L’art voyage, nous dit Jacques Rancière, il se déplace et franchit des frontières – celles qui le constituent, qu’il traverse et reconfigure pour, en lui-même, devenir. Les voyages de l’art est un livre qui explore et déploie cette logique par laquelle l’art est mouvement avant d’être identité ou essence – son essence étant une forme de nomadisme.
éditions du Seuil
Passionnant : tel est le terme qui vient spontanément à l’esprit après avoir achevé la lecture des Voyages de l’art de Jacques Rancière qui vient de paraître au Seuil dans la collection « La Librairie du XXIe siècle ». Passionnant, parce que Rancière revient, en rassemblant et en articulant six interventions, sur le régime esthétique de l’art qui l’occupe notamment depuis Le Partage du sensible pour l’éclairer cette fois à la lumière de considérations sur l’architecture et la musique. Passionnant, parce que Rancière revient avec une rare force sur la question de la modernité et des ambiguïtés qui y sont attachées. Passionnant, parce qu’il déploie la question du mouvement de l’art en dehors de lui-même en partant de l’art lui-même pour questionner ses frontières toujours en déplacement. Autant de propositions stimulantes sur lesquelles Diacritik ne pouvait manquer d’interroger le philosophe le temps d’un grand entretien.
Il n’y a rien en dehors de l’ordinaire des situations. Le dehors, l’extra-ordinaire tout autant, relèvent sans aucun doute du plan le plus quotidien dans sa manière de nous faire signe : plan de vacuité, troué par des événements qui ne sont pas davantage des élévations. C’est « ici et maintenant » que la philosophie prend son départ. De sorte qu’il ne sera pas même question de principes dérobés, nichés dans le retrait du fond, couverts sous des apparences tant décriées comme si ne se jouait rien d’essentiel à la surface des choses et que seul l’ordre du temps permettait d’en relever enfin le cours.
C’est l’événement éditorial de ce printemps : la réédition au Seuil du cours sur Le Neutre donné par Roland Barthes au Collège de France en 1978. Après une première édition du texte dans les années 2000, Eric Marty offre ici une édition définitive, riche et passionnante, où le propos de Barthes prend toute sa puissance, celle d’une parole qui revient dans son œuvre à son principe premier : le Neutre, qu’il réinterroge notamment sous le concept de « complexe ». Assorti de notes passionnantes, d’un avant-propos qui brosse la singularité d’une époque prête à tirer un trait sur les avant-gardes, ce cours est indispensable à qui entend se mêler de littérature et plus largement de sensible des textes. Autant de raisons pour Diacritik de partir à la rencontre d’Éric Marty afin de l’interroger sur ce dernier Barthes, au seuil d’une disparition bientôt mélancolique.
C’est un beau et fort recueil poétique que Virginie Poitrasson nous donne en ce printemps 2023 avec Tantôt, tantôt, tantôt qui paraît chez « Fiction & Cie » au Seuil. S’inspirant notamment d’une réflexion de Deleuze sur la ritournelle, Poitrasson offre une saisie sensible et réflexive à la peur, l’effroi comme scène primitive de nos vies. Mais ces angoisses, qu’elles soient ponctuelles ou structurelles, trouvent dans leur poème leur issue de peurs : la parole y sert de conjuration ultime. Recueil neuf, au plus près d’un rendu sensoriel du monde, Tantôt, tantôt, tantôt fascine par sa détermination à sortir de la terreur qui tenaille le sujet. Autant de pistes que Diacritik ne pouvait que sonder en compagnie de Virginie Poitrasson le temps d’un grand entretien.
La Battue, du journaliste et photographe Louis Witter, expose des faits, les questionne, les analyse, informe et met en perspective. Le livre dénonce la politique policière et donc violente que l’État français théorise et pratique à l’encontre des exilé.e.s sans papiers à Calais depuis des années (mais aussi ailleurs sur le territoire). Si cette politique vaut contre les exilé.e.s, elle vaut sans doute de même, finalement, contre la population en général. La Battue est un livre qui met au jour le fait que la politique française, depuis des années, s’appuie sur des pratiques policières hostiles aux populations.
Qu’ont en commun Véronique Bangoura, également appelée « la Comtesse », et Madame Corre, qui la presse de questions ? Ces deux femmes, régulièrement attablées dans l’un des cafés de la place Monge, remontent le fil de leurs vies.
