Lydia Flem se souvient. Assumant la référence à Georges Perec et à Joe Brainard — « je me souviens que Joe Brainard écrit dans I remember : « je me souviens que je m’habille complètement avant de mettre mes chaussettes » » —, elle passe en revue 479 fragments de mémoire, tous centrés sur les vêtements et la mode. 479 et non 480 comme chez Perec, auquel le livre est dédié. Le dix-septième Je me souviens rappelle d’ailleurs Sami Frey « en costume sur son vélo, jouant à l’Opéra–comique les quatre cent quatre-vingt « je me souviens » de Georges Perec » et le trois-centième est un « je me souviens que Georges Perec se souvenait de la mode des duffle-coats ».
Le titre du livre de Lydia Flem est celui du Je me souviens liminaire, « je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans », ouvrant à toute une série de trouées de couleurs dans le livre. Si ce Je me souviens est un inventaire, il est un Dressing, Comme Jane Sautière l’a écrit, les vêtements « m’identifient, me donnent corps » et Lydia Flem, romancière de l’intime, est dans cette même quête d’une identité par et dans les vêtements, les étoffes, parfums et tissus. La garde-robe est une cartographie de la féminité, de sa libération (parfois illusoire) à travers les âges.
« Je me souviens du point zigzag » est le second fragment, comme un art poétique, dans ce passage en revue d’une mémoire personnelle et familiale mais aussi collective. Lydia Flem se souvient d’expressions, de films, de photographies. Elle mêle les scènes imprimées dans un imaginaire commun et les souvenirs personnels, comme sa « prof de maths qui ôtait la ceinture de sa robe en tissu imprimé pour dessiner une circonférence à la craie sur le tableau noir ». À travers le vêtement, c’est une histoire des corps et une histoire du monde qui se tisse, la mini-jupe inventée par Mary Quant pour que les femmes puissent attraper le bus, le tailleur rose de Jackie Kennedy à Dallas, Lady Di ; Lydia Flem dit la beauté gourmande des mots de la couture, des belgicismes (tirette pour fermeture Éclair), des expressions qui figent une certaine image de la femme (« les femmes sont passées de la tyrannie du corset à l’impératif d’être minces »). Elle évoque Proust, La Castiglione, Cindy Sherman, Yves Saint-Laurent et Jean-Paul Gaultier ou Barthes et son Système de la mode : « il existe une langue du vêtement. La mode est d’abord un récit ».
De souvenir en souvenir se construit un autoportrait par pièces et fragments, les moments d’une vie associés à des vêtements, une histoire plus universelle, chaque lecteur trouvant des échos à sa propre sensibilité dans les souvenirs listés par Lydia Flem. Le vêtement est parure et apparence, exhibition et jeu, artifice social et intime. L’écrivain en décrypte les codes, en déploie les sous-textes, dans un inventaire qui forme récit jusqu’à l’index subjectif qui le clôt pour mieux le recomposer. La liste est mécanisme romanesque et dévoilement de soi, comme une forme de déshabillage, entre plis et feuilletés, renouant avec l’étymon du texte, un textile et tissu : « Je me souviens de la phrase d’Araki : « les plis de la mémoire sont comme les plis de nos vêtements. Nos souvenirs se cachent dans les plissés ». »
Lydia Flem, Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2016, 224 p., 16 €