad Elmaleh en des termes objectifs sans passer pour un énième hater influençable qui vocifère bien à l’abri devant son écran ? Tentative de sauvetage d’une production qui se veut ironique et référentielle. Mais qui n’a pas réussi à tirer le critique télé de sa torpeur.
On serait très sympa ou rugbyphile, on dirait que l’essai mérite d’être salué, à défaut d’être transformé. On serait gentil, on pourrait avancer que Gad Elmaleh a fait preuve d’assiduité et de sérieux dans l’apprentissage de la langue anglaise tant son accent anglo-saxon est à mille kilomètres du phrasé de Maurice Chevalier chantant Nana Mouskouri dans la langue de Frank Sinatra. On serait un peu moins complaisant, on irait jusqu’à dire et écrire que n’est pas Louie CK ou Pamela Adlon, Larry David ou Jerry Seinfeld qui veut.
Une bande-annonce et un rapide coup d’œil sur le pitch plus tard, on comprend vite que Huge en France est l’histoire de Gad, humoriste de son état, mondialement connu de Brest à Menton et de Dunkerque à Saint-Jean-Pied de Port en passant par les rues de Paris et les réseaux sociaux. Il s’agit bien sûr d’un Gad fictionnel : imbu de lui-même et de sa célébrité, le Gad de la série a des états d’âme, voudrait avoir une vie normale, se demande bien ce que son public y connaît pour juger de la qualité d’une représentation et, sur les conseils de son manager, va baiser après le spectacle « pour se changer les idées ».
Mis en scène et en abyme, le Gad de la série est présenté comme un double maléfique du Gad que l’on connaît chez nous avec la subtilité d’un cargo naviguant dans un pédiluve de piscine municipale : convaincu de sa célébrité et de son statut d’artiste en débarquant à Los Angeles, Gad demande s’il y a une file réservée aux « VIP » à la douane ou montre des vidéos de ses spectacles sur son smartphone pour convaincre ses interlocuteurs américains qu’il est effectivement « huge » chez lui.
On l’aura compris, la série entend fonctionner sur un double décalage : d’un côté, suivre la personnalité du Gad de la série (père absent et inconséquent, artiste reconnu un tantinet imbuvable) ; et de l’autre voir évoluer ce Français redevenu lambda en arrivant aux États-Unis avec ses certitudes et ses préjugés (« tous les Américains mangent très gras, c’est pour cela qu’ils font du sport »).
Poussive dans son rythme – ce que l’on pourra éventuellement pardonner si l’on considère que Gad cultive le côté lunaire du clown anachronique dans un monde étranger –, Huge en France l’est aussi dans les dialogues qui sont écrits et interprétés avec autant de conviction qu’un tenant de la Manif pour tous au moment de voter en faveur de la PMA pour les couples du même sexe. Et si en cherchant un peu (toujours), on pourrait trouver dans les jeux de caméras ou dans la mise en scène de furtifs clins d’œil à David Chase et HBO (par ailleurs cités dans le premier épisode), le soin porté dans le cadrage pour filmer sans cesse en mouvement et en hors-champ tourne au maniérisme indigeste.
« It’s a sign Brian »
Ceux qui se souviennent des dialogues absurdes de Naked Gun (avec Leslie Nielsen et OJ Simpson) goûteront peu (pas du tout, en fait) le calembour poussif qui vient ponctuer l’épisode 1 : sur le point de renoncer (déjà) et tombant sur une affiche promotionnelle pour le show de son rival, Gad s’exclame « c’est un signe, Brian ». Ce dernier répond alors que « oui, il y en a beaucoup par ici… »… en Carambar dans le texte (« Sign » signifie à la fois « signe » et « panneau publicitaire », NDLR). Ce genre de vanne, c’est tout de même du niveau promenade au parc avec la marmaille pour aller nourrir les canards qui s’ébrouent dans l’eau croupie quand on dit « c’est un signe » pour s’entendre répondre « ben non c’est un canard ».
Fausse bonne idée, tant sur la forme que sur le fond, Huge en France enchaîne les clichés pour dérouler des blagues supposées brocarder le politiquement incorrect à la française ; tutoye plus d’une fois le convenu et le caricatural ; revisite le répertoire de Elmaleh dit par la bouche de Gad. Au point qu’on se surprend à attendre l’arrivée imminente du blond des sketchs et du moment où Gad va finir par demander « Where is Brian ? ».
Ouvertement accusé de plagiat par Copy Comic, mystérieux internaute qui s’est amusé à décortiquer et pointer ses « emprunts » aux répertoires de Jerry Seinfeld, Dana Carvey, Richard Pryor… Gad Elmaleh a aujourd’hui toutes les peines du monde à (se) justifier de ne pas être qu’un serial copieur qui traduit mot à mot des punchlines pour les resservir dans la langue de Molère (reprenant jusqu’aux jeux de scènes, mimiques, démarches et effets visuels comiques). Il a émigré pour monter sur scène au pays du stand-up et des comedy clubs (et y parvenant là où beaucoup d’autres ont échoué) : avec un peu plus d’humilité, la série aurait pu être l’occasion pour Gad de mettre en scène sa conquête de l’Ouest auto-fictionnalisée, promesse de rires empruntant aux deux côtés de l’Atlantique…
Promesse non tenue : Huge en France est juste raté. Mais la musique est pas mal.
* Titre inspiré du célèbre « Agad La Té évision é Pis Dors» de Les Nuls. Parce que c’est important de citer ses sources.