La (longue) citation en exergue, empruntée au sonnet 66 de Shakespeare, donne le ton : « (…) Lassée de voir qu’un homme intègre doit mendier / quand à côté de lui des nullités notoires / se vautrent dans le luxe et de l’amour du public ». Si l’énonciation shakespearienne au masculin passe au féminin chez Salvayre, demeure le décapage des vanités fausses et gloires baudruches. C’est à ce « continent » que s’attaque Lydie Salvayre « avec l’audace d’un Christophe Colomb » pour donner les clés de la réussite la plus éclatante. Comment mentir, écraser, monter, paraître, instrumentaliser et « être au top » ? vous saurez tout en lisant cet Irréfutable essai de successologie, que l’on peine à qualifier tant il est à la fois une parodie des manuels de bien-être et développement personnel — comme autant de déclinaisons d’un prêt à penser confortable — et une fresque décapante de notre monde comme il déraille.
À première vue, descendre dans l’eau pour attraper un crocodile, c’est vraiment jouer avec la mort, mais à la réflexion pas du tout. Le crocodile est un animal stupide, et dangereux certes, surtout quand il se trouve dans l’eau. C’est un animal attaché à son territoire. Même le tigre, qui est un animal cruel, rusé et ingénieux, doit se méfier du crocodile.
À suivre, écrivait Maurice Olender dans nombre de ses mails et sms. Le dernier qu’il m’a envoyé, dimanche, était un « à suivre, toujours ». C’est ce toujours que je veux retenir, un à jamais. Maurice Olender, au présent absolu, lui qui a non seulement pensé mais forgé le contemporain, par ses livres, ses articles, la revue Le Genre humain, les livres publiés dans « La Librairie », cette collection exceptionnelle qui épousa le changement d’un siècle, « La Librairie du XXe » puis « du XXIe siècle ». Maurice Olender au présent absolu lui qui n’aura jamais commis qu’une faute de goût dans sa vie, la quitter.
La rentrée a été bousculée par des morts qui se succèdent et des procès qui attendent (qui n’auront peut-être jamais lieu). Je cherche un point de contact entre Élisabeth II, Godard, PPDA, je ne trouve pas.
S’il ne fallait donner qu’une raison – une seule, pas deux, pas trois ni même la somme de toutes les (bonnes) idées argumentées, professées, déclinées par Adélaïde Bon, Sandrine Roudaut et Sandrine Rousseau dans ce grand petit livre paru au Seuil dans sa collection Libellé –, elle serait tout entière contenue dans la réception critique de Par-delà l’androcène.
1.
L’année 1922 n’aura pas été avare en naissances de personnalités marquantes : Pasolini et Kerouac en mars ; Bobby Lapointe et Charlie Mingus en avril ; Serge Reggiani, Christopher Lee et peut-être (car un doute subsiste – ne serait-il pas né l’année précédente ?) Iannis Xenakis en mai ; Alain Resnais en juin ; Micheline Presle (seule à être encore en vie) et Alain Robbe-Grillet en août ; Simon Hantaï, Christian Dotremont, Claude Ollier et Ava Gardner en décembre (et j’en oublie, volontairement – ou non). Est-ce important de commémorer les anniversaires ? Pour certains, on dira oui, non par goût des chiffres ronds (on préférera 101 qui est premier – et même 99), mais parce qu’ils nous offrent l’occasion de ferrailler avec le temps, donc avec nos souvenirs et la part d’oubli qui les recouvre, de manière intime, dans un désir de partage.
Fallait-il invoquer la récente et mondiale pandémie qui s’est déclarée à l’échelle de la planète et les confinements qu’elle a générés pour qu’un plaidoyer en faveur de la natation en mer ou en piscine soit au départ d’un livre entier ?
Le 27 juin dernier, à la Maison de l’Amérique latine, une soirée Coïncidences a réuni Florence Delay (Il n’y a pas de cheval sur le chemin de Damas), Denis Podalydès (Les nuits d’amour sont transparentes) et Martin Rueff. Diacritik vous propose la captation vidéo de la soirée, autour de deux livres aux titres mystérieux dont Martin Rueff a montré combien ce dont deux textes sur la vocation, les voix qui nous traversent et une passion de la langue et du récit.