Diacritik a fêté hier ses trois années d’existence. Parmi les signatures dont notre journal s’honore, celle de Jacques Dubois, sociologue et critique littéraire, spécialiste de Simenon, des romanciers du réel, de Proust et tant d’autres.
Comment mieux fêter ce troisième anniversaire qu’à travers un entretien avec lui, compagnon de la première heure de ce journal, défenseur d’une critique amoureuse et engagée ? L’une des phrases que Jacques Dubois prononce au cours de notre conversation pourrait d’ailleurs être le sous-titre de Diacritik : « Pour réconcilier le monde avec lui-même, il faut beaucoup s’en moquer ».
Il y avait, disons-le, une forme de malice à l’origine de cet entretien : avoir une conversation, depuis un livre qui est lui-même une conversation — Tout le reste est littérature (Les Impressions nouvelles). Il s’agissait aussi de placer l’amitié au centre — elle qui lie Jacques Dubois à Laurent Demoulin, dans ces Entretiens comme celle qui me lie à Jacques Dubois depuis notre rencontre dans les pages du Boookclub de Mediapart, alors dirigé par Sylvain Bourmeau (et ma sidération, alors, en comprenant que le Jacques Dubois qui écrivait sur Christine Angot était bien celui qui avait nourri mes propres recherches sur les romanciers du réel ou la modernité du roman policier).
Amitié et malice que l’on retrouvera dans ce dialogue filmé un dimanche de septembre à Paris, pour évoquer très sérieusement d’autres amitiés (celle de Jacques Dubois et de Pierre Bourdieu, par exemple), les écrivains aimés et amoureusement commentés (Stendhal, Proust…), ceux qui résistent (Simenon, Flaubert, à des titres divers) mais aussi la grande aventure du Groupe µ (et ses réunions clandestines), celle du journalisme ou le détail signifiant d’un trench coat faisant le lien entre Gallimard et le Seuil ; soit les hasards objectifs qui jalonnent une vie tout entière tissée de lectures et commentaires, d’une fidélité têtue à une éthique qui se sait utopie. Chez Jacques Dubois, la mélancolie est combattue par le sourire, l’intelligence sidérante des textes par une forme d’espièglerie, l’ensemble composant la définition même de l’élégance. Pierre Bourdieu disait de Jacques Dubois qu’il est un « gentilhomme », la formule est juste, tant pis si elle agace un peu Jacques, reprenons-la.
On retrouvera dans cet entretien quelques étapes d’une pensée toujours en mouvement, refusant les stases pour privilégier découvertes et curiosité. L’ensemble du parcours de Jacques Dubois, homme du paradoxe qui se définit lui-même, non sans ironie, comme un « frivole avec toutes sortes de fidélités », demeure à découvrir dans le très beau Tout le reste est littérature, ces Entretiens avec Laurent Demoulin qui viennent de paraître aux Impressions nouvelles.

C’est tout un champ littéraire et intellectuel, celui de ces 50 dernières années qui se fait jour à travers réflexions et anecdotes piquantes ; c’est un tableau vivant et incarné comme une forme de puzzle paradoxalement chronologique dans lequel tout lecteur reconnaîtra ce « roman d’une vie » que Jacques n’a pas écrit, justement parce qu’il n’est pas l’homme des bilans mais celui des nouveaux départs ; c’est aussi un manifeste pour une critique à la fois amoureuse et engagée, puisqu’aujourd’hui, et sans doute plus que jamais, « lire, c’est résister ».
Jacques Dubois, Tout le reste est littérature. Entretiens avec Laurent Demoulin, éd. Les Impressions nouvelles, janvier 2018, 17 € — Lire un extrait