Mitigé. C’est le principal sentiment qui ressort après visionnage de Jack Ryan de Tom Clancy, diffusé en vidéo à la demande sur Amazon Prime. Mitigé parce que sans être foncièrement et formellement mauvaise, la série de Carlton Cuse et Graham Roland est loin de s’embarrasser de la moindre subtilité quand elle convoque séries et films qui l’ont précédée et développe nombre de clichés à la limite et à la gloire de l’impérialisme américain.
Les lecteurs historiques de Tom Clancy y trouveront leur compte, les amateurs de fictions manichéennes bien réalisées avec beaucoup de moyens et de pyrotechnie mêlant action pure et réflexions géopolitiques aussi. L’univers et le cahier des charges du créateur du héros d’Octobre Rouge, Jeux de guerre ou La somme de toutes les peurs est largement respecté : Jack Ryan est un cyber-thriller, pétri de considérations historico-géographico-politiques cherchant à l’ancrer dans le réel, tout en prenant de grandes (voire très grandes) libertés avec tout réalisme.

Jack Ryan est analyste au sein de la CIA, depuis son bureau en open space de Langley, il surveille les transactions financières des ennemis des États-Unis, traque les terroristes bancaires, décode les stratégies et promène sa nonchalance d’homme meurtri par son passé de Marine dans les couloirs du siège du renseignement américain. Son tempérament ombrageux n’a d’égal que sa droiture et sa propension à l’exprimer en toutes circonstances. Y compris en présence de grands directeurs voire du président des États-Unis lui-même.
Vous l’aurez compris, l’Amérique s’est trouvé un nouveau héros et il a les traits de John Krasinski, visage poupin, musculature entretenue et cicatrices viriles. Son tempérament de boy-scout va très vite lui valoir tour à tour fausse inimitié et vraie connivence de la part de son supérieur direct Jim Greer (inoubliable Bunk Moreland dans The Wire). Et le gendre idéal de se transformer au fil des épisodes, la droiture chevillée au corps, en bête de guerre (qu’il était déjà avant de rentrer au pays), voire de justicier au bras qui ne tremble pas d’un iota quand il s’agit de sauver le monde, sa compagne, le président et rien moins que la démocratie occidentale…

A ce stade, on a tout et rien dit de Jack Ryan. Et il faut attendre le dernier épisode pour se convaincre que l’on n’a pas re-regardé une énième série dérivée plutôt qu’une création originale. Car elle commence à être longue la liste des séries ayant pour thème le terrorisme international (ou plus simplement islamiste) : 24, Homeland, The Looming Towers (déjà sur Amazon Prime), Quantico, Sleeper Cell, The Grid (État d’alerte) à la télévision ou Zero Dark Thirty et Démineurs de Kathryn Bigelow, Du sang et des larmes, 13 hours de Michael Bay (producteur de Jack Ryan) au cinéma.

Par endroits caricatural, des titres des épisodes – « Connexion française », « Au bout de l’honneur », « Inch’Allah » – au contenu de ceux-ci (débarquant à Paris, Ryan s’entend dire par l’agent de la DGSI française que le suspect « s’est réfugié dans le quartier musulman », les no-go zones de Fox News ne sont pas très loin), Jack Ryan amalgame (et semble avoir digéré pour mieux les régurgiter) ses consœurs et ses pairs. Avec seulement 8 épisodes pour la première saison, la série de Carton Cuse et Graham Roland va vite, très vite.
Mais là où The Looming Towers portait un regard critique sur les causes des attentats du WTC, sur la part de responsabilité des États-Unis dans l’enchaînement des événements ou sur l’inadéquation des moyens de renseignement face à la menace, Jack Ryan avance sans détour : le camp des gentils est connu et celui des méchants l’est tout autant. L’enquête avance à pas de géant grâce à l’intelligence hors norme du Docteur Ryan, à son courage et à son bon droit. A tel point qu’on en viendrait presque à rêver qu’un tel homme existe bel et bien quelque part pour venir nous sauver de l’EI ou d’Al Qaida.

De tous les thèmes développés en creux dans Jack Ryan, il en est un qui surpasse tous les autres : la culpabilité des États-Unis à l’égard des populations irakiennes ou afghanes, tentative de justification de la naissance du terrorisme islamiste dans l’Amérique post-11 septembre. Avant de balayer d’un revers de bras vengeur tout ce qui pourrait justifier ou excuser les exactions de l’ennemi. Dès lors, grâce à la mécanique Clancy – recette éprouvée qui a fait du Jack Ryan des livres un homme obligé de se battre à son corps de Docteur en économie défendant –, le Jack Ryan de la série se transforme en pacificateur planétaire, seul à même de comprendre la psychologie du cheikh Mousa Bin Suleiman interprété par Ali Suliman, terroriste par vengeance, qui pour servir ses intérêts n’hésite pas à aller contre les projets des séides de l’État Islamique.
Plus encore, que penser de ce personnage, pilote de drone qui bombarde le Pakistan depuis Las Vegas tentant de trouver une quelconque rédemption après un « good kill » qui a tué un innocent ? C’est d’ailleurs plus ou moins le pitch (et le titre) du film d’Andrew Niccol dans lequel un ancien pilote de chasse reconverti en pilote de drone de combat développe un stress post-traumatique, remet sa mission en question : ne crée-t-il pas plus de terroristes qu’il n’en extermine ?

Jack Ryan paraît dessiner un certain état du monde d’aujourd’hui, avec une certitude toute américaine : « un bon terroriste est un terroriste mort ». Quitte à jouer sur la peur de lendemains dont la première puissance mondiale sait être en partie responsable. Abordant la question des migrants fuyant les pays en guerre, avec des images de camions de populations déplacées, de gangs de passeurs avec lesquels il faut composer pour éradiquer le mal, de canots prêts à prendre la mer tandis que les mafieux prospèrent en vendant des gilets de sauvetage, Jack Ryan distille un message suspect fait de peur de voir celles et ceux qui se sont tirés des griffes des terroristes se retourner un jour contre le pays dans lequel ils ont trouvé refuge. Une question à laquelle les générations futures auront peut-être un jour à répondre… « We’ll see… », dit le Docteur Ryan après avoir sauvé le fils du cheikh.
Dans Jack Ryan, les gentils sortent vainqueurs et sûrs de leur fait, une fois l’opération terroriste stoppée et la démocratie préservée. Le monde a un nouveau héros, il s’appelle Jack Ryan et il est analyste à la CIA.
Et pour être bien sûr de pointer le prochain ennemi des États-Unis, sachez qu’à la fin de la saison 1, il est prêt à s’envoler pour Moscou. A bon entendeur.
Tom Clancy’s Jack Ryan, de Carlton Cuse et Graham Roland, avec John Krasinski, Wendell Pierce, John Hoogenakker, Abbie Cornish, Ali Suliman, Dina Shihabi… 8×50mn, sur Amazon Prime.