Ceux qui aiment lire prendront le train

Paris © Christine Marcandier

Dans Flaubert à La Motte-Picquet, Laure Murat souligne le rapport intime et presque consubstantiel entre littérature et déplacement en train. Prenons-la au mot, avec un carnet de voyage et des arrêts dans quelques textes récents, en images.

© Christine Marcandier
© Christine Marcandier

TRAIN 111169473_1009355815783043_2014632813031855562_nDans Stations (entre les lignes) de Jane Sautière, des pages (119-130) sur les voyages en TGV. Des notations sensibles sur la lumière, des scènes vues, la neige parfois succédant à la terre labourée, au vert des champs, ce mouvement rapide qui donne l’impression de traverser de grandes plaques de couleur ; les textures du paysage, les « vaches collées au sol par le museau », « les pupilles rétrécies par le jaune du colza ». « Ligne des arbres comme traits de fusain. Le défilement rend presque hagard, le regard ne se pose pas, intercepte, capture et par un effet de persistance rétinienne élabore le paysage, l’embrasse. C’est bien d’un baiser qu’il s’agit ».

100% made in TGV © Christine Marcandier

TRAIN 2TRAIN 3

100% made in TGV 2 © Christine Marcandier

Dans Kafka à Paris de Xavier Mauméjean, Franz Kafka et Max Brod quittent Prague pour Paris, en septembre 1911, « le sifflet donna le signal du départ. Lui répondit, complice, celui de la locomotive, avant que le train ne s’ébranle dans un fracas d’usine et grincements de pistons » :

TRAIN 5TRAIN 4

Un train strie un paragraphe du Triangle d’hiver de Julia Deck, entre Le Havre, « gare de bord de mer, au bout du monde, fatalement terminus », et Paris, pour aller vers Saint-Nazaire : ces « 25 cm » sur une carte qui obligent au détour par la capitale pour faire Le Havre / Saint-Nazaire. Mais il sera tout aussi compliqué d’aller de Saint-Nazaire à Marseille, sans passer par la case Paris, 65 cm sur carte routière cette fois. Et de nouveaux mots, denses, sur l’expérience singulière d’une (apparente) immobilité dans un paysage en mouvement.

TRAIN 7Puis, au départ d’Atocha de Ben Lerner, se sentir « contemporain de la syntaxe » dans « la texture du temps qui passe » .
Adam Gordon est un jeune poète américain en résidence d’écriture à Madrid. Les premières pages du roman résonnent des bruits qui montent de la Plaza Santa Ana dans son appartement presque vide. Adam fume en lisant Tolstoï, vit l’écriture comme une expérience et un exil linguistique.
Au centre du livre, Adam quitte Madrid pour Grenade, en compagnie d’Isabel. C’est la première mention de la gare d’Atocha, le retour du titre jusque là en attente, béance narrative, explicitation, aussi, de ce même titre puisque celui du roman est emprunté à un poème de John Ashbery, cité dans cette page.
Le voyage se démultiplie, vers Grenade, vers Ashbery, vers le titre du roman. Et pour nous, lecteurs français, vers Jakuta Alikavazovic, écrivain, qui traduit le roman de Ben Lerner.

© Christine Marcandier
© Christine Marcandier

img_1034Enfin Le Projet Fanon de Wideman, art poétique de ce déplacement en train :

image1img_8514product_9782070786350_195x320

Itinéraire :
Laure Murat, Flaubert à la Motte-Picquet, Flammarion, 2015, 96 p., 8 €
Jane Sautière, Stations (entre les lignes), Verticales, 2015, 144 p., 14 € 90Xavier Mauméjean, Kafka à Paris, Alma, 2015, 268 p., 18 €
Julia Deck, Le Triangle d’hiver, Minuit, 2014, 174 p., 14 €
Ben Lerner, Au départ d’Atocha, traduit de l’américain par Jakuta Alikavazovic, éd. de l’Olivier, 2014, 205 p., 21 €
John Edgar Wideman, Le Projet Fanon, traduit de l’américain par Bernard Turle, Gallimard, 2013, 352 p., 23 € 90